Culture
Le panthéisme de Daniela Busarello s’incarne dans ses Corps-Paysages Abstraits métaphoriques.
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 20 juillet 2022
[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] Avec une rare énergie et un regard qui englobe la diversité de l’humanité d’hier et d’aujourd’hui, Daniela Busarello compose des ‘Corps-Paysages Abstraits’ métaphoriques à l’intense pouvoir poétique. Son appétit humaniste se transcende dans une œuvre composite où le mystère de la vie se concentre et se dévoile par fragment. L’artiste brésilienne est à découvrir à l’occasion de l’exposition immersive , Genius Loci, L’Appartement d’Auguste Perret, de Paris+ Art Basel – Design Miami (du 15 au 23 octobre) et à la galerie Mouvements Modernes.
Une artiste qui s’éblouit avec les sources de la vie.
Daniela Busarello se définit comme « une artiste du vivant ». Indéniablement au contact d’une œuvre lyrique, une artiste de l’énergie, plutôt des énergies, tant l’artiste brésilienne par le lyrisme des textes de son site web permet de prendre déjà la mesure de sa démesure. Ses yeux intenses et son sourire franc et direct sont ceux d’une personnalité qui veut déguster et partager ce qu’il y a de mieux dans le monde.
Cette architecte de formation a déployé ses ailes loin de sa ville natale brésilienne, Curitiba où elle est née en 1973 pour venir à Paris en 2007, sans doute pour rester éloignée d’une famille brillante avec deux parents architectes reconnus et une tante photographe au travail respecté ? Mais elle aurait peut-être pu tout autant poser ses valises en Italie, dont elle a aussi la nationalité, qui correspond tout autant aux différentes facettes d’une personnalité assoiffée d’embrasser des univers multiples aux frontières toujours repoussées.
Dopée au lyrisme
Sans surprise, faire parler Daniela Busarello c’est faire face à un tsunami de réponses dopées à l’enthousiasme d’un lyrisme panthéiste. « Être. Je suis énergie, eau, chaire, imagination, action. Irradiation de lumière. Je suis une forêt qui danse la musique des oiseaux, de l’eau, de chaque millimètre de croissance d’une micro-feuille. Je suis le vent doux sur les feuilles qu’amène aussi l’ombre et la lumière, les parfums … Et puis je suis aussi le soleil, la lune, la mer. Dans ce corps humain, je suis une femme qui plonge et s’éblouie des sources de la vie : la respiration, le ciel, les rencontres, les paysages. » confie sans pudeur celle pour qui la matière de la peinture est comme une sève, du sang, le sperme de l’orgasme, à la fois feu et eau, une matière vivante comme une prolongation d’elle-même.
Mêlant le geste à la parole, elle n’hésite jamais à se mettre en scène dans son processus créatif en une chorégraphie dont vidéos et photographies gardent un témoignage savoureux.
Les Corps-paysages abstraits
Ses œuvres concentrent toutes les richesses de cet univers en expansion. Ainsi ses ‘Corps-Paysages Abstraits’ traduisent en des formes abstraites ce mélange séminal, entre mémoire universel et perception singulière qui constitue chacun d’entre nous. Indépendamment de tous les différents matériaux qu’elle utilise, elle s’inspire des paysages qu’elle a rencontré, des sentiments de la vie quotidienne, des choses simples et les sensations qui la parcourent ou la saisissent ; des rayons de soleil, de la pluie, du vent, des parfums des plantes, de la mer, du chant des oiseaux… Les différentes lumières-couleurs du jour et de la nuit (re)viennent aussi suggérer le corps humain avec sa chair, ses organes, son sang, ses larmes, ses orgasmes qui se mélangent avec les océans et les sèves en une grande symphonie colorée.
« À mes yeux, être artiste signifie s’intéresser à notre époque. J’observe l’humanité à des niveaux sociologiques, philosophiques et biologiques. Les relations entre les humains avec les autres “entités” environnementales : nature, urbain et cosmos, tous indissociables. C’est ainsi que prennent forme mes ‘Corps-Paysages Abstraits’. » nous précise-t-elle.
