Gastronomie

Les dessous (coquins) du tiramisù

Auteur : Blandine Vié
Article publié le 12 octobre 2018 à 11 h 55 min – Mis à jour le 22 octobre 2018 à 10 h 02 min

C’est l’un des entremets préférés des Français. Le tiramisù est omniprésent sur les cartes des restaurants (et pas seulement des italiens), c’est aussi l’un des desserts les plus préparés à la maison pour recevoir, sans doute parce qu’il est très facile à réaliser et supporte une infinie variété de déclinaisons. Mais deux versions s’affrontent quant à son origine, concomitantes sans être contradictoires.
Onctueux mascarpone sous son voile de cacao
Onctueux mascarpone sous son voile de cacao. Photo © Blandine Vié

La version napolitaine

Ce seraient les Napolitains qui, partis en exil dans les grandes villes d’Europe au XIXe siècle pour fuir la pauvreté, n’auraient pas seulement exporté la pizza mais également un dessert très courant à l’époque : la « zuppa inglese » (soupe anglaise). Un entremets qui s’inspirait des poudings anglais, d’où son nom (1). Cette « soupe » revint ensuite en Italie où les Romains l’adoptèrent aussitôt. On raconte même que, plus tard, les fascistes essayèrent vainement de la débaptiser tant elle était ancrée dans le patrimoine culinaire italien.

La soupe anglaise se fait traditionnellement avec du pain d’Espagne (pan di Spagna) encore appelé « gâteau-éponge » et proche du biscuit de Savoie. Le tiramisù est une adaptation de cette soupe anglaise où l’on a remplacé la crème pâtissière de la recette initiale par du mascarpone auquel on incorpore du café très serré (ristretto). L’usage de ce fromage de l’Italie du Nord serait d’ailleurs plutôt en faveur de la version piémontaise, nous le verrons plus loin.

Concrètement, dans cette version primitive, on étale la moitié du mascarpone au café sur une couche de biscuits à la cuillère, puis successivement une couche de sabayon au marsala épaissi avec du blanc d’œuf en neige, une couche de crème fouettée, puis à nouveau du mascarpone et de la crème. On place ensuite le tout au froid plusieurs heures.

(1) Il faut se rappeler qu’à l’époque, en cuisine française, ces poudings anglais étaient nommés poudings de cabinet car ils se servaient beaucoup dans les salons particuliers. Ce qui n’est pas sans conforter la version coquine que nous évoquons plus loin car si on traitait des affaires dans ces « cabinets », on y invitait surtout des cocottes.

Tiramisu de l’Amirauté aux Saintes-Maries-de-la-Mer

Tiramisu de l’Amirauté aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Photo © Blandine Vié

La version piémontaise

À l’origine, le tiramisu était tout bonnement un remède de bonne-femme que l’on donnait aux personnes affaiblies : enfants, personnes âgées, rachitiques, accouchées et même aux nouveaux époux après leur nuit de noces ! D’où son nom (tirami-sù en italien) qui signifie « remonte-moi ». Un fortifiant un peu à la manière du lait de poule de nos campagnes. Il se préparait surtout dans le nord de l’Italie, entre Lombardie (Milan, Valteline, Bergame), Piémont (Turin) et Vénétie (Vérone), régions productrices du mascarpone. Car le mascarpone est en effet l’ingrédient essentiel au tiramisù. Il s’agit d’un fromage frais double crème à la texture très onctueuse, autrefois fabriqué avec du lait de bufflonne, aujourd’hui avec du lait de vache.

