Gastronomie

Les mystères de l’agneau pascal, entre rituel spirituel et tradition gourmande

Auteur : Blandine Vié
Article revu le 25 mars 2024

Pourquoi les Dieux, et les hommes, sont-ils si gourmands d’agneau pascal, mets du dimanche de Pâques ? Comment distinguer le vrai du faux, du rite et de la chair ? Singular’s ouvre le dossier pour en saisir toutes les saveurs… Une piste est suggérée par Pierre Dac : « Le gros-qui-tache est au Mouton Rothschild ce que la brebis galeuse est à l’agneau pascal. » Une autre passe par des commandes directes aux producteurs comme Axuria, Elovel, Allaiton, Pour de Bon, Guarda Pampa, Maisons Lascours. Sans oublier quelques bons accords agneau et vin, avec une jolie sélection de vins charpentés pour l’accompagner.

 

Agneau pascal, Basilique Saint-Sernin de Toulouse

Agneau pascal, Basilique Saint-Sernin de Toulouse. Photo DR

Un mets devenu rituel le dimanche de Pâques

Zurbaran, Francisco. Agnus Dei, 1635-1640 Les Choses (Louvre) Photo OOlgan

Comme beaucoup de traditions calendaires liées à la table, si l’agneau pascal est un mets devenu rituel le dimanche de Pâques, c’est parce que sa symbolique prend sa source dans la religion chrétienne qui, bien souvent, a superposé des habitudes héritées d’anciennes pratiques païennes en les modifiant afin qu’elles transmettent un nouveau message à caractère prosélyte.
Or, depuis les temps les plus reculés, l’agneau a toujours été l’animal du sacrifice, celui qu’on offrait aux dieux polythéistes auxquels s’est substitué Dieu, puis Jésus-Christ, fils de Dieu.

La Bible regorge d’ailleurs d’exemples. C’est ainsi que Pâques célèbre la résurrection de Jésus identifié à une victime innocente — l’Agneau de Dieu — sacrifiée pour racheter les péchés des hommes (Agnus Dei qui tollis peccata mundi). Et paradoxalement, c’est pour commémorer ce sacrifice que nos cuisines embaument l’agneau à Pâques ! Car il n’y a rien de tel que d’instaurer une coutume pragmatique et gourmande pour fédérer une communauté et pérenniser une tradition.

Bien le cuisiner

L’acheter n’est pas tout, il faut encore bien le cuisiner pour l’apprécier. S’il s’agit de présenter une belle pièce rôtie (gigot, baron, selle, épaule, carré), il faut le cuire rosé perlant, c’est-à-dire demi-saignant car une cuisson trop poussée lui ferait perdre de sa saveur. Pour une recette braisée, il en va bien sûr autrement et la viande peut même être confite (souris d’agneau). Il faut savoir aussi que les herbes lui vont bien (gigot en croûtes d’herbes) ainsi que l’ail qu’il vaut mieux cuire en chemise dans le plat plutôt que d’en larder le gigot. Il suffit ensuite d’exprimer les gousses pour mêler la crème d’ail à la sauce. Pour les recettes mijotées, les épices l’émoustillent.

Le Gigot d’agneau selon la Rôtisserie Montaigne Photo DR

La découpe du gigot

Afin que les sucs de la viande irriguent la chair, il est conseillé d’envelopper le gigot dans de l’aluminium ménager pour le laisser au chaud et qu’il repose 10 à 15 minutes.
Pour le trancher, il y a deux techniques :
à l’anglaise : tranches horizontales en les incurvant légèrement pour suivre l’os, ce qui donne des tranches de cuissons différentes du plus au moins cuit.
à la française : découpe verticale jusqu’à l’os, celles-ci étant ensuite séparées, ce qui donne des tranches comportant toutes des parties cuites et des parties saignantes.

Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

Toutefois, on distingue plusieurs sortes d’agneaux sur les étals :
L’agneau de lait ou agnelet dit aussi laiton ou allaiton : non sevré, abattu à l’âge de six semaines, sa gestation se fait pendant l’hiver, au retour de la transhumance, et les naissances ont lieu à partir de février, raison pour laquelle il est encore appelé « agneau de Pâques » ; il pèse de 7 à 9 kg. Il n’a jamais connu d’herbage. Il a une saveur douce, laiteuse et élégante, marquée par un délicat goût de noisette, et sa texture allie moelleux et tendreté de façon subtile.
L’agneau blanc : abattu entre cent et cent dix jours, nourri au lait maternel, puis de substitution, c’est un agneau de printemps ; il pèse de 12 à 15 kg.
L’agneau d’herbe ou broutard : on l’appelle ainsi parce qu’il a commencé à brouter. Comme il gambade dans les prairies, il se muscle. On ne peut pas réguler son régime alimentaire. Sa chair est savoureuse et parfumée. Il est abattu entre quatre et cinq mois selon les races. C’est celui qu’on grille ou qu’on rôtit du début de l’été à l’automne. Il pèse de 15 à 18 kg.
L’agneau de bergerie ou agneau gris : l’agneau gris est élevé en bergerie, d’où son nom. On le trouve toute l’année. Claustré dans sa bergerie, son alimentation est artificielle et, comme il ne bouge pas, il a tendance à s’imprégner de son fumier [litière (paille, fougère, etc.) mélangée aux déjections (excréments et urine) des d’animaux]. Il est abattu entre quatre et cinq mois selon les races. Il pèse de 15 à 18 kg. Sa viande est plus molle.
L’agneau de pré-salé.

Agneaux des Pyrénées

Agneaux des Pyrénées © AREOVLA

L’agneau de pré-salé à Pâques est un leurre sinon une supercherie

L’agneau de pré-salé est une tradition bretonne et normande, pratiquée dans la baie du Mont Saint-Michel et dans certains estuaires de la côte ouest du Cotentin. Les agneaux de printemps sont conduits quotidiennement sur les « herbus » des terres recouvertes par la mer 3 ou 4 fois dans l’année. Le goût fin de la viande est parfumé moins par le sel que par les plantes poussant sur ces herbus, notamment la fétuque, qui lui apporte sa saveur inimitable. C’est un agneau qui commence à brouter au printemps et que l’on trouve jusqu’en novembre.
Il ne peut donc y avoir d’agneau de pré-salé à Pâques — surtout quand Pâques tombe en mars ou début avril ! —, c’est beaucoup trop tôt !

Soyons ch…ovins !

À ces critères de conformité, s’ajoutent les particularités géographiques, chaque région de France ou presque ayant un agneau local spécifique dû aux races dont il est issu, aux paysages où il vit (plaine, collines, montagne), au climat de l’endroit, et bien sûr à la flore autochtone dont il se nourrit, son alimentation influant grandement sur le goût de sa chair.
C’est pourquoi on dénombre un grand nombre d’agneaux régionaux : agneau des Pyrénées, agneau du Pays basque Axuria, agneau du Périgord, agneau des Ardennes, agneau de l’Aveyron, agneau de Lozère, agneau des Préalpes, etc.
Soyez tout de même vigilants, de l’un à l’autre, les cahiers des charges sont très différents. C’est pourquoi il faut aussi s’intéresser aux signes officiels de qualité.

Agneaux

Quid du « mythique » agneau de Pauillac ?

L’agneau de Pauillac a dès le XIIIe siècle joui d’une belle réputation. Mais c’était au temps où les bergers de la lande girondine et des Pyrénées pratiquaient la transhumance vers les régions viticoles de l’Aquitaine. Aujourd’hui, l’agneau de Pauillac bénéficie d’une indication géographique protégée mais c’est devenu un agneau de bergerie qui ne connaît jamais l’herbe. Élevé sous la mère (le lait peut être complété) pendant 75 jours, il pèse entre 11 et 15 kg. Aussi, malgré les qualités maternelles des brebis et les qualités bouchères des pères, c’est un agneau qui vit un peu sur sa réputation.

Un conseil d’expert : sheep mais pas cheap !

