Voyages
Les rêves de châteaux de Louis II en Bavière gardent leur part de leur mystère
Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 18 janvier 2024
Carnet d’horizons « (…) dans l’ineffable, dans l’inconscient, dans cette région où notre propre entendement n’accède pas (…) » (Rainer Maria Rilke) Une part de l’âme, comme… comme une région difficile à atteindre. Une des « Lettres à un jeune poète » de Rainer Maria Rilke évoque cet inatteignable, ce que n’est pas la Bavière, pour Jean de Faultrier. Ce que sont en revanche encore les intentions profondes de Louis II qui y fit bâtir des « rêves de châteaux royaux » notamment Neuschwanstein et Linderhof, bien connus des passionnés de « Ludwig : Le Crépuscule des dieux« , le film de Luchino Visconti.
Comme des châteaux en Bavière.
Sur la carte routière, les symboles étirent une ligne qui semble accrochée aux sommets montagneux : une croix, un trait, une croix, un trait, etc… D’un côté l’Allemagne, de l’autre l’Autriche, de l’une à l’autre, on ne change ni de langue, ni d’ambiance, ni de paysage. Mais quand on file sur l’autoroute fluide et prospère qui les relie, cette frontière se dresse sous la forme bien réelle d’une barrière de roche et de verdure, vigoureusement verticale, vertigineusement haute. Une telle palissade charpentée marque bien la fin d’un itinéraire, l’achèvement d’un voyage sans pour autant dévoiler les joyaux de l’imaginaire que l’on est venu tenter d’embrasser au moins du regard et qu’elle abrite encore dans l’ombre qu’elle porte sur eux et dans le reflet des lacs qui leur servent de miroirs.
Au cœur profond de la Bavière
En franchissant au ralenti la porte de Füssen, nous savons que nous attendent de longues promenades entre frondaisons opulentes et cieux magnanimes, une contemplation de remparts et de lacs, des escarpements boisés et des falaises tutoyant les nuages. Les rues de cette ville-village sont des sillons comme au creux d’une main vénérable ouverte en contrebas d’une forteresse placide, ses églises dont la foi catholique a sculpté des intérieurs luxuriants osent l’or et l’encens, ses petits et grands cafés confortables regorgent de propositions sucrées ou mousseuses.
Cependant, c’est une autre tentation presque infantile nous détourne de ce confort nourricier, car s’impose l’envie d’aller jauger nos rêves à l’aune de constructions que l’on a connues extravagantes. Car nous étions venus là au siècle dernier étirer un songe d’adolescent, alors, si la mémoire est restée intacte, il doit y avoir un chemin derrière le repli forestier qui verrouille la ville sitôt franchie la rivière au vert cuivré, quelques courbes à suivre le long d’une route aux chalets cossus avant d’arriver devant un panneau dont le nombre de consonnes est un défi. A cet endroit précisément, il faut se préparer au dévoilement de l’improbable, à l’aveu que l’étourdissant est visible.
Au pied des murs
Chaque retour en ces lieux est un saisissement itératif, pas un étonnement, un saisissement. Averti ou instruit, documenté ou initié, tout imbibé que l’on soit de récits, de commentaires, de supputations, il faut reconnaître que le spectacle vivant des épousailles de la nature et de l’architecture imposent au regard contemporain une reconnaissance révérencieuse. Il ne saurait être question de s’habituer à de tels déferlements d’incommensurable, la première fois laisse sans voix, les suivantes sans mots.
On retrouve à l’ouest du chemin, émergeant d’un tertre feuillu, l’orgueilleux château dont l’ordonnancement graphique propose plus de certitudes que de controverses, à l’Est, et à condition de lever les yeux vers un ciel intimidé, on reconnaît la chimère, l’imagination, la spéculation qu’un royal désir a ancré dans un pur élancement sur un socle rocheux.
Par où commencer ?
Schloß Hohenschwangau, le château de son père.
Par Hohenschwangau, l’ocre doré de ses parements soulignés de fleurs exubérantes rassure, son dédale de pavés et d’escaliers laisse percevoir de douillettes encoignures où de puissants poêles de faillance assurent d’un confort aisé et sans pétrole. Les propos que l’on entend sous les plafonds peints laissent accroire que tel piano fut joué par Wagner ou que tel lit fut le berceau d’un impérial rejeton, ni l’instrument ni le meuble ne sont des témoins que l’on croit sur parole mais il y a du civilisé altier dans le propos. Les lieux traduisent des élans qui furent générateurs des empreintes que notre culture se plaît à s’offrir, une abondance muséale ouate charitablement l’entendement.
Sitôt retombé le babil polyglotte et refermée la porte du magasin de souvenirs, quelques marches nous rapprochent de l’Alpsee d’où s’élancent les sentiers bien plus escarpés qui vont nous conduire aux portes d’une inspiration assouvie.
