Culture

Le Pari(s) Surréaliste : Masson, Ernst, Fini, Tanning, Carrington, Prévert et Jackson Pollock

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 22 octobre 2024

Paris surfe sur le surréalisme. Si tous les hérauts du Surréalisme chantent dans la magnifique rétrospective présentée au Centre Pompidou jusqu’au 13 janvier 2025, grâce à la coordination inédite du Comité des Galeries d’Art, de très nombreuses expositions parisiennes prolongent la fête sur des figures emblématiques qui animèrent le pari surréaliste : André Masson (Galerie Jean-François Cazeau), Max Ernst (Galerie Jeanne Bucher Jaeger), Léonor Fini, Leonora Carrington, Dorothea Tanning (Galerie Raphaël Durazzo), Jacques Prévert (Musée de Montmartre) ou en furent fascinées comme Jackson Pollock (Musée Picasso). Sa dynamique percussive reste un éblouissement et un avenir, prenant pour Olivier Olgan « à revers un monde qui, chaque jour un peu plus, travaille à nous faire oublier notre vie » (Qui vive, Annie Lebrun)

André Masson, le surréalisme révolutionnaire (Galerie Jean-François Cazeau)

Pour ceux qui auraient raté l’immense rétrospective « Masson, Il n’y a pas de monde achevé«  au Centre Pompidou-Metz, quelques-uns de tableaux prêtés se retrouvent dans un accrochage très dense à la Galerie Jean-François Cazeau,  Pour plonger dans cette œuvre fondatrice il faut écouter Jean-François Gazeau sa reconnaissance pour un artiste dont la première rétrospective posthume en 1990 correspond à son arrivée dans la Galerie de son oncle Philippe Gazeau.

 » Grâce à l’œuvre d’André Masson j’ai appris l’histoire de l’art. Dans son œuvre je voyais un compte-rendu de la modernité du XXe siècle, du fauvisme et cubisme jusqu’à la liberté de l’abstraction lyrique dans l’après-guerre. De plus, dans sa reprise des mythes méditerranéens, dans ses références littéraires, son œuvre dépassait le cadre de la peinture vers la philosophie. »
Jean-Philippe Cazeau. catalogue

vue de l’exposition André Masson, Le Surréalisme révolutionnaire (Galerie Jean-François Cazeau) Photo OOlgan

Son équipe dont Diana Durlanescu auteure du catalogue, est un merveilleux passeur pour comprendre cette œuvre complexe et protéiforme. Cette invitation au rêve, au flux comme moteur de la créativité, ne cesse de se renouveler grâce à une gestualité libérée. Cet artiste moderne et postmoderne à la fois, a créé un art éclectique, fondé sur la dynamique de l’instabilité et l’ambivalence entre érotisme et violence, et «obsédé par l’expression du devenir» des choses.

vue de l’exposition André Masson, Le Surréalisme révolutionnaire (Galerie Jean-François Cazeau) Photo OOlgan

Des grands thèmes se distinguent, que Masson arrive à intégrer lors de sa vie aux styles successives : la Métamorphose, qui désigne la loi inéluctable et fondamentale de la nature – la transformation de tout ce qui vit, qui mort et qui s’accouple ou germine ; la Mythologie– une mythologie propre à André Masson, où l’amour et la haine sont étroitement liés à la mort, une vision d’un monde autre que le nôtre (et André Breton avait lui-même lancé l’appel à une nouvelle mythologie surréaliste), et, enfin, les Massacres, des scènes d’une mort collective, des œuvres chamaniques au but d’exorciser les monstres du monde réel.
Diana Durlanescu, auteur du catalogue

Toutes les facettes de cette œuvre qui refuse les étiquettes, sont abordées à travers des chefs d’œuvres, depuis ses débuts cubistes imprégnés d’imaginaire surréaliste, jusqu’à ses célèbres sables, dessins automatiques, et drippings sur lesquels rebondit toute une génération de peintes américains, de Pollock à Gottlieb.
Il faut se ressourcer auprès de l’équipe de Jean-Franços Gazeau!!
Jusqu’au 21 décembre 2024, Galerie Jean-François Cazeau – 8 rue Sainte-Anastase 75003 Paris – A lire le catalogue disponible à la galerie où la trentaine d’œuvres présentées fait l’objet d’une analyse précise et éclairante.