Observation, absorption, transformation et curiosité en perpétuelle métamorphose
Fidèle au concept latin de genius loci [l’esprit du lieu], qu’elle élargit par cercles expansionnistes de l’intime à la planète, l’artiste brésilienne travaille simultanément à différents niveaux de perceptions et d’immersions : impressions-viscérales, photographies, annotations-inconscientes, récolte ses prototypes, des échantillonnages et dresse ensuite des inventaires, témoins d’un écosystème : l’eau, minéraux, plantes. « Chaque geste que je fais dans les peintures sont de la respiration. C’est comme si les toiles s’empreignent de ces souffles de vie. Cela est mon langage avec l’Univers » complète-t-elle.
Un rite créatif de la nature à l’atelier
Son processus de création exige une immersion holistique où tous les sens sont investis et associés : « Je prends beaucoup de photos des lieux que je visite. Les photos sont un instant concret de perception que je transforme dans un deuxième temps en langage pictural. Observation, s’imprégner des sensations, récolter des “matériaux témoins”, puis vient le processus de transformation en pigment, catalogage. Il peut avoir une phase de recherche de textes philosophiques sur le lieu, le choix de la musique et celui de croquis, peindre ou dessiner. Choix du titre. (Peut arriver avant, avec le croquis) »
Les pigments comme des élixirs
La décision d’employer des matériaux peu utilisés dans l’art contemporain s’accompagne d’une typologie d’œuvre différente. Ses “matériaux témoins” servent à faire ses propres pigments–reliques qui lui permettent d’observer et de parler de notre temps avec sa propre matière. Avec une méthode médiévale, elle récolte fleurs et feuilles qu’elle laisse sécher lentement. Les fragments de matériaux-témoins naturels ou urbains que l’artiste recueille sont émiettés à la main ou à l’aide d’une presse. Ils sont ensuite tamisés pour devenir des pigments.
La palette se réduit alors à quelques teintes, brun, gris et blanc qu’elle mélange ensuite pour créer une infinité de nouvelles nuances. L’artiste les présente ensuite en jouant sur des effets de transparence, de légèreté, d’ombres et de lumières qu’elle laisse jouer sur des feuilles de papier ou les différents autres supports qu’elle choisit méticuleusement pour ses compositions, gazes : toiles de coton, lin ou métal…où les pleins et les vides dialoguent toujours, même quand elle utilise aussi la peinture à l’huile. La poudre ainsi obtenue est conservée dans des petits récipients de verre ronds bouchonnés qui rappellent les flacons des élixirs et potions magiques du moyen âge.
La Nature comme matériel
« J’utilise la nature pour créer des portraits de lieux. La nature deviens mon matériel – soit par son observation, soit par sa propre utilisation », dit celle qui observe les mouvements de putréfaction des plantes et fleurs qu’elle fait sécher. Daniela reste fascinée par le processus de transformation dans un processus long qui peut dépasser les trois mois de fabrication. Avec les minéraux dont elle crée ses propres pigments, elle revendique : « Utiliser ces pigments-vivants c’est observer et parler de notre temps avec sa propre matière. » De la Forêt Atlantique où elle s’est immergée pour voir et comprendre la dévastation dont la forêt est victime, elle a extrait plus de 170 pigments différents qui rendront présente cette forêt meurtrie dans certaines de ses œuvres pour nous alarmer métaphoriquement sur les attaques que la nature subit.
Un référentiel encyclopédique
Son appétit encyclopédique la fait jouer avec une gamme de références qui va de « l’absence de sujet » à « la totalité des sujets » de l’artiste letton-américain Mark Rothko (1903-1970) dont elle aime le dialogue des couleurs, aux paysage-créatures et les grattages de l’artiste allemand-américain Max Ernst (1891-1976), à la plongée dans la chair comme une plongée en soit de l’anglo-irlandais Francis Bacon (1909-1992), aux respirations et les vides dans l’œuvre de l’(italien-) américain Cy Twomby (1928-2011), à la transcendance poétique et la puissance des compositions et des matériaux du (franco-) allemand Anselm Kiefer (1945-) et bien entendu encore au concept de Nature-Humain présent dans l’œuvre de l’italien Giuseppe Penone (1947-). Le point commun de la grande majorité des artistes qui la fascinent a travaillé ou travaille dans d’autres pays que celui de leur naissance, comme une grande famille d’expatriés nomades à laquelle bien entendu, elle se rattache.
