Culture
Le Paris de la modernité 1905-1925 (Petit Palais – Paris Musées)
Il est toujours passionnant de plonger dans le bain du Paris de la modernité, au Petit Palais jusqu’au 14 avril. 1905-1925, 20 ans d’effervescence d’« ismes » et d’avant-gardes de tout poil que plus de 380 œuvres et documents permettent d’illustrer quitte à trop survoler. Si l’ambition encyclopédique pluridisciplinaire reste folle, les pistes ouvertes sont pertinentes: liens entre technique et artistique, cosmopolitisme et télescopage culturels, pour Olivier Olgan nourries par le remarquable catalogue Paris Musées. La vraie nouveauté vient de l’accent mis sur le quartier des Champs Elysées, enfin reconnu « à la croisée des esthétiques et des générations », entre Le Bateau Lavoir de Montmartre et La Ruche de Montparnasse toujours valorisés. Une magnifique synthèse de l’âge d’or de la « ville monde ». On en redemande.
Deux décennies folles éruptives, de la Belle Époque aux Années Folles
Ici la plongée donne le vertige ! Tant de chefs d’œuvres accumulés, tant de noms plus ou moins méconnus dévoilés dont un cortège de femmes , tant de juxtapositions et de rapprochements esthétiques… l’ effervescence permanente jamais ne ralentit au fil des onze sections chrono-thématiques, sans être linéaire.
Chaque « avant -garde » souvent autoproclamée ou « dénoncée » remet aussi les autres en perspective. Quitte à ne pas chercher à s’appesantir. L’ambition est autre, à la fois chronologique et thématique : capter ce qui a bâti notre « modernité » et son imaginaire, du scandale de la « cage aux fauves », en 1905, jusqu’au triomphe de l’Art déco… vingt ans de révolutions qui ont forgés l’imaginaire du XXe siècles
Des télescopages inédits
Chemin faisant, en enjambant la période tragique de la Grande Guerre, le parcours donne à voir le télescopage inédit de « foudroyantes » ruptures, de la fin de l’art au « retour à l’ordre », la place prise par les femmes artistes, sur fond de scandales sociétaux qui éclatent – corollaires saisissants des mutations sociales qui sont à l’œuvre. On y découvre l’« esprit nouveau » qui anime Guillaume Apollinaire, autant que « la lumière, la couleur, la liberté, le soleil, la joie de vivre » qui éblouissent Marc Chagall, tout juste installé à Paris.
Le soleil de l’art ne brillait alors que sur Paris, et il me semble qu’il n’y a pas de plus grande révolution de l’œil (…). Les paysages, les figures de Cézanne, Manet, Renoir, le fauvisme de Matisse et tant d’autres me stupéfièrent. »
Marc Chagall
Les mutations de l’esthétisation du monde
De la « fin de l’art » (du ready made de Marcel Duchamp) au design appliqué à l’industrie qu’intègrent les innovations technologiques, de la voiture à l’avion, la modernité crée cet « état gazeux », ou « esthétisation du monde » chez à Gilles Lipovetsky dont les alchimistes venus du monde entier et de tous horizons ont pour noms : Pablo Picasso, Paul Poiret, Sonia Delaunay, Marcel Duchamp, Erik Satie, Jacqueline Marval, mais encore Man Ray, Chana Orloff, Marie Vassilieff, ou Amedeo Modigliani, Robert Mallet-Stevens, René Clair, Joséphine Baker et tant d’autres….
Trois artistes, acteurs et éclaireurs sont les fils rouges de ce labyrinthe de chocs visuels : Picasso, du cubisme à l’ordre, Van Dongen anarchiste au départ puis peintre mondain, prince de fêtes débridées, Foujita, caméléon plus discret mais intimement lié à cette double décade de caméléon. Chacun peut évidemment regretter l’absence de ses héraults (Raymond Radiguet plutôt que Marcel Proust ! …).
Une révolution de l’œil permanente
Bien sûr, certains « ismes » sont familiers qui avec pertinence harmonisent arts et industrie. D’autres « centres » créatifs bien connus, comme les creusets du Bateau Lavoir à Montparnasse et la Cité de La Ruche, inaugurée en 1902 à Montmartre. Véritable révélation du parcours l’accent mis sur le quartier des Champs-Élysées, « géographie inédite de présentation et de consécration de l’art moderne ».
Terrain à conquérir, le quartier des Champs-Élysées s’impose alors comme le nouveau « théâtre des avant-gardes », où « se croisent les esthétiques et les générations », pour le dire avec Béatrice Joyeux-Prunel3. Le Tout-Paris s’y presse à l’occasion des Salons organisés au Petit puis au Grand Palais : les Salons dits « artistiques », Salons des indépendants et Salons d’automne, y côtoient ceux de « l’auto[1]mobile, du cycle et des sports. (…) Contre toute attente, c’est aussi au cœur du quartier des Champs-Élysées que les scandales font rage !»
Annick Lemoine, Directrice du Petit Palais, co-commissaire introduction du catalogue
Vitesse et paillettes, jazz, coupes garçonnes et courbes symbiotiques.
S’il est difficile dés lors de tout noter de ce bain de signes et de sens, le catalogue y contribue avec ses textes pour chaque période. A la sortie de ce bain de jouvence, grâce à la mise en scène efficace de Philippe Pumain, Paris reste plus que jamais à nos ébaubis la ville-monde, on en redemande !
Bien avant les JO, à Paris, tout allait alors « plus vite, plus haut, plus fort ».
Pour aller plus loin
Le Paris de la modernité, Jusqu’au 14 avril 2024. Petit Palais, Avenue Winston Churchill 75008 Paris
Catalogue, sous la direction de Juliette Singer (Paris Musées 368 p. 39€) Une invitation d’une vingtaine d’auteurs de référence pour tirer les fils du bouillonnement d’une capitale cosmopolite et foisonnante, où se croisent des artistes venus du monde entier et de tous horizons, de Pablo Picasso à Sonia Delaunay, de Marie Vassilieff à Paul Poiret, de Fernand Léger à Joséphine Baker. Associant la mode, le cinéma, la photographie, la peinture, la sculpture, le dessin, mais aussi la danse, la musique, la littérature, le design, les arts décoratifs, l’architecture et l’industrie, cet ouvrage célèbre la fabuleuse ébullition créatrice de deux décennies qui marquent l’imaginaire de notre modernité.
L’énergie des années 1920 qui électrise les corps les métamorphose en silhouettes élancées et sportives. Le romancier Henri Béraud obtient le prix Goncourt 1922 avec Le Martyre de l’obèse, où s’exprime le mépris qui s’attache désormais aux figures empâtées des notables de l’ancien monde. (…)
La véritable réussite de l’Exposition est d’orchestrer les tensions entre modernité, antimodernité et ultramodernité qui ont fait de Paris l’un des creusets les plus vivants et féconds du premier quart du xxe siècle.
Paul-Louis Rinuy, Paris « plus vite, plus haut, plus fort », essai du catalogue
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