Culture

L'invention de la Renaissance, L’humaniste, le prince et l’artiste (BNF Richelieu)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 24 juin 2024

Après « Imprimer !, L’Europe de Gutenberg 1450-1520 », le BNF apporte un nouvel éclairage toujours attaché au livre (manuscrit ou imprimé) sur « L’invention de la Renaissance » en élargissant la focale.  Sous-titrée « L’humaniste, le prince et l’artiste », l’exposition à la BNF Richelieu , le catalogue et ses « essentiels » très érudits présentent  jusqu’au 16 juin 2024 le rôle fondateur joué au XIVe par Pétrarque et sa bibliothèque qui enclenchent une épiphanie; l’humanisme, avant tout intellectuel va transformer l’Europe tout entière. L’ébullition des mentalités fait naître au 15e siècle, un courant artistique, désigné par le nom de « Renaissance » et submerge – tout en la coagulant pour le meilleur et le pire – l’Europe. Un recul pertinent, pour Olivier Olgan au moment où se généralise le doute sur les valeurs humanistes européennes.

L’émergence de l’Europe humaniste

A quelques jours d’un scrutin déterminant pour l’Europe, l’exposition « L’invention de la Renaissance » apporte un précieux éclairage sur ce qui fait l’essence et l’unité de ce continent qui ne s’aime plus beaucoup. Elle dégage les ressorts d’un humanisme à la fois individuel et collectif, dont la dynamique s’est nourrie de quête et de partage de livres, de copies, traductions et impressions d’éditions critiques, mais aussi de méditation de textes oubliés, de la redécouverte du grec puis de l’hébreu, … le tout dans une accélération – grâce à l’imprimerie – de la transmission des savoirs à la génération suivante,… pour brosser un mouvement avant tout intellectuel. De cette humus, fait d’ouvertures et de libertés, une conception de la beauté s’émancipe, grâce aux regards des artistes qui individualisent Grands et puissants d’abord, puis héros et petits qui les entourent.
L ambition de l’exposition qui ne peut être exhaustive  réussit à matérialiser aussi l’émergence d’ un courant esthétique au 15e, que l’on désigne au XIXe (inventée par deux savants Michelet et Bürckhardt) de « Renaissance ». Et qui redessine l’avenir du continent qui l’a rendu possible.

La Renaissance, en gros, est cette mutation lente qui n’en finit pas de s’accomplir et qui fait passer la civilisation occidentale des formes traditionnelles du Moyen Âge aux formes nouvelles, déjà actuelles de la première modernité.
Fernand Braudel, Le Modèle italien, 1989

L’invention de la Renaissance (BNF Richelieu) Photo OOlgan

Une plongée dans l’effervescence intellectuelle

Si la  » notion » de Renaissance reste discutée par les historiens, le parcours – sans nullement prétendre à une impossible exhaustivité – cerne en cinq éclairantes séquences éclairantes, quelques fondamentaux : les lieux de réflexion, de production et de diffusion du savoir, les grandes figures (Pétrarque, Erasme), et les enjeux tant de pouvoir que de libertés. L’exposition débute dans un studiolo (cabinet privé de lecture et de travail, inspiré de la vie monacale) et s’achève dans une bibliothèque princière, à la fois un lieu d’érudition et d’édification, remplissant ainsi une fonction pratique et une fonction symbolique, précurseur de nos musées actuels.

« La conception de la bibliothèque est alors renouvelée. Pensée à la fois comme instrument de la conservation et de l’accroissement des connaissances, elle incarne l’érudition et la met en scène. »
Jean-Marc Chatelain

Entre ses deux étapes clés, une révolution s’est forgée, celle du partage et de la vulgarisation de la connaissance, de l’émergence de l’individu notamment par le portrait, et une certain conception de la beauté.

Salle dédiée à Pétrarque, L’invention de la Renaissance (BNF Richelieu) Photo OOlgan

Pétrarque, à la fois premier et modèle des humanistes

S’il est difficile de rendre compte d’une telle profusion de trésors, des livres aux médailles – pour l’essentiel issus de la BNF, l’importance donnée à Pétrarque (1304-1374) illustre son rôle – et la quintessences de l’humaniste qu’il incarne – dans cette transformation culturelle.  L ’érudit diplomate et poète sillonne l’Europe; du Nord où ce pionnier de ce retour à l’antique met au jour un manuscrit que l’on croyait perdu Pro Archia de Cicéron, lançant un engouement irréfragable pour les textes de l’antiquité grecque, romaine ou chrétienne, au Sud, répartissant sa bibliothèque entre la France et l’Italie. Il les traduit du grec et du latin vers les langues vernaculaires, les commente et en vulgarise l’accès.

«Il fut le premier grand chasseur de manuscrits, le premier à se lancer, en sollicitant au besoin son vaste réseau de correspondants, dans cette activité de recherche si caractéristique de la première Renaissance (…). Voyageant d’Avignon, siège de la papauté, à Naples et de Prague à Paris, il rechercha, collecta et collectionna une quantité de manuscrits. On lui doit par exemple la réunion des fragments de l’histoire romaine de Tite-Live. »»,
Luca Marcozzi dans le catalogue de l’exposition.