Le tiramisu des grands-mères italiennes n’était pas aussi élaboré qu’aujourd’hui. On faisait une base de sabayon en travaillant des jaunes d’œufs et du sucre en poudre (denrée encore rare), on incorporait du mascarpone et, comme le raconte Massimo Mori (restaurant Mori Venice Bar et Caffè Armani à Paris), on le parfumait non pas avec du marsala mais avec de l’alkermès (« la rouge » en arabe), une liqueur réconfortante de Toscane recommandée pour une bonne digestion. Le tiramisu se mangeait alors avec du pain (tremper du pain dans du vin était d’un usage ordinaire pour des travailleurs qui avaient besoin de 4000 calories par jour pour vivre). Bref, un alicament avant l’heure !

Tiramisu à l’amaretto
Tiramisu à l’amaretto. Photo © Blandine Vié

La Maison de Savoie l’a ennobli et en a fait un dessert

Puis la recette du tiramisu a évolué grâce aux échanges commerciaux avec l’Autriche et avec l’arrivée du café en Italie par le port de Venise. C’est ainsi qu’on a aromatisé le sabayon avec du café amer non sucré pour renforcer l’effet dopant et que l’on a remplacé le pain par du pain de Gênes (génoise) ou des biscuits épais et secs que l’on imbibait de vins tardifs (plus riches en sucre et en alcool car élaborés avec des raisins plus mûrs voire surmûris ou même passerillés) : « joséphine », marsala. L’évolution a continué et l’on s’est mis à utiliser des biscuits à la cuillère, des boudoirs. Rappelons que sabayon, biscuit de Savoie et marsala siciliens sont l’héritage culinaire de la Maison de Savoie (à qui appartenait la Sicile).
Comme le dit encore Massimo Mori : « En cuisine, beaucoup de bonnes choses sont arrivées par les moines ou les nobles qui avaient le temps, la matière et les moyens. » Le tiramisù est ensuite devenu gâteau de mariage, préparé par couches comme les lasagnes et poudré de cacao amer pour un contraste amer-doux-sucré. Mais, à la manière de la zuppa inglese, il se préparait toujours dans un saladier, servi à la cuillère. Ce n’est que dans les années 75, avec l’avènement de la nouvelle cuisine, que le montage à la portion est devenu incontournable en restauration.

Tiramisù des Amis des Messina

Tiramisù des Amis des Messina. Photo © Blandine Vié

Un succès qui serait également dû aux péripatéticiennes !

Le côté remontant de cet entremets dont il est indéniable qu’il est revigorant et stimulant — à tel point qu’il lui a valu son nom — a eu pour effet de lui attribuer ipso facto des vertus aphrodisiaques… ce qui n’était pas totalement faux. Et cela a eu une conséquence inédite qui a participé à sa popularité. Car on raconte que les prostituées de Venise en faisaient une grande consommation pour se donner de l’ardeur et que souvent, lorsque la fatigue se faisait sentir après quelques séances de galipettes, elles descendaient en consommer dans les ruelles de la « Sérénissime ».

Tiramisu framboise. Photo © Elle & Vire

Aujourd’hui, dessert universellement à la mode

Le tiramisu ne bénéficie d’aucune indication géographique protégée, si bien qu’il est devenu universel. Il se décline aujourd’hui selon de nombreuses variantes où les traditionnels biscuits à la cuillère ou boudoirs se diversifient (petits beurres, spéculoos), sans même parler des variantes aux fruits, rouges notamment (parfois même  aux biscuits roses de Reims pour forcer la note).

Côté alcool, on peut toujours le parfumer au marsala mais aussi à l’amaretto (liqueur d’amande), à la liqueur de cacao ou de café, voire au rhum. Quoiqu’en restauration haut de gamme, la légèreté est la règle : pas d’alcool — adieu les fantasmes érotiques ! — et une crème mascarpone allégée par des blancs en neige et de la crème fouettée. Alberico Penati (restaurant Penati al Baretto, Paris) met juste un peu de vin blanc pour monter le sabayon mais il s’évapore à la cuisson. Il prépare aussi des biscuits à la cuillère plats pour qu’ils ne s’imbibent pas trop de café et pour ne pas casser l’élégance du dessert. Et il dresse son tiramisu dans un verre Martini en alternant une crème mascarpone au café, une couche de biscuits, de la crème mascarpone vanille et un glacis de gelée au café. Mais la généralité reste le voile de cacao amer.

