Auteur : Frédéric Turpaud, chef sommelier du Divellec, Maître Sommelier de l’Union de la Sommellerie Française
Article publié le 29 janvier 2021

Terre de grands vins blancs par excellence, l’Alsace connait une mutation fascinante de ses vins rouges. Frédéric Turpaud, Chef Sommelier du Divellec explique les ressorts d’une évolution où le pinot noir alsacien produit de magnifiques vins gourmands. Et conseille trois domaines : Mélanie Pfister , Kirrenbourg, Marc-kreydenweiss

Introduit dans la région au Moyen Age, le Pinot Noir ne représentait que 2% du vignoble dans les années soixante, désormais il atteint 10%. Par le passé des vins parfois un peu maigres, aux maturités irrégulières, se transforment depuis une vingtaine d’années en des vins gourmands, croquants, capables de rivaliser avec bon nombre d’autres Pinot Noirs de France ou d’ailleurs. Explications

Un effet générationnel

Domaine Kirrenbourg Kirchtal+Nieder Grand Cru Brand @DR

Une nouvelle génération de vigneronnes et vignerons est la raison principale de cette évolution. La plupart des héritiers ont étudié ou travaillé dans d’autres régions voire d’autres pays, avant de reprendre le flambeau familial. Cela leur a apporté une ouverture d’esprit, une créativité, de nouvelles techniques de travail tant à la vigne que dans les chais, et surtout une vision du vin à 360 degrés, presque indispensable pour évoluer. Une envie de se démarquer face à une offre nationale et internationale sans cesse croissante. Et pour certains le besoin d’affirmer leurs choix et leur style, devant le regard parfois amusé de leurs aïeux.

Le réchauffement climatique en question

Marc Kreydenweiss Domaine des Perrieres Manduel @ DR

C’est souvent une question qui divise : les rouges d’Alsace sont-ils meilleurs grâce au réchauffement climatique ? Cela joue certainement. Des fins d’été plus douces et des vendanges plus précoces favorisent de meilleures maturités. Mais les désormais récurrentes canicules n’aident en rien, et complexifient le travail à la vigne.
En cinquante années l’Alsace a gagné 1 degré en moyenne, mais surtout sa spécificité de climat continental a changé, avec des hivers plus doux, moins de gelées printanières et des pluviométries en hausse. On pourrait dire que c’est une aubaine à court termes, mais des problématiques à moyen et long terme. Les producteurs devront faire preuve d’imagination pour les nouvelles plantations en particulier. Certains travaillent déjà, à titre expérimental, à l’implantation d’autres cépages rouges pour faire face à la montée des températures.

Evolution des techniques

Alors que les rendements autorisés pour les vins rouges sont de 60 hectolitres à l’hectare, la majorité des domaines ont compris que l’amélioration des Pinots Noirs passait aussi par une réduction des rendements. Certains descendent jusqu’à 25 hectolitres à l’hectare.

La généralisation de l’égrappage courant des années 80, a permis une meilleure régularité.

Domaine Kirrenbourg Kirchtal+Nieder Grand Cru Schlossberg @ DR

Des vinifications plus précises, audacieuses, avec des cuvaisons plus longues, et contrôle des températures. Et également des élevages en barrique pour les meilleurs crus.

Enfin bon nombre de producteurs ont commencé à planter du Pinot Noir sur des sols plus nobles, voire des terroirs classés. Fini le temps de planter du Pinot Noir sur les parcelles les moins intéressantes, si on veut faire un grand vin rouge cela passe aussi par un choix de parcelles, et la diversité de sols et d’expositions de l’Alsace permet moultes possibilités. Des sols ferrugineux et calcaires sembleraient être les plus adaptés à ce cépage capricieux.

A quand des Pinots Noirs Grand Cru ?

L’appellation Grand Cru est pour l’heure réservée aux cépages Riesling, Gewurztraminer et Pinot Gris. Plusieurs demandes ont été faites ces dernières années afin de pouvoir classer certains Pinots Noirs, mais sans succès pour l’instant. En tout cas certaines cuvées le mériteraient … A suivre …

Et les consommateurs dans tout ça ?

Avec une image ancrée de vin léger à boire un peu frais, le Pinot Noir d’Alsace a mis du temps à se faire une place dans le cœur des Français. Mais le travail des sommeliers et cavistes commence à porter ses fruits, et l’on peut désormais retrouver les meilleurs sur les tables étoilées.

A l’export le nom du cépage lui apporte une aura naturelle, 25 % des rouges d’Alsace sont vendus hors hexagone. Les amateurs éclairés y voient également une alternative aux Bourgognes, avec des rapports qualité-prix parfois plus intéressants.

Une (dernière) bonne raison pour aller les déguster

Les Pinots Noirs d’Alsace n’ont jamais été aussi bons et variés. Une évolution permanente, dynamisée par des vignerons et vigneronnes passionnés par ce cépage, et ça c’est fondamental. Croire en sa vigne c’est déjà faire du bon vin !