Livres et médailles illustrent les Grands hommes L’invention de la Renaissance (BNF Richelieu) Photo OOlgan

Passage d’une culture livresque à la culture visuelle

La place centrale qu’y occupe le livre sert de fil directeur au parcours proposé, des copies manuscrites de l’époque de Pétrarque et de ses successeurs aux « impressions tant élégantes et correctes en usance » du temps de Rabelais : le livre comme moyen de reconquête du passé antique qu’il s’agit de restaurer, le livre comme instrument de diffusion, du savoir humaniste et des valeurs humaines qui s’attachent à la culture lettrée, le livre comme expression de la magnificence des princes des temps nouveaux, à l’égal des œuvres d’art et des monuments architecturaux. Pour ce faire, le parti a été pris de ne jamais isoler artificiellement l’art du livre de la Renaissance, mais de le replacer dans le dialogue qu’il entretient constamment avec les arts plastiques et visuels de son temps. La diffusion de tous les savoirs grâce aux livres imprimés participent à l’émancipation d’une communauté intellectuelle.

Les liens étroits qu’entretiennent les imprimeurs-libraires avec le milieu humaniste dont ils sont parfois issus redéfinissent progressivement le champ littéraire, élargissent à proportion de la diffusion des textes les contours d’une communauté savante qui dialogue, dispute, s’affronte par livres interposés.
Le sentiment d’une confusion née de l’abondance des livres, la crainte de se noyer dans le flot des textes sonnent comme des avertissements pour le monde humaniste, à qui il revient de publier oeuvres de référence, éditions impeccables mais aussi méthodes, guides et mélanges pour que ne se perde pas dans la masse ce patrimoine commun à peine redécouvert. L’atelier typographique, à l’image du studiolo du lettré, peut alors devenir ce lieu où s’accomplit l’idéal de restauration des textes anciens qui guide l’humanisme de la Renaissance et fonde la communauté intellectuelle qu’on désigne, depuis le xve siècle, sous le nom de « république des lettres ».
Louise Amazan, Travail éditorial et diffusion imprimée des textes, essai du catalogue

dernière salle, vue d’une bibliothèque princière L’invention de la Renaissance (BNF Richelieu) Photo OOlgan

Un « idéal de l’humain » à perpétuer

Laurana, Francesco, Portait d’une princesse napolitaine, fin XVe, marbre – L’invention de la Renaissance (BNF Richelieu) Photo OOlgan

Au terme de cette prodigieuse effervescence intellectuelle et éditoriale, le visiteur ne peut prendre conscience de la valeur de l’héritage culturel dont il est issu, pour le meilleur et le pire.
Nous partageons le sentiment d’urgence d’Etienne Barilier qu’il est plus que jamais nécessaire de « préserver et de perpétuer notre idéal de l’humain », en vivifiant l’héritage dont les étincelles viennent éclater sous nous yeux ; « l’intellection, l’humanisation du sacré, qui n’en sont pas la profanation, mais permettent à la fois la libre existence d’un monde profane et le livre élan vers ce qui le dépasse« .

« Tout cela fut rendu possible â notre méditation du bien et du vrai, et surtout notre approche complexe, contemplative amis réflexive, admirative mais interrogative, émerveillée mais sur le qui-vive de la beauté.
Etienne Barilier,Réechanter le monde, L’Europe et la beauté, PUF, 2024

Plutarque, Erasme, Dürer, réveillez-nous, nos écrans nous ont rendus fous !

Olivier Olgan

Pour aller plus loin sur L’invention de la Renaissance

Jusqu’au 16 juin 24, BNF Richelieu, Galerie Mansart, 5, rue Vivienne – 75002 Paris
Du mardi au dimanche : 10 h – 18 h (20 h le mardi)

Catalogue : L’invention de la Renaissance, sous la direction de Toscano Gennaro et Jean-Marc Chatelain, Bibliothèque nationale de France, 49 €, 263 p. La kyrielle d’experts s’attache à cerner l’idéal humaniste qui se concrétise à travers un travail de collecte des manuscrits d’auteurs classiques de l’Antiquité et de transmission, par des copies et des traductions, a éclairer l’émergence d’une culture littéraire enrichie d’une culture visuelle aboutissant à un nouvel art du portrait, reprenant le thème humaniste du « grand homme » et illustrant la foi en la perfectibilité morale de l’individu grâce à l’éducation et aux belles lettres.

La Renaissance constitue un moment décisif dans l’avènement d’un nouveau rapport au savoir et à l’écrit, qui s’exprime dans un ensemble de pratiques et de représentations visuelles. La conception de la bibliothèque est alors renouvelée. Pensée à la fois comme instrument de la conservation et de l’accroissement des connaissances, elle incarne l’érudition et la met en scène.
Toscano Gennaro et Jean-Marc Chatelain, co-commissaires

La notion de Renaissance : un aperçu historiographique, & indications bibliographiques par Pascal Brioist, Université de Tours, Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (BNF Les essentiels)

Renaissance et humanisme en Italie (14e-16e siècles) (Dossier BNF, très pédagogique, richement illustré, complété de nombreux focus)

Mais aussi

L‘art du livre, des historiens Michel Melot et Anne Zali (Citadelles & Mazenod), somptueuse illustration de la puissance de l‘imprimé.

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