Jackson Pollock : les premières années 1934-1947 (Musée Picasso)

Pour se rendre compte de l’influence des surréalistes en général, et d’André Masson en particulier, sur toute une génération de peintres américains, il faut aller au Musée Picasso situé à une centaine de mètres, pour découvrir les sources et les mouvements de pensée qui ont nourri le jeune artiste Jackson Pollock : le régionalisme des années 1930, la psychanalyse jungienne, le muralisme mexicain et les avant-gardes européennes. Les années 1930-1947 chez Pollock, soit de son arrivée à New York à la date généralement retenue pour ses premiers drippings dessinent une trajectoire en insistant sur le contexte qui a permis à Pollock d’émerger, et sur les figures de passeurs qui l’ont accueilli, soutenu et accompagné.

vue de l’exposition Jackson Pollock Les premières années (1934-1947) (Musée Picasso) Photo OOlgan

« Ce que révèle la diversité des œuvres produites à partir de procédés assimilés au dripping, c’est l’importance des pratiques d’ateliers, collaboratives et expérimentales, dans lesquelles s’inscrivent les œuvres d’un artiste moins solitaire que la légende n’a pu le laisser entendre. »
Orane Stalpers, Jackson Pollock et la trouvaille du dripping, essai du catalogue Flammarion.

Jackson Pollock Les premières années (1934-1947) (Musée Picasso) Photo OOlgan

Jusqu’au 19 janvier 25, Musée Picasso, 5 Rue de Thorigny, 75003 Paris

La surréaliste marginale, Léonor Fini (Galerie Minsky)

J’ai toujours imaginé que j’aurais une vie très différente de celle que l’on imaginait pour moi, mais j’ai compris dès mon plus jeune âge que je devrais me révolter pour que cela se produise. »

L’expression du désir est l’aiguillon de Léonor Fini (1907-1996). Née en Argentine et élevée en Italie,  elle se lie dès 1931 aux grandes figures du surréalisme et participe aux expositions manifestes comme « Dessins surréalistes » en 1935 à Paris et « Meubles surréalistes » en 1939. Critiquant la misogynie de Breton,  l’artiste polyvalente et indépendante fait de la tension profondément érotique de son inspiration, la dynamique de son théâtre imaginaire : de fêtes dionysiaques, de rêveries androgynes, où se déploient souvent masquées des femmes, fleurs évanescentes ou sphynx troublants. Le désir triomphe, l’homme est sauvé par la femme.

vue d’exposition de Léonor Fini, La surréaliste marginale (Galerie Minsky) Photo OOlgan

Chez Léonor Fini, cette beauté et cette justesse du tracé expriment la sensation de la pensée graphique la plus juste : pure expression de la joie de vivre, chant du plaisir et de rire de l’enfance afin d’éclaircir, d’agrandir à l’aide du trait ou de la couleur, du décor ou du costume, les marges rayonnantes du paysage intérieur.

Léonor Fini, La fleur inconnue, 1994 (Galerie Minsky) Photo OOlgan

jusqu’ au 18 janvier 2025, Galerie Minsky – 37 rue Vaneau 75007 Pari

  • jusqu’au 2 novembre, rétrospective avec des œuvres rares entre 1927 à 1995, Femme en armure (1938), un autoportrait en sphinx (1943), et le portrait de l’architecte Lino Invernezzi (1944-1945)
  • du 7 novembre au 7 décembre 2024, des œuvres de Léonor Fini et de son ami Stanislao Lepri, puis sur papier, du 12 décembre 2024 au 18 janvier 2025.

Histoire Naturelle, de Max Ernst (Galerie Jeanne Bucher Jaeger)

C’est en  1925 que Jeanne Bucher ouvre sa galerie, le surréalisme n’a qu’un an. Intuitive, la galeriste visionnaire comprend la portée novatrice du  frottage, équivalent graphique de l’écriture automatique, avec lequel Max Ernst (1891–1976) laisse parler son imaginaire.

Son Histoire naturelle, édité en 1926 constitue l’un des tout premiers albums des Éditions Jeanne Bucher. Cette sismographie des états géologiques lui permet toutes les fuites littéraires, tous les vagabondages intellectuels, toutes les aventures imaginatives. «  Une suggestion plastique du vide, des sons qui s’amplifient en ondes calligraphiées » pour Tériade, Cahiers d’Art n° 4 du mai 1926.

