Vins & spirits

Les crus de Meknès, d’Essaouira et des Zaërs font briller la cuisine marocaine

Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 8 avril 2022

[Les pépites de la révolution viticole] D’autres régions du monde, d’autres pays que l’Hexagone, ont eux aussi basculé dans la révolution viticole. Le Maroc est de ceux-là constatent Etienne Gingembre et Mohamed Najim dans leur livre « Quand le vin fait sa révolution » (Cerf). Ils accordent le meilleur des recettes marocaines avec une sélection de magnifiques nectars locaux : Château Roslane, Domaine du Val d’Argan, Château Larroque, Les Trois Domaines, Domaine de Khmis, Domaine de la Ferme Rouge.

Les multiples influences d’une gastronomie reconnue

Dans une brève chronique datée du 1er décembre 1990, La Reynière, le fameux critique culinaire du « Monde » a célébré la cuisine marocaine. Ce fut l’un des premiers articles à décrire avec autant de précision et de goût les subtilités de ces recettes orientales. Il commençait par une citation de Raymond Oliver, le grand chef médiatique et télévisuel qui venait tout juste de disparaitre : « La cuisine marocaine, écrivait cette légende aux trois étoiles, est la plus riche en variété et la plus recherchée en qualité de toutes les cuisines d’Afrique du Nord ». Depuis cette reconnaissance n’a jamais été démentie. En 2015, le site britannique Worldsim la considérait comme la deuxième cuisine du monde. Un avis sur lequel « Le Figaro » s’alignait plus récemment en écrivant, le 28 octobre 2015 : « Le Maroc se hisse au top des destinations gastronomiques ».
Ce pays du Maghreb et de la face atlantique a été un foyer de courants d’influence très divers : berbères, juives-berbères, juives-sépharades et ultérieurement arabo-andalouses, voire subsahariennes, au temps où l’influence du royaume s’étendait au-delà de Tombouctou et avant que la colonisation ne le fige dans ses frontières actuelles, taillées selon les intérêts de la France coloniale. Dans les repas, le service à la russe s’est peu à peu généralisé en commençant par les entrées, suivies d’un plat principal voire de plusieurs plats, et se terminant par un dessert, du thé et des pâtisseries.

La traditionnelle salade marocaine s’invite à tous les repas

La salade méchouiya à la marocaine Photo DR

La salade méchouiya (on reconnait la racine méchoui qui signifie grillé ou rôti) est constituée de poivrons, à l’origine grillés sur un feu de bois pour en détacher la peau et en adoucir le croquant, le même sort étant réservé aux tomates. En plus du sel et de poivre, cette salade est parfumée avec du cumin et un zeste de citron. Tout aussi traditionnelles, vous avez la salade zaâlouk à base d’aubergines grillées et pilées, la salade de carottes ou de courgettes cuites et assaisonnées d’aromates, de « bekkoul » une espèce d’herbe sauvage proche du pourpier, cuite, ainsi que les briouates qui sont de petits triangles ou rouleaux de pâte fine farcis avec de la viande hachée assaisonnée, de la farce à pastilla, voire avec du fromage, des légumes et des fruits de mer.

Les vignobles du Chateau Roslane constituent le paysage d’un somptueux Relais & Chateaux éponyme Photo DR

Accord Vin &Met : Pour accompagner ces entrées, nous vous proposons deux cuvées du Château Roslane, le domaine de prédilection de Reda Zniber. Brahim, son père, est l’ingénieur agronome qui a relancé la viticulture dans la région de Meknès. Propriétaire des Celliers de Meknès (2000 hectares), il est décédé à 96 ans en 2016. Pur chardonnay, le Château Roslane, Coteaux de l’Atlas 1er Cru est l’un des meilleurs vins blancs marocains. Une belle complexité, avec des notes d’agrumes et d’épices locales et une finale sublime. On le trouve pour un peu moins de 20 euros sur des sites de vente en ligne.
On trouvera aussi, pour 8,90 euros, sa Cuvée Première 2018, qui est un assemblage de Sauvignon et de Viognier. Un nez fruité assez engageant, une attaque avec une belle vivacité, suivie d’une finale est veloutée dotée d’une belle richesse aromatique.

Les soupes de viande et de pois chiches sont très appréciées au Maroc

La Harira marocaine Photo Cuisine Marocaine

La harira est une soupe très populaire au Maroc et aussi dans l’Est Algérien. La Reynière lui consacre tout le premier paragraphe de son article : « La Harira est une soupe aux multiples versions cuisinée avec des abattis de volailles ou de la viande de mouton (coupée en dés), du riz ou des pois chiches voire des fèves fraiches ou des lentilles, parfumées avec un gros bouquet de coriandre. Elle est épaissie à la farine. C’est un vrai repas, le premier que l’on consomme au Maroc pour rompre le jeûne du Ramadan et pour se réchauffer, lorsque l’hiver glace cette terre. »

Charles Melia a créé le Val d’Argan à Ounagha, un village situé à une vingtaine de kilomètres à l’est d’Essaouira

Accord Vin&Met : Nous, on aime particulièrement le rosé Perle grise de Mogador, une cuvée du domaine du Val d’Argan, que le site vivino.com propose pour 9,22 euros la bouteille. Propriétaire du Château de la Font du Loup, Charles Melia a créé le Val d’Argan à Ounagha, un village situé à une vingtaine de kilomètres à l’est d’Essaouira. Il y vinifie douze cuvées dans les trois couleurs.

