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Min Jung-Yeon, « Croquer la pomme » à la galerie Maria Lund

Publié par Jean-Philippe Domecq le 6 mars 2025

Min Jung-Yeon : retenez le nom de cette artiste coréenne, vous pouvez parier sur elle pour longtemps, longtemps, comme le fait cette galerie d’un autre nom à retenir, la galerie Maria Lund qui l’expose une fois de plus dans son espace bien dégagé, comme celui de ces œuvres peintes à l’acrylique ou au pinceau encré. Elles nous révèlent des matières qui sont des paysages très précis dont on se demande pourtant d’où ils viennent.
Décidément, peindre sur un plan demeure inventif pour Jean-Philippe Domecq aujourd’hui et demain autant qu’hier. Le 9 mars à 16h, l’artiste sera en conversation avec l’historienne d’art Amélie Adamo, sinon courez la découvrir jusqu’au 15 mars !

Une artiste vite repérée et bien suivie

Min Jung-Yeon, Gare de Madrid, 2010 photo Min-Jung-Yeon

Il est bon, et agréable, de constater qu’un/e artiste dont l’œuvre vous a frappé avant que vous ne connaissiez son nom, a une longue lignée d’expositions et de musées derrière elle, dans sa biographie pourtant jeune encore. Il y a tant de « génies méconnus » qui méritent de le rester, méconnus sans autre génie que d’être méconnus, allons, foin des clichés, surtout quand ils sont romantiques.

Cet agréable constat, je l’ai fait par exemple en découvrant la première exposition que Maria Lund avait consacrée à l’artiste coréenne Min Yung-Yeon en 2012. Ce que je vis m’a d’emblée tellement cueilli, et j’essaierai de vous dire pourquoi, que je m’en suis voulu de ne pas l’avoir découverte plus tôt. L’artiste était jeune, certes, née en 1979, et coréenne, ce qui fait deux faibles motifs à mon ignorance. Car elle a vite été repérée en France et dans diverses institutions internationales.

Dès 2012 le MAMC+ de Saint-Etienne, fort lieu d’art neuf, a acquis de ses œuvres en collection ; en 2017 le State Museum of Oriental Art de Moscou ; de même le Musée National de Taïwan en 2010 ; durant l’hiver 2019-2020 c’est au tour du prestigieux Musée Guimet à Paris, dont elle a également intégré la collection, et l’exposition a donné lieu à un Hors-série Beaux-arts Magazine. Les publications se multiplient autour de ses expositions : la première monographie paraît en 2009, suivie du catalogue édité par le MAMC+ de Saint-Etienne ; de même son exposition au Suquet des Art(iste)s à Cannes en 2023 laisse la trace d’un catalogue au titre typique de son univers sensible, Effluves d’un temps éphémère, publié par les soins des éditions Bernard Chauvea.

Une Coréenne à Paris

Min Jung-Yeon, Un lac profond, 2024 exposition Croquer la pomme (galerie Maria Lund)

Min Jung-Yeon rejoint Séoul pour se former à l’Université Hongik. Déterminée, elle travaille, pour payer ses études, dans les sous-sol des jeux-vidéo.

Son œil n’ignore rien de ces nouvelles immersions graphiques ; c’est intéressant au vu de son œuvre ensuite, qui ne porte aucun résidu de l’univers multimédia, mais l’artiste en a tiré un certain sens de « l’au-delà au-delà », pour parler manga.

Leçon : aucune nouvelle technologie ne doit être refusée, mais maîtrisée. Faisons l’analogie, pour cette jeunesse extrême-orientale qui sait jouer hyper-branché, avec l’artiste calligraphe sur peau dans The Pillow Book (1996) de Peter Greenaway : s’y nourrissent réciproquement un art traditionnel et le multi-écran le plus avancé.

Min Jung-Yeon, Iceberg 2, 2025 exposition Croquer la pomme (galerie Maria Lund)

Ainsi formée, l’artiste coréenne vient au contact direct de l’art européen, à Paris, où, élève de Jean-Michel Alberola, elle sort diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2006. Elle vit depuis à Paris, et la France, on l’a vu, la soutient bien.
A l’occasion de ses allers-retours dans son pays natal, elle retrouve ses amis artistes, qu’elle soutient volontiers ; elle serait la dernière à le dire mais c’est ici glissé parce que cette attitude, qui allait sans dire entre artistes depuis toujours, est devenue rarissime dans la culture française depuis la victoire idéologique de l’individualisme concurrentiel de l’ultra-libéralisme dans les années 80.

N’oublions pas les signes des temps, ils ont tendance à passer inaperçus sous l’habitude des mœurs.