Jean-Christophe Prosper, propriétaire des Boucheries Prosper et conseiller boucher du marché de Rungis, préconise quant à lui deux origines d’agneaux pour Pâques : les laitons écossais « vivers » à la chair tendre et savoureuse, et les laitons gallois de chez Euro Quality, agneaux plus petits à la chair tendre et juteuse et au grain fin, deux origines régulières et homogènes.

Et le mouton, alors ?

Quant au mouton (agneau adulte, le plus souvent castré, sauf quand il est destiné à être abattu selon la tradition musulmane), il n’est plus guère apprécié et a pratiquement disparu de nos boucheries. On le dit antenais ou broutard jusqu’à 18 mois. Nourri avec de l’herbe, du grain et des aliments de complément, il pèse de 25 à 30 kg. C’est un jeune mouton à point en automne. De 18 mois, à 2 ans, il devient mouton de boucherie. Nourri avec de l’herbe, du grain et des aliments de complément, il pèse de 18 à 25 kg. C’est un ovin qui convient pour le méchoui. Au-delà, jusqu’à 6 ans (maximum autorisé pour la commercialisation) c’est un mouton de réforme. Il ne devient pas plus gros, mais la viande devient plus forte et plus typée, pouvant même prendre une odeur de suint et un goût de suif. Il reste une curiosité.

Le doublon de Barèges-Gavarnie

Si vous aimez que l’agneau ait une chair « faite » sans pour autant être encore du mouton, n’hésitez pas à privilégier le « doublon » de Barèges-Gavarnie qui bénéficie d’une AOC et qui a la particularité de passer deux saisons à l’estive (d’où son nom). C’est donc un broutard qui n’est plus un bébé mais qui ne deviendra pas mouton.

Blandine Vié

Où l’acheter en ligne et comment bien l’accompagner ?

Labêêl et la bête

Les signes de qualité sont le Label Rouge, le label AB, l’IGP (Indication Géographique Protégée), et l’AOP (Appellation d’origine Protégée), équivalent européen de l’AOC.

Où l’acheter en ligne et comment bien l’accompagner ?

Le Collège Culinaire de France met à jour quotidiennement une carte interactive.

Nombreux sont des éleveurs qui proposent en vente directe par chronofresh :

Les conseils de la Rôtisserie Montaigne (Marseille) pour réussir l’agneau pascal

Tout réside dans la cuisson et dans l’assaisonnement qui doit être simple et efficace. Si vous choisissez un agneau de qualité, pas besoin d’ajouter des artifices, le produit se suffit à lui-même.
Azad, fondateur de la Rôtisserie Montaigne

  1. Piquer le gigot à l’ail : il suffit de faire de petites entailles et d’y glisser des quarts de gousse d’ail.
  2. Frotter tout votre gigot avec un mélange de sel, d’huile d’olive et d’herbes de Provence. Vous pouvez ensuite le laisser reposer 24H au frigo pour encore plus de saveurs.
  3. La cuisson ! Enfournez votre gigot 1h à 180° dans une cocotte après l’avoir fait dorer sur toutes les faces.
  4. Déguster votre gigot accompagné d’un bon gratin de pommes de terre !

Six vins pour l’accompagner (en fonction de l’âge de l’agneau et de sa cuisson)

  • Un pauillac Château Batailley 2012 de Philippe Castéja : prix conseillé 82 € le magnum (avec un baron ou un gigot).
  • Un châteauneuf-du-Pape vieilles vignes 2015 du Domaine Saint-Patrice : 43,50 € (avec une selle, un gigot, un carré ou une épaule).
  • Un corbières-boutenac 2013 ou 15 du Domaine de Villemajou-La Forge de Gérard Bertrand : Prix 45 € (carré d’agneau en croûte, agneau de lait des Pyrénées).
  • Un côtes-de-Provence cuvée Léa 2012 du Domaine d’Éole : 30 € (avec un gigot de sept heures, un gigot à l’ail, des souris d’agneau confites ou un tajine d’agneau).
  • Un coteaux varois rosé Château La Calisse 2017 (80% grenache, 20% syrah) de Patricia Ortelli : Prix 23 € départ cave.
  • Un tavel rosé Château Trinquevedel 2017 sur un gigot d’agneau des Préalpes en croûte d’herbes) : Prix 11 €.

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