La pastilla est une entrée royale pour des repas de fête

C’est une espèce de tourte constituée d’une pâte très fine, « étirée avec les doigts » dans un atmosphère sèche, si possible, à partir d’une boule de pâte posée sur une table. Cette pâte est ensuite garnie de diverses farces : de viande de poulet désossé ou de pigeon, d’amandes, d’aromates, d’œufs et, même, dans la nouvelle cuisine marocaine d’une farce faite avec des fruits de mer.

La Pastilla Photo Mohamed Najim

Une fois la farce déposée, on recouvre le tout d’une seconde feuille de pâte finement étirée avant de mettre la pastilla au four. Cette recette n’est pas sans rappeler le « pastis gascon », une sorte d’apple pie ou de tourte aux pommes qui fait la spécialité du Gers dans le triangle formé par Condom, Eauze et Lectoure. Les gastronomes les plus érudits vous diront que la pastilla et le pastis gascon ont la même origine andalouse.
C’est une conséquence heureuse de la reconquista, l’expulsion des Maures et des Juifs d’Espagne par Isabelle la catholique.

Accord Vin&Met : Curieusement, la pastilla s’accordera avec un rouge corsé comme avec un vin blanc. Nous avons choisi le Château Larroque blanc que le groupe Castel vinifie à Beni M’tir, près de Meknès et commercialise pour 5 euros la bouteille dans son réseau de caves Nicolas. Un nez intense d’arômes exotiques et de fleurs blanches, une bouche équilibrée, ample et friande.

Le tajine est un ragoût traditionnel dont il existe plus de 400 variétés

Dans la tradition, c’est un ragoût épicé d’agneau et de légumes cuit à l’étouffé sous un cône en terre cuite. Mais il existe une multitude d’autres recettes, à base de poulet, de bœuf, de veau, de chameau ou de poisson. Les tagines peuvent être sucrés ou salés, ils peuvent incorporer des légumes ou des fruits, voire des pruneaux d’Agen, des abricots secs ou des dattes. La caractéristique sucré/salé, spécifiquement marocaine dans la culture arabe, relève peut-être d’une influence chinoise, remontant au temps des caravanes lointaines. Quant aux épices qui font le charme oriental de ces tajines, il suffit de s’égarer dans les médinas pour s’imprégner des odeurs du cumin, de curcuma, de paprika, de coriandre, de safran, de cannelle, de thym, de laurier, de gingembre, de girofle, de citron confit, de fleur d’oranger, et enfin de ras el hanout, cet assemblage de dizaines d’épice qui parfume désormais toute la cuisine d’Afrique du Nord.
Très parfumés, les tajines ne sont pourtant pas des plats au goût très fort.

Accord Vin&Met : Nous vous conseillons donc Les Trois Domaines, un Guerrouane rouge souple et velouté, avec beaucoup de légèreté. Guerrouane est une AOP de la région de Meknès (nord-est du Maroc, au pied de l’Atlas). Cet assemblage de cinsault, grenache, carignan et alicante, tout en rondeur, avec une dominante de fruits rouges, est vinifié dans les chais d’une propriété sur sols sablonneux située à 550 mètres d’altitude. Le site de vente en ligne bienmanger.com le commercialise au tarif de 10,25 euros la bouteille.

Le couscous marocain est un miracle de douceur

Le Couscous marocain à l’agneau Photo Mohamed Najim

Les spécificités du couscous marocain ? L’agneau, d’abord, qui est la viande préférée du pays. L’absence d’épices fortes comme les piments brûlants auxquels on préfèrera le piment d’Espelette. Et puis le goût sucré/salé dont nous parlions plus haut, notamment dû à la présence de raisins secs dans la semoule. Voilà pour les fondamentaux, mais les variantes algérienne ou tunisienne du couscous ont bien sûr influencé la recette marocaine. C’est ainsi que les pieds-noirs d’Algérie lui ajoutent de la viande grillée et des merguez et le servent avec des sauces piquantes de type Harissa qui n’est pourtant pas dans la tradition du royaume. Les traditionnalistes peuvent s’en offusquer mais les recettes appartiennent à tout le monde et chacun a le droit de les agrémenter selon son goût. Les Marocains eux-mêmes cuisinent des variantes locales tel le couscous « Tfaya », cuisiné avec une viande d’agneau recouverte d’oignons et de raisins de Corinthe cuits pendant plusieurs heures à basse température.