Min Jung-Yeon, Iceberg 1, 2025 exposition Croquer la pomme (galerie Maria Lund)

Une fluidité fascinante

Exigeante avec elle-même, en quête permanente d’espaces dans l’espace, Min Jung-Yeon offre un coup d’éclat, littéralement et symboliquement, avec sa présente exposition.

La fluidité qu’elle avait si bien déployée dans ses précédentes périodes, elle prend aujourd’hui le risque de la répandre entre plans de peinture nets, contours nets aussi, beaucoup moins entrelacés que dans ses vertigineuses compositions antérieures. Et le risque est pari gagné.

Au bout de ce suspens sédimentaire

Min Jung-Yeon, Somewhere 3, exposition Croquer la pomme (galerie Maria Lund)

Regardons la récente acrylique sur toile de grand format intitulée La route de la citadelle : Un premier plan de parapet blanc crayeux, la réserve de toile lisse, en fait. Elle se plie comme un drap de grès, et s’ourle en un repli supérieur qui va faire tremplin bien horizontal, en suspens – improbable suspens pour masse paradoxalement légère – au-dessus d’une surface qui peut être marine. Au bout de ce suspens sédimentaire, il y a bien comme une tenture organique sur éventuels baguettes où pourraient s’abriter des silhouettes, minuscules à cette distance où nous place la composition.
Mais à droite… on dirait un pan de miroir naturel – miroir naturel… – qui laisse voir un fond désertique entre roches ou murets. Et le plan miroir est tenu par ce qui ne tient pas : par des coulures de peinture qui font stalagmites hors-sols. Vers un nuage de densité diaphane…

Comme on voit, formes et perspective sont indiscernables entre elles et en même temps se distinguent par là. C’est rigoureux et jamais vu, ni imaginé.

Un suspens vertigineux de netteté

Min Jung-Yeon, Songe, 2024 exposition Croquer la pomme (galerie Maria Lund)

Une toile de 100 sur 100cm, de format carré, format risqué car rien de décalé ni de spectaculaire a priori, est de ces œuvres qu’on voudrait pouvoir contempler sans limite temporelle : Songe. Il y a là une logique onirique, de cette logique dont on sort surpris d’avoir pris pour évident ce qui est tout autre. Ici, quatre plans et niveaux : en bas, un plan gris, lisse comme un étang, ou de l’air. Puis deux hauteurs de falaises, ductiles, aux creux spongieux et argileux par endroits.   Là-bas, la surface totalement lisse jusqu’en haut situe un ciel. Mais, au milieu de cet ensemble : une découpe d’espace de couleurs de terre et roche et de verdure, forme un paysage dans le paysage, enchâssé et découpé mais flottant en même temps.
L’impression première de monde en suspens venait donc de là, et elle se confirme, s’affirme, nous laissant face à une crête, un bord, un envol – un suspens, quoi – impossible et incontestable.

Par delà le surréalisme et toute tendance

Richard Oelze, Paysage, 1953 photo DR

Le grand peintre Max Ernst aurait été fasciné, lui qui avec ses forêts « décalcomaniées » ou son « Colorado de Méduse », ou ses « Jardins gobe-avions », peignait des paysages qui avaient l’air de venir de quelque part ailleurs. L’auteur du Surréalisme et la peinture (réédition Gallimard), André Breton, aurait immédiatement voulu faire connaître l’œuvre de Min Jung-Yeon et écrire sur son inédite voyance. Cette toile, Songe, et bien d’autres de ses œuvres, provoque le même effet de latence que les paysages fantastiques, post-surréalistes, du monastique et hagard Richard Oelze, que Breton découvrit sur le tard, et pour lequel j’appelle de mes vœux depuis longtemps une exposition rétrospective en France. Un tableau de Richard Oelze datant de 1934 a été particulièrement bien choisi pour l’exposition du Centenaire du Surréalisme qui s’est close au Centre Pompidou cet hiver ; on entreverra un pont d’espace avec Min Jung-Yeon.

Reste que la sensibilité de l’artiste coréenne ne peut ni ne doit être rapportée au surréalisme ; elle est trop originale pour entrer en nomenclature esthétique existante, sauf, très lointainement, à l’inscrire dans les pointillés des encres chinoises – et encore…

La peinture sur plan simple et efficace

Min Jung-Yeon, Jalousie photo Min-Jung-Yeon

Il faut constater que seule la liberté d’aujourd’hui permettait de nous dévoiler cela ; et, contrairement à ce que croyaient les prescripteurs critiques d’art des dernières décennies, la peinture sur plan reste le plus simple moyen de démultiplier notre vision.