Un océan d’énergie musicale
Daniela travaille en musique (beaucoup sont brésiliennes et montrent qu’elle ne tourne pas le dos à sa culture d’origine), Hector Villa-Lobos (1887-1959), Tom Jobim (1927-1994), Vinicius de Moraes (1913-1980), mais aussi minimalistes Arvo Pärt (1935-1971), Philip glass (1937-) ou encore Björk (1965-). « J’en choisi une (ou deux) pour chaque peinture. Je les écoute en boucle, comme une transe pour m’amener à un état autre, de concentration sur le sentiment et le mouvement que je veux donner au message que passerai à travers la toile quand elle sera prête. La musique c’est un rituel qui me retire de la dureté du quotidien (guerre, pandémie, genre, réchauffement climatique …) et me met dans un état de sublimation, de compréhension et de sentiment de la vie d’une forme macro. Elle me met dans l’état de que nous sommes un : l’océan, atomes, univers, être humain, nature. Je me sens dans un océan d’énergie unique. » nous détaille-t-elle.
« Un instant de rêve contient une âme entière »
Sa fascination de la Nature lui fait citer Gaston Bachelard (1884-1962) « Devant l’eau profonde, tu choisis ta vision ; tu peux voir à ton gré le fond immobile ou le courant, la rive ou l’infini ; tu as le droit ambigu de voir et de ne pas voir ; tu as le droit de vivre avec le batelier ou de vivre avec « une race nouvelle de fées laborieuses, douées d’un goût parfait, magnifiques et minutieuses ». La fée des eaux, gardienne du mirage, tient tous les oiseaux du ciel dans sa main. Une flaque contient un univers. Un instant de rêve contient une âme entière. » dans L’Eau et les Rêves Essai sur l’imagination de la matière (1942). Si l’eau est aussi un de ses thèmes récurrents, Daniela Busarello crée aussi ses « minéraux-murmures » qui marquent les traces de transformation des civilisations. Vivants ils se transforment au fil du temps par les souffles des vents, des marées. Elle les cueille comme des reliques qui deviennent « pigments-fragments de bonheur ».
Chaque lieu connaît ses esprits et chaque lieu incarne son âme.
Daniela est habitée d’un panthéisme fertile, ses œuvres en tracent les contours évolutifs. Elles parlent des « esprits qui échappent au temps, qui unissent les rivières, les montagnes, les villages. Ces esprits des ancêtres, des amis, de ceux qui ne sont plus. Les esprits qui veillent sur le présent, qui nous saluent de temps en temps dans un courant d’air éphémère, dans la pluie qui nous fait renaître, dans la vue des montagnes. Ces esprits de l’eau et des forêts, créatures fabuleuses qu’on ne rencontre que la nuit tout comme la lune blanche… L’esprit protecteur du lieu. Les Romains considéraient les génies comme des êtres surnaturels habitant à la fois les lieux et les individus. Chaque rivière, montagne, arbre, village, place et maison était pourvus d’un esprit protecteur. Leur rôle était de veiller sur les endroits et les personnes qui les fréquentent… Chaque lieu incarne son âme, son histoire, ses mémoires. Que ce soit un souvenir inscrit dans les rues d’une métropole, par l’asphalte qui le transpire et les murs silencieux qui en sont témoins – minéraux. Que ce soit l’eau, ou les plantes … »
A vous de jouer !
« Les titres donnent une piste de ce qu’exprime la composition abstraite – sensation, image, personne, lieu. Au début je laissais sans piste – je donnais seulement le nom de la série (inner landscape, plonger, herbier visceral, elapsed time,) – petit à petit j’ai eu envie de raconter l’histoire de ce que je peins par son titre ».
Bien entendu, chaque peinture parle bien plus que son titre. Elle cherche à chaque fois un moment de rencontre avec ceux et celles qui sont plus curieux qu’elle.
Le serez-vous ?
Pour suivre Daniela Busarello
Le site de Daniela Busarello
Plus sur ses galeries :
- Sage Culture (Los Angeles)
- Mouvements Modernes (Paris)
A voir :
- 30 juillet-31 décembre, Paranauê, exposition collective, Circular-Arte, na Praça Adolpho Bloch, São Paulo,
- 15 au 23 octobre, Genius Loci, L’Appartement d’Auguste Perret, la commissaire Marion Vignal fait dialoguer architecture, design et art, dans l’appartement d’Auguste Perret, 51, rue Raynouard à Paris. Chaque édition offre une déambulation singulière qui convoque tous les sens en révélant l’esprit du lieu artistique à travers les œuvres et commandes spéciales d’artistes invités,
- 15 au 23 octobre, Paris+ Art Basel / Design Miami stand de la galerie Mouvements Modernes.
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