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Nowa Huta, la cité polonaise ouvrière rêvée de Staline
Auteur : Thierry Joly
Article publié le 27 juin 2018 à 14 h 26 min – Mis à jour le 10 juillet 2018 à 19 h 17 min
De Cracovie vous n’avez probablement entendu parler que de son ravissant centre historique composé d’édifices gothiques, Renaissances et baroques. Mais, à quelques km de là, formant un contraste saisissant avec cet héritage de la Pologne Royale, le quartier de Nowa Huta rappelle les rêves de grandeur du pouvoir communisme et constitue l’un des plus bels exemples au monde d’architecture et d’urbanisme répondant aux principes du réalisme socialiste.
A l’origine une ville indépendante, Nowa Huta a vu le jour après-guerre en même temps que le gigantesque complexe sidérurgique qu’il jouxte et auquel il doit son nom signifiant « Nouvelle Aciérie ». Une double création décidée par les Soviétiques qui voulaient établir en Pologne un grand centre industriel qui soit à la fois une vitrine du communisme, le symbole de sa supériorité économique sur le capitalisme et un modèle de cité ouvrière. Son implantation aux portes de Cracovie et non près des mines de Silésie, comme initialement projeté, fut également un choix de Moscou. Voire de Staline lui-même.
Née du châtiment soviétique
Empreinte idéologique, la cité fut édifiée pour punir Cracovie, jugée arrogante, conservatrice, indocile et bourgeoise. Cracovie, dont les habitants avaient en 1946 majoritairement répondu non aux questions d’un référendum sur des réformes économiques et sociales, affirment les tenants de cette hypothèse. Pour eux, les caciques communistes voulaient par l’afflux de milliers d’ouvriers transformer la capitale culturelle de la Pologne en une ville prolétaire. Quand le Petit Père des Peuples ordonnait, les choses ne trainaient pas. Les travaux débutèrent en 1949, à peine la décision définitivement entérinée. Les premiers logements furent livrés en 1950 tandis que l’usine débuta son activité dès 1951 et tourna à plein régime trois ans plus tard.
La partie la plus intéressante du quartier est la plus ancienne, construite entre 1949 et 1956, car elle ne souffre d’aucune entorse au réalisme socialisme qui promeut une architecture socialiste dans sa forme, nationaliste dans son contenu. Les bâtiments les plus imposants associent ainsi style stalinien néoclassique et influence Renaissance du vieux Cracovie identifiable par les attiques décorant les toits.
Ironie de l’histoire
Ils s’élèvent principalement autour de la place centrale qui forme un demi-cercle ainsi que le long des larges artères rectilignes qui y convergent, dimensionnées pour accueillir de grands défilés populaires. Mais, ironie de l’histoire, Solidarnosc choisit très vite d’y organiser ses manifestations car il y était pour la police plus difficile d’encercler et d’arrêter les protestataires que dans les petites rues de la vieille ville. Quant à la place centrale, où s’élève un petit monument en l’honneur du syndicat, elle porte désormais le nom de Ronald Reagan et non plus celui de Lénine dont la monumentale statue qui trônait à proximité a par ailleurs été déboulonnée en 1989 et est aujourd’hui exilée dans un parc suédois. Une oeuvre que détestaient nombre de Polonais. Il se dit d’ailleurs que certains y déposaient de la valériane pour inciter les chats à venir uriner dessus !!!
N’allez toutefois pas croire que tout Nowa Huta présente ce visage grandiose. Derrière les immeubles de caractère aux appartements hauts de plafond bordant ces avenues, le décor est tout autre.
Des unités de voisinages d’inspiration anglo-saxonne
L’agencement urbain s’inspire du principe des unités de voisinage développé aux Etats-Unis dans les années 20 et 30 avec des bâtiments plus modestes regroupés en ilots qui réunissent autour de 5 000 habitants avec écoles, crèches, commerces, services publiques, médecins, équipements de loisirs,… Une organisation qui permettait en outre, comme par hasard, une surveillance plus aisée de la population. Il existe aussi des secteurs à l’habitat un peu plus dispersé, aux immeubles aux toitures a quatre pans typiques de la Pologne d’après-guerre construits au tout début du projet quand il n’était pas encore complètement formaté. Par contre, quel que soit le lieu, arbres et espaces verts abondent, tout comme les centres culturels, créant un cadre de vie bien plus agréable que ce qu’un Européen de l’Ouest attend généralement d’une cité communiste d’un pays de l’Est. D’autant que la plupart des façades d’immeubles ont été récemment nettoyées et ont retrouvé leur couleur blanche d’origine.
Grandeur et déclin d’un monstre d’acier industriel
Il faut également voir les bâtiments administratifs de l’aciérie, à présent à moitié inoccupés. Soi-disant en partie inspirés du palais Farnese de Caprarola, en Italie, reliés par des tunnels et pourvus d’abris anti atomiques. Ils encadrent son unique entrée où, à son apogée, dans les années 70, passaient chaque jour quelques 40 000 ouvriers assurant une production de 7 Mt d’acier par an. Il s’agissait alors de la plus grande d’Europe. Une réussite telle, à l’aune des critères socialistes, que les ouvriers eurent droit à une visite de Fidel Castro et à l’un de ses discours fleuves dont il était coutumier. Aujourd’hui tombée dans l’escarcelle d’Arcelor Mittal, elle n’emploie plus que 3 000 salariés. Là aussi le nom de Lénine a disparu remplacé par celui de Tadeusz Sendzimir, un célèbre ingénieur sidérurgiste. Avec la chute du communisme, puis la privatisation, les effectifs ont fondu comme neige au soleil, amère conséquence de la victoire de Solidarnosc dont les luttes sont rappelées par une plaque à l’entrée du complexe.