Même la peinture matiériste a ses beaux jours d’aujourd’hui et demain : Michel Soskine en a encore administré la preuve en exposant, dans la légendaire Galerie Claude Bernard dont il a pris la succession et qui exposa notamment Francis Bacon en de mémorables vernissages, les peintures de Ronan Barrot : où la matière fouettée dégage un éclairage intérieur aux arbres, feuillages et monticules.
A retenir et à suivre, cet artiste heureusement reconnu lui aussi.

Une artiste vite repérée et bien suivie

Il est bon, et agréable, de constater qu’un/e artiste dont l’œuvre vous a frappé avant que vous ne connaissiez son nom, a une longue lignée d’expositions et de musées derrière elle, dans sa biographie pourtant jeune encore. Il y a tant de « génies méconnus » qui méritent de le rester, méconnus sans autre génie que d’être méconnus, allons, foin des clichés, surtout quand ils sont romantiques.

Cet agréable constat, je l’ai fait par exemple en découvrant la première exposition que Maria Lund avait consacrée à l’artiste coréenne Min Yung-Yeon en 2012. Ce que je vis m’a d’emblée tellement cueilli, et j’essaierai de vous dire pourquoi, que je m’en suis voulu de ne pas l’avoir découverte plus tôt. L’artiste était jeune, certes, née en 1979, et coréenne, ce qui fait deux faibles motifs à mon ignorance. Car elle a vite été repérée en France et dans diverses institutions internationales.

Dès 2012 le MAMC+ de Saint-Etienne, fort lieu d’art neuf, a acquis de ses œuvres en collection ; en 2017 le State Museum of Oriental Art de Moscou ; de même le Musée National de Taïwan en 2010 ; durant l’hiver 2019-2020 c’est au tour du prestigieux Musée Guimet à Paris, dont elle a également intégré la collection, et l’exposition a donné lieu à un Hors-série Beaux-arts Magazine. Les publications se multiplient autour de ses expositions : la première monographie paraît en 2009, suivie du catalogue édité par le MAMC+ de Saint-Etienne ; de même son exposition au Suquet des Art(iste)s à Cannes en 2023 laisse la trace d’un catalogue au titre typique de son univers sensible, Effluves d’un temps éphémère, publié par les soins des éditions Bernard Chauvea.

Une Coréenne à Paris

Min Jung-Yeon rejoint Séoul pour se former à l’Université Hongik. Déterminée, elle travaille, pour payer ses études, dans les sous-sol des jeux-vidéo.

Son œil n’ignore rien de ces nouvelles immersions graphiques ; c’est intéressant au vu de son œuvre ensuite, qui ne porte aucun résidu de l’univers multimédia, mais l’artiste en a tiré un certain sens de « l’au-delà au-delà », pour parler manga.

Leçon : aucune nouvelle technologie ne doit être refusée, mais maîtrisée. Faisons l’analogie, pour cette jeunesse extrême-orientale qui sait jouer hyper-branché, avec l’artiste calligraphe sur peau dans The Pillow Book (1996) de Peter Greenaway : s’y nourrissent réciproquement un art traditionnel et le multi-écran le plus avancé.

Ainsi formée, l’artiste coréenne vient au contact direct de l’art européen, à Paris, où, élève de Jean-Michel Alberola, elle sort diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2006. Elle vit depuis à Paris, et la France, on l’a vu, la soutient bien.
A l’occasion de ses allers-retours dans son pays natal, elle retrouve ses amis artistes, qu’elle soutient volontiers ; elle serait la dernière à le dire mais c’est ici glissé parce que cette attitude, qui allait sans dire entre artistes depuis toujours, est devenue rarissime dans la culture française depuis la victoire idéologique de l’individualisme concurrentiel de l’ultra-libéralisme dans les années 80.

N’oublions pas les signes des temps, ils ont tendance à passer inaperçus sous l’habitude des mœurs.

Une fluidité fascinante

Exigeante avec elle-même, en quête permanente d’espaces dans l’espace, Min Jung-Yeon offre un coup d’éclat, littéralement et symboliquement, avec sa présente exposition.

La fluidité qu’elle avait si bien déployée dans ses précédentes périodes, elle prend aujourd’hui le risque de la répandre entre plans de peinture nets, contours nets aussi, beaucoup moins entrelacés que dans ses vertigineuses compositions antérieures. Et le risque est pari gagné.