Vue de l’exposition, Max Ernst, Histoire Naturelle, Galerie Jeanne Bucher Jaeger Photo Jeanne Bucher Jaeger

« Ce que nous appelions bien fièrement ‘notre éducation’ est à refaire de fond en comble et Max Ernst a raison, qui, sous le simple titre Histoire Naturelle, nous présente réunies en 34 planches les terribles merveilles d’un univers dont notre semelle n’essaiera plus d’écraser les petits secrets, désormais plus grands que nous… » ajoute René Crevel dans la « N.R.F. » n° 169, 1 octobre 1927

A la genèse du frottage

Max Ernst, Histoire Naturelle, La roue de la lumière, 1926 Galerie Jeanne Bucher Jaeger Photo Galerie Jeanne Bucher Jaeger

« Partant d’un souvenir d’enfance au cours duquel un panneau de faux acajou situé en face de mon lit avait joué le rôle de provocateur optique d’une vision de demi-sommeil, et me trouvant, par un temps de pluie, dans une auberge, au bord de la mer, je fus frappé par l’obsession qu’exerçait sur mon regard irrité le plancher dont mille lavages avaient accentué les rainures. Je me décidais alors à interroger le symbolisme de cette observation, et… je tirai des planches une série de dessins, en posant sur elles, au hasard, des feuilles de papier que j’entrepris de frotter à la mine de plomb…

Ma curiosité éveillée et émerveillée, j’en vins à interroger indifféremment, en utilisant pour cela le même moyen, toutes sortes de matières pouvant se trouver dans mon champ visuel : des feuilles et leurs nervures, les bords effilochés d’une toile de sac… » Max Ernst

En dialogue avec cette présentation d’Histoire Naturelle, de Max Ernst, se tient à la galerie la nouvelle exposition d’Evi Keller, ORIGINES, du 21 septembre 2024 au 18 janvier 2025.
Jusqu’ au 18 janvier 2025, Galerie Jeanne Bucher Jaeger, 5 Rue de Saintonge, 75003 Paris

Le Surréalisme au service de la distraction (Galerie Raphaël Durazzo)

Si l’espace de la Galerie Raphaël Durazzo est limité, la douzaine d’œuvres présentées – uniquement de femmes surréalistes – mérite le détour. D’autant que nous étions aiguillonnés par le stimulant texte de la commissaire Alyce Mahon, dont voici quelques extraits :

En 2002, Dorothéa Tanning a déclaré : «Je suppose qu’on me définira comme une surréaliste pour toujours, comme si je m’étais faite tatouer : D. Loves S.» Jeune artiste, elle a vu dans le Surréalisme un monde passionnant de possibilités, avec l’âge, elle reconnaît que son nom y sera toujours associé. (…) Tanning, aux côtés de Leonora Carrington, Léonor Fini et d’autres artistes de leur génération, a mis le surréalisme au service des femmes, en faisant progresser ses intérêts pour l’inconscient, la mythologie, la magie et le désir. (…)

sculptures de Léonora Carrington, dessin de Léonor Fini  et Dorothéa Tanning, Le surréalisme au service de la distraction (Galerie Raphael Durazzo) Photo OOlgan

Leonora Carrington, Composition, 1950, Le surréalisme au service de la distraction (Galerie Raphael Durazzo) Photo OOlgan

La distraction, qu’elle prenne la forme d’un membre nu, d’un visage énigmatique, d’un animal hybride ou d’un paysage liquide qui semble se mouvoir sous nos yeux, unit les œuvres de ces artistes. La distraction sert à saper le monde rationnel dans lequel nous vivons et à nous attirer dans un monde surréaliste où l’émerveillement et la métamorphose sont constants. Les femmes artistes se sont tournées vers le concept de distraction non pas simplement comme un accessoire ou un style, mais comme une vision philosophique du monde: il défie l’idée qu’il n’y a qu’une seule façon de voir, de maîtriser la vie. (…)

La distraction implique l’agitation de l’esprit et des sens (…) En termes surréalistes, nous pourrions dire que la distraction garantit que l’art déborde de la toile et de l’espace de la galerie pour contaminer poétiquement la foule, activer de nouvelles expériences et engendrer d’autres distractions. (…)

