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Manuela Paul-Cavallier, conteuse de matières d’or
Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 21 mars 2018 à 12 h 01 min – Mis à jour le 22 mai 2018 à 10 h 57 min
Elle nous reçoit dans son minuscule atelier au fond d’une cour ombragée. A quelques détails près –l’électricité qui éclaire ses œuvres accrochées au mur avec les reflets d’or et un réchaud pour les colles – l’endroit vous propulse dans des siècles lointains où l’artisan d’art comptait sur la seule maîtrise de son art pour transformer la matière. Ce cabinet de curiosités est aussi encombré d’objets chinés, d’essais sur les matières les plus variées : du bois au jonc, du papier à la toile.
L’or révèle les valeurs d’une civilisation
Lorsqu’elle découvre le métier à Florence, en 1989, un peu par hasard à l’occasion d’un stage chez un doreur, c’est un coup de foudre. Elle restera 10 ans dans ce pays, travaillant dans de nombreux ateliers pour se nourrir d’expériences variées : la patine, la restauration, le trompe l’œil…. De retour à Paris, elle apprend les techniques françaises et passe le concours d’habilitation à travailler pour les musées nationaux. La dernière étape de sa formation se fera au Japon et l’obtention du label RIMPA: « J’ai eu l’honneur d’être retenue comme Lauréate de la Villa Kujoyama (l’équivalent de la Villa Médicis), ce qui m’a ouverte à d’autres savoir-faire venus d’Orient. »
Dès lors, Manuela Paul-Cavallier n’aura de cesse de mixer les techniques apprises lors de ses pérégrinations. Un travail d’artisan qui confine à l’art, réalisé à partir de la feuille d’or, matière réduite pour être légère comme un souffle, qu’elle sort d’un tout petit carnet. « La dorure est un peu la vidéo du XIIIe siècle, aime à dire joliment cette férue de nouvelles technologies, soucieuse de rappeler la modernité de son art, l’or y révèle les valeurs d’une civilisation. »
« Grâce à l’or, je mets de l’humain dans les histoires que je raconte »
L’art délicat de la dorure
La technique de la dorure, quasi millénaire, est en fait une ‘métallisation à la feuille’ pour obtenir des ‘réflexions lumineuses’ dit joliment Manuela qui se déclinent selon les spécificités des techniques nationales: plus rondes en Italie, plus lisses au Japon. Le doreur travaille avec une feuille de quelques microns d’épaisseur, réalisée à partir d’or blanc (de 6 carats jusqu’à un or presque pur de 23,75 carats), mais aussi d’argent, de palladium ou d’aluminium. Pour enluminer ou orner un ouvrage, la feuille est appliquée à l’eau (ou à la détrempe), à la colle de lapin ou de poisson, au kaolin, à la caséine, à l’œuf, mais aussi à l’huile (à la mixtion). Des variantes se combinent selon la surface des objets et des effets recherchés. Afin de donner de la profondeur à la lumière, la doreuse, ou le doreur utilise une pierre d’agate montée sur un manche qui permet d’écraser, de polir le métal précieux. C’est l’étape de ‘brunissement’ de l’or.
Imaginer le Versailles de demain
Si Manuela Paul-Cavallier est fascinée par l’or, c’est la création des œuvres d’art expérimentales qui la passionne. Sa démarche associe savoirs ancestraux, matières et technologies innovantes et poésie. « Mon crédo consiste à faire dialoguer la matière et la lumière. Après avoir travaillé sur des objets du XVIIe et XVIIIe siècles, j’ai eu envie de m’imaginer quel serait le Versailles de demain. J’aime développer les rencontres, réinventer un métier avec des techniques ancestrales. La dorure a le même âge que l’Homme, elle a suivi les évolutions de l’humanité et possède une part de spiritualité. »
Lancer des ponts entre des métiers éloignés
Créative, nourrie de ses 25 années de pratiques, la doreuse réinvente des patines, multiplie les alliances improbables avec des matériaux comme le bambou, la lave, le bois tressé qu’elle propose ensuite aux décorateurs d’intérieurs ou aux designeurs. «Je suis force de proposition, je lance des ponts entre des métiers éloignés les uns des autres. »Les collaborations qu’elle sollicite, l’entraînent même au-delà de son univers artistique. Elle a notamment initiée la création d’étiquettes de bouteilles de saké qui a reçue un prestigieux PENTA Awards en 2016, mais aussi un laboratoire d’idées avec un chercheur-ingénieur et un designeur pour le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives). Enfin, tout dernièrement, Airbus l’a sollicité pour créer une œuvre unique afin d’honorer la dernière livraison de leur client Qatarairways.
Le papier comme sculpture d’art
Parmi ses créations, signalons, en 2015, une composition de ‘papiers sculptés’ réalisée pour une exposition à Kyoto; des jardins zen sur papier, avec des dorures associant feuilles d’or et d’étain (commande du musée Seikaido); un travail sur le thème de « la résilience au féminin » (Galerie Carole Decombe), avec des ‘kintsugi’ (« jointure en or » en japonais), technique habituellement utilisée pour réparer de la céramique cassée.
Il ne faut pas hésiter à franchir le seuil de son atelier ou aller la rencontrer lors d’une exposition comme cette semaine à l’AD Matières d’Art au CESE Place d’Iéna à Paris.
Où découvrir les contes d’or de Manuela Paul-Cavallier
AD Matières d’art, au Palais d’Iéna, siège du CESE, 75116 Paris
Une exposition qui célèbre les métiers de la décoration et met en lumière 45 ateliers aux savoir-faire d’exception.
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AD Matières d’art, au Palais d’Iéna, siège du CESE, 75116 Paris
Une exposition qui célèbre les métiers de la décoration et met en lumière 45 ateliers aux savoir-faire d’exception.
Du 23 Mars au 1er Avril, de 10h à 18h. Entrée libre
Vendredi 23 Mars est réservé aux professionnels.
Une pièce d’identité sera demandée à l’entrée.
Manuela Paul-Cavallier expose toutes une série de matières, par une mise en scène artistique : des copeaux de bois collés, des tissages de bois, du bois brûlé. Elle nous invite à découvrir les nouveaux reflets de feuilles d’or sur des matières innovantes françaises et japonaises.
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