Schloß Neuschwanstein, une apparence qui ne dit pas tout.
Neuschwanstein… Une apparence donc, pas trompeuse mais énigmatique, on en prend le chemin comme on se laisserait porter par un risque. Une fois franchis les innombrables porches, les lieux s’affirment résolument comme habités d’ombres et de rumeurs, de mânes également. Partout le pas de Louis II s’entend sur les dalles. Il est dit que le roi de Bavière n’habita que deux années ce château avant de mourir, son œuvre n’étant alors pas achevée. Grâce à la polyphonie des mots, on entend l’in-fini dans l’infini ou l’inverse.
Louis II, drame et légende en même temps, rêve et égarement, Louis II, le roi dont le geste fluide qu’il a dessiné vers le ciel défie encore l’imaginaire. La journaliste Victoire de Faultrier-Travers a posé son regard sur l’ordonnancement des lieux, elle a scruté les innombrables portraits familiaux qui habillent les murs, elle a relu le fil historique des enjeux d’une politique où le scandale devait être enterré sous le mythe. Pour elle, le monarque interrompu devait disparaître pour que sa mémoire tronquée fut scellée de certitudes acceptables. C’est déjà dire beaucoup. Les élans que traduisent l’architecture, la topographie, les noms choisis pour désigner les lieux et les perspectives désignent en filigrane des hypothèses dont les échos déchiquetés pourraient faire ressurgir sous le prisme de lectures contemporaines la fresque douloureuse de souffrances humaines endurées en des temps où les pères ou les oncles triomphaient en immunisant les apparences.
Ce Louis laisse aux promeneurs et pérégrins des lieux flamboyants et leur intime accouplement avec la nature estomperait presque l’amertume du destin contrarié de l’homme. Il a péri loin de là dans un autre lac bavarois, curieusement avec son médecin qui savait sans doute ce dont il retournait s’agissant des maux de son patient.
Schloß Linderhof, une quiétude mesurée et prometteuse.
Pour retrouver un sentier moins tortueux, il suffit, un peu vers le sud, de franchir par deux fois la frontière avec l’Autriche, la première pour arriver jusqu’au Plansee jouant avec un orage qui le nourrit brutalement, la seconde peu après pour revenir en Allemagne en longeant une rivière qui change trois fois de nom jusqu’à l’entrebâillement forestier qui mène au château de Linderhof. Davantage villa que château, selon Louis II lui-même, c’est une demeure achevée, exubérante de styles croisés et mêlés mais prodigieusement éloquents. Ici plus qu’ailleurs, Richard Wagner fait entendre la voix de ses personnages tant le parc regorge d’espaces naturels, d’anfractuosités, d’édicules qui les évoquent.
Une incitation aux passions.
Un regard vers les lacs, un autre le long des parois rocheuses, il reste aujourd’hui, à l’extrémité des objectifs des smartphones haut-levés, la demeure d’un père toisée par le prétendu délire d’un fils, dans ces lacs les cygnes sont partout, les signes aussi.
Jean de Faultrier, Bavière, fin mai, début juin.
Plus de feuillets du Carnet d’horizons
Quelques repères pour visiter :
« Un mystère qui reste entier.
Le mythe se créa déjà pendant la vie du roi. « Je veux rester un mystère, pour moi-même et pour les autres », avait autrefois écrit Louis à son éducatrice, et ce « mystère » fascine toujours le monde aujourd’hui.
Le poète Paul Verlaine a appelé Louis II « le seul vrai roi de ce siècle ». » (extrait)
Pour s’y rendre via Füssen
Pour rejoindre Füssen au sud-ouest de Munich, capitale du Land de Bavière, la voie ferrée ou l’autoroute confortable, les deux au choix depuis Stuttgart ou Ulm, depuis Augsburg, depuis Munich bien sûr. Plus à l’ouest en venant de France l’idée consiste à traverser la Forêt Noire puis longer le magnifique lac de Constance en faisant une halte à Lindau. On peut aussi venir d’Italie en traversant l’Autriche au prix d’un festin de paysages et d’innombrables virages.
Pour aller depuis Füssen jusqu’au pied des châteaux, il faut incontestablement privilégier les pieds (une petite heure tranquillement) ou le vélo (un bon quart d’heure sans assistance électrique) même s’il existe des navettes de bus au départ de la gare de Füssen ou des communes des environs.
Füssen regorge d’hôtels confortables qui ont le mérite d’être éloignés des routes.
Et de bons restaurants… Certains petits-déjeuners sont véritablement royaux
en particulier, du Luitpoldpark-Hotel, Bahnhofstraße 1-3, 87629 Füssen – Téléphone : +49 8362 9040
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