Catholicisme versus communisme
Auparavant, le quartier avait aussi été le théâtre de troubles liés à la religion, le souhait des Autorités de créer une cité ouvrière sans Dieu s’étant heurté au fort attachement au catholicisme des Polonais. Ce qui les incita à ne pas détruire le monastère cistercien et l’église gothique en bois présents dans les villages agricoles rasés pour faire place à Nowa Huta. En revanche, aucun édifice religieux ne fut érigé dans la ville nouvelle où ilots et rues ne se virent attribuer que des noms de héros communistes ou de figures de l’époque païenne. Le statu quo perdura jusqu’en 1966, millième anniversaire de la fondation de la Pologne et de sa conversion au catholicisme, lorsque le Pouvoir promit dans un premier temps d’autoriser la construction d’une église avant de se raviser et d’enlever la croix plantée pour marquer son futur emplacement.
La population victorieuse
S’en suivirent une litanie de manifestations et d’actes de désobéisances soutenus par Karol Wojtila, le futur Pape Jean Paul II, alors évêque de Cracovie. Jusqu’en 1977 où, de guerre lasse, voyant que les répressions n’y changeaient rien, l’Etat donna son accord pour ériger une église a quelques centaines de mètres du lieu initialement prévu… Mais bien entendu sans y allouer un zloty. Sa construction prit ainsi dix années et ne put se faire que grâce à des donations venues du monde entier ainsi qu’au système D. Ses murs sont ainsi faits de galets ramenés par les fidèles lorsqu’ils revenaient du bord de mer. Officiellement nommée église Notre-Dame-Reine-de-Pologne, elle est aussi appelée église de l’Arche du Seigneur par les Polonais qui par cette métaphore signifiaient à leurs dirigeants que le Christianisme survivrait au communisme.
Le film d’Andrzej Munk (réalisateur polonais né à Cracovie (1920-1961) sur la construction de Nowa Huta (en polonais). Vous pourrez le visionner en version française ou anglaise, au C2 Poludnie Cafe (voir informations pratiques).
Crédits photo : Thierry Joly
Voyage dans le temps et informations Pratiques
Après avoir parcouru Nowa Huta en long et en large, pour avoir une idée complète de la vie d’antan, allez-vous restaurer dans des restaurants que ses habitants fréquentaient à l’époque communiste. Au Stylowa, alors le plus luxueux où rien ne…
Après avoir parcouru Nowa Huta en long et en large, pour avoir une idée complète de la vie d’antan, allez-vous restaurer dans des restaurants que ses habitants fréquentaient à l’époque communiste. Au Stylowa, alors le plus luxueux où rien ne semble avoir changé, même les serveuses, à ceci près qu’elles sont aujourd’hui aimables et souriantes. Ou dans un bar à lait, type d’établissement né à la fin du 19e siècle qui propose à moindre coût une cuisine traditionnelle simple et roborative à base de farine, lait et oeufs remis à l’honneur par les communistes. Puis allez prendre un verre au C2 Poludnie Cafe qui vous plonge dans l’ambiance d’alors par son décor. Sur demande, on vous y projettera un film de propagande en noir et blanc montrant la construction de Nowa Huta. Une intéressante collection de photographies en noir et blanc sur la vie du quartier est par ailleurs visible dans un petit musée installé près de la place Ronald Reagan. Autant de lieux où vous pouvez vous rendre par vous-même ou via une excursion, Crazy Guides vous y emmenant en Trabant ou en bus d’époque.
Comment s’y rendre
– Vols directs quotidiens avec EasyJet à partir de 100 € A/R. Vols avec escales quotidiens via Varsovie avec LOT à partir de 150 € A/R
Séjourner à Cracovie :
–> Hôtel Legend, 12 Św. Gertrudy street, 31-048 Cracovie, réservation : 00/48123545950
–> Hôtel Grodek, Na Gródku 4, 31-028 Cracovie, réservations : 00/48124319030
– Restaurants
Pod Nosem, Kanonicza 22, 31-002 Cracovie, 00/48123760014, www.kanonicza22.com/en/restaurant
Albertina, Dominikańska 3, 31-043, 00/48123334110
Les deux offrent une cuisine raffinée et des plats traditionnels ainsi qu’une belle carte des vins comprenant un large choix de crus polonais.
A lire :
-Revue Regard sur l’Est, « Nowa Huta, l’ironie de l’histoire », Lise Bourdeau-Lepage et Gwénaëlle Benet, 15/11/2007
-Revue Regard sur l’Est, « Nowa Huta – Cracovie : vers la réconciliation? », Amélie Bonnet, le 15/11/2017
-Revue Géocarrefour Vol 80/1, 2005, « Identités, développement local et territoires : Nowa Huta et Cracovie«
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