Au bout de ce suspens sédimentaire

Regardons la récente acrylique sur toile de grand format intitulée La route de la citadelle : Un premier plan de parapet blanc crayeux, la réserve de toile lisse, en fait. Elle se plie comme un drap de grès, et s’ourle en un repli supérieur qui va faire tremplin bien horizontal, en suspens – improbable suspens pour masse paradoxalement légère – au-dessus d’une surface qui peut être marine. Au bout de ce suspens sédimentaire, il y a bien comme une tenture organique sur éventuels baguettes où pourraient s’abriter des silhouettes, minuscules à cette distance où nous place la composition. Mais à droite… on dirait un pan de miroir naturel – miroir naturel… – qui laisse voir un fond désertique entre roches ou murets. Et le plan miroir est tenu par ce qui ne tient pas : par des coulures de peinture qui font stalagmites hors-sols. Vers un nuage de densité diaphane…

Comme on voit, formes et perspective sont indiscernables entre elles et en même temps se distinguent par là. C’est rigoureux et jamais vu, ni imaginé.

Un suspens vertigineux de netteté

Une toile de 100 sur 100cm, de format carré, format risqué car rien de décalé ni de spectaculaire a priori, est de ces œuvres qu’on voudrait pouvoir contempler sans limite temporelle : Songe. Il y a là une logique onirique, de cette logique dont on sort surpris d’avoir pris pour évident ce qui est tout autre. Ici, quatre plans et niveaux : en bas, un plan gris, lisse comme un étang, ou de l’air. Puis deux hauteurs de falaises, ductiles, aux creux spongieux et argileux par endroits.   Là-bas, la surface totalement lisse jusqu’en haut situe un ciel. Mais, au milieu de cet ensemble : une découpe d’espace de couleurs de terre et roche et de verdure, forme un paysage dans le paysage, enchâssé et découpé mais flottant en même temps. L’impression première de monde en suspens venait donc de là, et elle se confirme, s’affirme, nous laissant face à une crête, un bord, un envol – un suspens, quoi – impossible et incontestable.

Par delà le surréalisme et toute tendance

Le grand peintre Max Ernst aurait été fasciné, lui qui avec ses forêts « décalcomaniées » ou son « Colorado de Méduse », ou ses « Jardins gobe-avions », peignait des paysages qui avaient l’air de venir de quelque part ailleurs. L’auteur du Surréalisme et la peinture (réédition Gallimard), André Breton, aurait immédiatement voulu faire connaître l’œuvre de Min Jung-Yeon et écrire sur son inédite voyance. Cette toile, Songe, et bien d’autres de ses œuvres, provoque le même effet de latence que les paysages fantastiques, post-surréalistes, du monastique et hagard Richard Oelze, que Breton découvrit sur le tard, et pour lequel j’appelle de mes vœux depuis longtemps une exposition rétrospective en France. Un tableau de Richard Oelze datant de 1934 a été particulièrement bien choisi pour l’exposition du Centenaire du Surréalisme qui s’est close au Centre Pompidou cet hiver ; on entreverra un pont d’espace avec Min Jung-Yeon.

Reste que la sensibilité de l’artiste coréenne ne peut ni ne doit être rapportée au surréalisme ; elle est trop originale pour entrer en nomenclature esthétique existante, sauf, très lointainement, à l’inscrire dans les pointillés des encres chinoises – et encore…

La peinture sur plan simple et efficace

Il faut constater que seule la liberté d’aujourd’hui permettait de nous dévoiler cela ; et, contrairement à ce que croyaient les prescripteurs critiques d’art des dernières décennies, la peinture sur plan reste le plus simple moyen de démultiplier notre vision.

Même la peinture matiériste a ses beaux jours d’aujourd’hui et demain : Michel Soskine en a encore administré la preuve en exposant, dans la légendaire Galerie Claude Bernard dont il a pris la succession et qui exposa notamment Francis Bacon en de mémorables vernissages, les peintures de Ronan Barrot : où la matière fouettée dégage un éclairage intérieur aux arbres, feuillages et monticules.
A retenir et à suivre, cet artiste heureusement reconnu lui aussi.

Plus d’infos

« Croquer la pomme », exposition de Min Kung-Yeon, à la Galerie Maria Lund, 48, rue de Turenne, Paris IIIème, jusqu’au 15 mars 2025.

Evénement, le 9 mars à 16h, dans la série de ses dimanches de conférences, lectures, spectacles croisés : l’artiste sera en conversation avec l’historienne d’art et commissaire d’exposition Amélie Adamo, dans le cadre du parcours « S’émerveiller » accueilli par les galeries partenaires au cours de l’année 2025.
Maria Lund
organise régulièrement des événements mêlant theâtre, musique et littérature. Elle anime le CPGA – Comité professionnel des galeries d’art ; sa galerie est également membre de PGMAP – Paris Gallery Map.

Les expositions de la Galerie Claude Bernard, 7 – 9, rue des Beaux-Arts, Paris VIème, où l’on trouvait jusqu’au 8 mars les œuvres de Ronan Barrot et son catalogue toujours en vente.

Exergue facultative

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