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Nà Luther : une dramaturgie de papier et de pastel

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 24 avril 2018 à 1 h 22 min – Mis à jour le 22 mai 2018 à 10 h 23 min

Sa maîtrise confondante du pastel permet à Nà Luther d’imiter toutes les textures – de la carte postale au livre pour créer un univers en trompe l’œil très personnel. Avec ses récents ‘Reliquaires de voyages’ l’artiste poursuit une autre illusion mémorielle, cette fois en trois dimensions.

Unique élève du maître pastelliste Roger Milhomme (1903-1989), Nà Luther a appris dans son atelier du Lot pendant plus de quatre ans tous les secrets de ce matériau à mi-chemin de la peinture et du dessin, et la technique de n’utiliser que ses doigts pour étaler le pastel sur le papier. C’est de cette estompe de centaines de couleurs (plus de 700 teintes de bâtonnets secs sont disponibles) si minutieusement caressées que nait cette sensualité incomparable, attachée à la pratique de cet art pour capter à travers la lumière et restituer toutes les matières.

Les pastels de Nà Luther dans son atelier
Les pastels de Nà Luther dans son atelier. Photo @ Olivier Olgan

« Le pastel pourtant n’est pas un outil, insiste le natif du Laos, en France depuis sa jeunesse fusionnant ainsi l’imaginaire de deux cultures, c’est de la couleur que naissent les formes. » Comme tout artiste, il a refait toute la généalogie de son art. Nourri des natures mortes éclairées à la lumière des bougies des grands européens du XVIIe et XVIIIe siècles, c’est tout naturellement que son catalogue s’est constitué de magnifiques séries de ‘Poteries’, de ‘Fleurs’ , de ‘Coquillages’, de ‘Fruits’, de ‘Légumes’ et … de ‘Livres’.

Livres
Livres. Photo @ Nà Luther

Du temps suspendu aux Carnets de voyages

Dans l’œuvre de Luther, il n’est pas uniquement question de temps de rêverie, de révélation de la lumière sur un objet, mais aussi d’espaces imaginaires. Comme si l’élaboration d’un tableau façonnait aussi un récit qui se déploie en fonction des objets associés sur le papier*. Il en va ainsi de la série de « Carnets de voyages » où il pique sur la feuille ses souvenirs – cartes postales, photographies, lettres, plumes comme autant d’associations poétiques – que chacun est libre de développer dans son imaginaire. Paradoxalement, Luther refuse que l’on évoque le ‘trompe l’œil’ cher aux illusionnistes du XVIIIe siècle, auquel sa technique fait immédiatement penser, nous engageant à plonger l’épaisseur de ses voyages.

Le carnet de voyages de Nà Luther

Le carnet de voyages de Nà Luther. Photo @ Olivier Olgan

A bonne distance, le réalisme est total sauf quand l’amateur s’approche du tableau, il constatera des imperfections; l’illusion n’apparait plus aussi nette, mais délicatement humaine. « De la beauté le pastel a l’éclat et la fragilité » écrivait déjà en 1760 Claude-Henri Watelet dans son poème L’art de peindre.

Une nouvelle illusion avec ses « Reliquaires de voyages »

Les reliquaires de voyages de Nà Luther avec une Vanité
Les reliquaires de voyages de Nà Luther avec une Vanité (aussi en papier). Photo @ Olivier Olgan

L’artiste crée des livres en papier avec une patine à base de caséine pour rendre un coté plâtreux. Ouvert, chacun laisse entrevoir des associations de fleurs et de plumes, d’images ou de boutons, de lettres ou de clés.
L’illusion là aussi est fascinante tant est réaliste la fabrication tout en papier des matériaux les plus divers. « Les histoires racontées par Nà Luther sont illustrées par des objets qui peuvent sembler anodins à nos yeux, écrit joliment son compagnon.  Mais il les aime pour leur simplicité, leur fragilité, leurs larmes, leurs fêlures: roses fanées, livres anciens, bols recouverts de corail de bateaux naufragés, obus blanchis … tous chargés d’histoires qu’ils s’empressent de renverser. »
Pour laisser des traces mémorielles fragiles et sensibles comme le sont nos souvenirs de papier, pourtant capables de se transmettre pour l’éternité. Gracieux pieds de nez aux risques de l’oubli des outils digitaux.

Carnet de voyages
Carnet de voyages. Photo @ Nà Luther

La magie du pastel

Le premier secret du pastelliste : le choix du papier.

*Pour son travail, le pastelliste a testé beaucoup de natures de papier, avant de trouver le plus adéquat : « Certains étaient trop doux, trop poudrés, d’autres trop velours. Après…

Le premier secret du pastelliste : le choix du papier.

*Pour son travail, le pastelliste a testé beaucoup de natures de papier, avant de trouver le plus adéquat : « Certains étaient trop doux, trop poudrés, d’autres trop velours. Après j’ai dessiné sur un papier à dessin classique mais il était alors trop rêche, car j’estompe avec les doigts. Le papier qui est collé sur un carton, doit absorber, assez de matière et je souffle très fort pour enlever le superflu avant d’être mis sous verre. J’ai trouvé enfin un papier pastel mat que l’on trouve dans tous les magasins de Beaux-Arts.»

Pour tout renseignement :
Pierre Stéphan – agent worldwide – jppjstephan@orange.fr
En savoir plus : naluther.fr

A voir de toute urgence :

Pastels du 16e au 21e siècle – Liotard, Degas, Klee, Scully à la la Fondation de l’Hermitage de Lausanne
Plus de 150 œuvres provenant uniquement de collections suisses sont  réunies par la directrice Sylvie Wuhrmann et la conservatrice Aurélie Couvreur pour raconter l’aventure du pastel, depuis son apparition (Barocci, Bassano) au XVIe siècle en Italie jusqu’à la scène contemporaine (Chamberlain, Mangold, Nemours, Samaras, Sandback, Scully, Stämpfli, Szafran) avec, en point d’orgue, une intervention murale conçue spécialement pour l’événement par le jeune artiste suisse Nicolas Party.
Jusqu’au 21 mai 2018

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