Accord Vin & Met : C’est comme pour les tajines : pour déguster un couscous marocain, il y a les partisans des rouges et puis ceux des rosés, voire des blancs. Avec une spécialité aux arômes épicés souvent sucrés/salés dont les viandes et les légumes sont cuits dans un bouillon, nous avons tout simplement choisi de servir un gris de Boulaouane. Le Domaine de Khmis Boulaouane Gris est un rosé pâle de cinsault et de grenache situé dans la région côtière de Gharb-Zemmour, sur la façade atlantique nord du Maroc. Vendu autour de 5 euros la bouteille, ce vin sur le fruit et les arômes exotiques s’accordera parfaitement avec votre couscous marocain.

Le méchoui est un agneau rôti, tendre, fondant et goûteux

Le traditionnel Mechoui à l’agneau Photo Mohamed Najim

Le méchoui est aussi, bien sûr, un met d’exception. En peu de mots, c’est l’art de rôtir un agneau en le tenant à distance d’un feu de charbon dont on réduit l’ardeur de la flamme en tournant manuellement et patiemment la broche pendant trois heures. Généralement, on commence par enlever les gigots qui mettent trop longtemps à cuire, après quoi on concocte une préparation d’épices, en mélangeant de l’huile d’olive avec de la pulpe d’ail, du cumin, de la coriandre, du paprika, du sel et du poivre, dont on enduit l’agneau. Trois heures plus tard, on déguste une viande tendre, fondante, goûteuse, que l’on prélève sur la carcasse en la pinçant avec trois doigts de la main droite. Hélas pour les citadins, il s’agit d’un met de plein air…
Très épicé et grillé, le méchoui est une viande au goût puissant.

Le vignoble du Domaine de la Ferme Rouge

Accord Vin&Met : Nous avons donc choisi de l’accompagner de la cuvée Terre Rouge, en appellation Côtes de Rommani, que propose le Domaine de la Ferme Rouge. Cette propriété créée par Jacques Poulain, un viticulteur français, jouit d’une situation unique en plein cœur des Zaërs, région du nord-ouest baigné par l’Atlantique et haut lieu patrimonial des grands terroirs viticoles du Maroc. De couleur pourpre et profonde, cet assemblage de 90 % de syrah avec 10 % de tampanillo (le cépage de la Rioja espagnole) offre un nez marqué par les arômes de cassis, violettes et moka. La bouche, est complexe, fruitée et harmonieuse, soutenue par de jolis tanins souples et frais, avec une finale légèrement poivrée. Les sites le proposent généralement à des tarifs allant de 17 à 25 euros selon le millésime.

La ronde des pâtisseries au miel s’invite au dessert.

Pour clore un repas de fête, les Marocains servent souvent des pâtisseries à base de pâte sablée, d’amandes et de miel. Pour les parfumer, on retrouve la fleur d’oranger, la cardamome, l’anis ou la cannelle. Les spécialistes vous diront que c’est une pâtisserie pas facile à réussir : la cuisson des cornes de gazelle, par exemple, nécessite une maitrise parfaite pour arriver à un équilibre savant entre la sucrosité, le fondant et le croquant.

Le vignoble Val d’Argan vinifie douze cuvées dans les trois couleurs.

Accord Vin&Met : On l’accompagnera volontiers d’un vin de dessert.
En l’occurrence, le miel a guidé notre choix. Au Domaine du Val d’Argan, Charles Mélia propose Orian Blanc, une cuvée vinifiée avec de la clairette et de la roussane. Un beau vin doré, au nez puissant et aromatique de fruits à noyaux. de fruits secs, de pain d’épices et de tabac, à la bouche ample, soyeuse et complexe. Mais attention, Orian Blanc est rare, difficile à trouver et donc cher (près de 50 euros la bouteille).

En savoir plus 

Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€, et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion »

Nos accords vins & mets marocains 

Pour une salade marocaine :
Château Roslane, Coteaux de l’Atlas, Province d’El Hajeb, Région de Meknès – Tél. : +212 535 300 303

Domaine du Val d’Argan, Ounagha, Province d’Essaouira – Tél. :  +212 524 783 467 – d.valdargan@gmail.com

Pour la pastilla
Château Larroque, cuvée Blanc (groupe Castel), Beni M’tir, Meknès

Pour le tajine
Les Trois Domaines, Guerrouane rouge, Nord-Est, Meknès, au pied des montagnes de l’Atlas

Pour le couscous marocain
Domaine de Khmis, cuvée Boulaouane Gris, El-Jadida

Pour le méchoui
Domaine de la Ferme Rouge, cuvée Terre Rouge, Route Rabat-Rommani
km 60 – BP 85 – Had Brachoua 15153 Tél. : +212 537 52 91 93

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