Cette exposition explore également l’héritage de l’esprit surréaliste en faisant participer trois jeunes femmes artistes à la conversation :   Sara Anstis qui exploite la sensualité haptique du pastel et se délectent de rendre étrange une scène familière, et Dans Sleepers (2024) où les animaux et les humains partagent une intimité discrète, suggestive et érotique.
Jusqu’ au 23 novembre 2024, Galerie Raphaël Durazzo,  23 Rue du Cirque, 75008 Paris

Jacques Prévert, le rêveur d’images (Musée de Montmartre)

On connait le poète, le scénariste dialogiste (Les enfants du Paradis, un des sept avec Marcel Carné et bien d’autres, Jean Renoir, Jean Crémillon, et Christian Jacques) (La Cinémathèque rend hommage du 19 décembre au 31 décembre), mais on connait moins sont travail graphiques en général, et ses collages en particulier.  Du Surréalisme, Jacques Prévert (1900-1977) a retenu les images et les mots qui ouvrent « des champs magnétiques » si on les associe ou les colle avec amour et une pointe d’innocence. Pour mieux pénètrer le monde ‘à la Prévert’, le musée de Montmartre présente une grande série de collage où le poète et scénariste a libéré son imagination pour ouvrir la nôtre.

vue des collages de Jacques Prévert rêveur d’images (Musée Montmartre) Photo OOlgan

Les collages témoignent d’une recherche esthétique particulière, où le «beau » n’est as idéalisé mais exploré à travers le rythme, l’équilibre ou même le déséquilibre.
Ses œuvres surprennent par le détournement des images, un procédé qui confère à ses créations un caractère unique. Il enquête le présent par une approche très ludique. La démarche de Prévert dans ses collages s’inscrit dans le mouvement surréaliste. En détournant les images et en les recomposant, il crée de nouveaux mondes empreints de symboles. »
Alice S. Legé, co-commissaire avec Eugénie Bachelot Prévert

Souvent éclipsées par ses écrits, ses collages, souvent intimes et confidentielles, sont révélatrices d’un rêver d’images ouvrant de nouveaux imaginaires, qui méritent d’être redécouverts.
Jusqu’ au 16 février 2025, Musée de Montmartre, 12, rue Cortot – 75018 Paris – infos@museedemontmartre.fr

Gardons en tête et au cœur l’ urgence surréaliste à « repassionner le monde »

Pour aller plus loin sur le pari du Surréalisme

Alors si « inactuel » le surréalisme ?

Parmi ses « Considérations actuelles sur l’inactualité du surréalisme », passionnant et lumineux essai d’abord publié en  1991, puis, réédité sur « l’effet électrisant » du surréalisme, Annie Le brun rappelle:

« cet éclair qui, pour la première fois, a relié la révolte et l’émerveillement. Mais c’est aussi l’éclair comme pont jusqu’alors impensable entre « il était une fois » et il sera une fois « . Telle pourrait être la plus brève façon d’évoquer le surréalisme »

Se plonger dans ce petit livre dense, jouissif et combatif, intitulé « Qui vive » (Flammarion), c’est accepter qu’ au commencement de tout de ce qui nous importe est lié au désir.

« Autant au désir de ce qui est autre qu’au désir de l’autre, rien ne va plus à l’encontre du monde qu’on est en train de nous imposer »

C’est retrouver la fièvre créatrice de ce barrage aux conditionnements multiples d’une société « travaillant à l’anéantissement de ce qui n’est pas marchandisable », par l’infini de ce qui le traverse.
C’est nourrir aussi ce refus du conformisme de « ces images sans horizon (qui) se rejoignent à montrer quelque chose qui a commencé et que rien ne paraît pourvoir arrêter. (…) Elles ne sont que tension, effort, accélération pour fuir tout ce qui pourrait retenir. »

Mais au-delà de devoir de mémoire de cette « liberté du surgissement » et plus encore, il s’agit bien comme il y a un siècle sortir de l’inertie de notre zone de confort :

« seule une intervention extérieure peut inciter à sortir, plus exactement à triompher de l’insidieuse inertie qui, en fin de compte, nous tient lieu non pas d’équilibre mais de confort » …       

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