En tout cas, à la maison, ne vous privez pas de parfumer le tiramisù à l’alcool de votre choix, car avec le café,  cet ajout est tout de même pour beaucoup dans l’effet « remonte-moi » !

Tiramisu abricot et pistache

Tiramisu abricot et pistache. Photo © Elle & Vire

Où savourer les meilleurs et avec quelles liqueurs et quel vins les accorder

Savourer

Beaucoup de restaurants s’enorgueillissent d’un tiramisù et pas seulement les italiens.
Voici notre sélection parmi beaucoup de prétendants :

Savourer

Beaucoup de restaurants s’enorgueillissent d’un tiramisù et pas seulement les italiens.
Voici notre sélection parmi beaucoup de prétendants :

  • Emporio Armani Caffè & Ristorante* (1* pour le restaurant), 149 boulevard Saint-Germain, 75006 Paris – Tél. 0145 48 62 15
  • Monri Venice Bar, 27 Rue Vivienne, 75002 Paris – Tél. 01 44 55 51 55
  • Penati al Baretto, 9 rue de Balzac, 75008 Paris (restaurant dans l’hôtel de Vigny) – 01 42 99 80 00
  • Les amis des Messina, 81 rue Réaumur, 75002 Paris – Tél. 01 42 61 13 73
  • Roberta, 5 rue la Vieuville, 75018 Paris – Tél. 01 42 59 33 32 et 30 Cour Saint-Émilion, 75012 Paris – Tél. 01 43 41 35 88

À quoi parfumer le tiramisù ?

On peut « fortifier » le café du tiramisù avec différentes liqueurs ou alcools : marsala, amaretto, liqueur de café, liqueur de cacao brun, voire liqueur de châtaignes.

  • liqueur de café (25°),
  • liqueur de cacao brun (25°),
  • liqueur de châtaigne (18°) Cartron, fameuse distillerie de Nuit-Saint-Georges. Elles ont des parfums aromatiques et puissants. Prix en 70 cl : 20 € en vente directe.

Que boire sur le tiramisù ?

On peut boire la liqueur qui a servi à la préparation de l’entremets.

Ou encore :

– Un VDN (vin doux naturel) comme :

  • Le Rasteau Signature 2015 du domaine Ortas. Tuilé, 100% grenache noir (vignes de 50 ans et plus). Le nez très moka et la bouche gourmande, ample et fraîche rappelant les fèves de cacao, la réglisse et le poivre accompagneront parfaitement un tiramisù qui associe cacao et fruits rouges. Prix indicatif départ cave : 13,70 € et chez les cavistes.
  • Ortas, cave de Rasteau, Route des Princes d’Orange, 84110 Rasteau, Tél. 04 90 10 90 14.

Mais aussi surprenant et paradoxal que ça paraisse avec un tiramisù classique fortement cacaoté et pas trop crémeux, un vin rouge peut faire son effet, comme :

  • Un cahors Château Eugénie Haute Collection 2015 100% malbec dont la bouche ample et fondue, équilibrée entre fruit, tanin et fraîcheur enrobera l’entremets à la fois avec tempérament et suavité. Prix départ cave : 24 €.
  • Château Eugénie, Rivière Haute, 46140 Albas, Tél. 05 65 30 73 51

– Enfin, sur un tiramisù aux fruits rouges,

  • Un crémant de Limoux brut (étoile) rosé « Ballerine » élaboré avec des chardonnays et des pinots noirs sera tout à fait épatant. Produit par Gérard Bertrand, il a effectivement l’élégance et la grâce d’une ballerine, d’où son nom. Prix : 37,50 € – vente enligne www.gerard-bertrand.com et chez les cavistes.

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