Culture
Photographies en guerre (Exposition & Catalogue Musée de l'Armée)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 24 mai 2022
Jusqu’au dimanche 24 juillet 2022, Musée de l’Armée Invalides, Hôtel national des Invalides, 129, rue de Grenelle, 75007 Paris –Réservation
Conçue avant la guerre d’invasion de l’Ukraine qui réactive la férocité des enjeux de l’image de guerre en Europe, l’exposition – et son catalogue – Photographies en guerre du Musée de l’Armée aux Invalides jusqu’au 24 juillet, replacent et interrogent les ressorts de la fabrique de l’image de guerre sous toutes ses formes, entre mémoire collective et instrumentalisation politique. Le récit de cette construction médiatique offre le recul indispensable face l’inévitable propagande inhérente à tout conflit.
Au-delà du conflit, le risque de sa représentation
Plus de 300 photos – des plus grands reporters (de Robert Capa à Yan Morvan) aux plus anonymes – sont à découvrir dans un dispositif scénique et un appareil critique remarquable. Ponctué d’analyses d’historiens ou de photoreporters sur écran, le parcours privilégie la chronologie tant les Photographies en guerre suivent les progrès techniques – des appareils comme de la presse – qui leur permettent de ‘coller’ au plus près des conflits, et d’y impliquer au double sens du terme par leur diffusion en temps réel, la plus large audience de l’humanité.
« Avec la guerre russo-japonaise (1904-1905), la couverture visuelle des conflits par la photographie se développe et devient plus que jamais un enjeu pour les belligérants comme pour les médias » Georges Claretie, chroniqueur dans le journal Le Figaro, écrit le 29 avril 1905 : « Le vrai peintre de la guerre aujourd’hui, le plus féroce et le plus vrai, c’est le kodak ».
La guerre massacre, détruit; la photographie sidère.
Avec pédagogie et force de clichés iconiques, les enjeux d’une « vérité » de l’image sont cernés, pointés, discutés : de la contextualisation, à la manipulation, de de la théâtralisation à l’éthique de l’auteur… Difficile des lors de résumer ce qui est le plus passionnant ou le plus pertinent dans cette réflexion historique sur la photographie ‘en temps de guerre’ pour notre compréhension des évènements actuels – entre l’omniprésence d’images (Ukraine/Russie) ou leur absence (Birmanie/Erythrée)…
Alors que les photographes arrivent souvent après la bataille, le visiteur ne peut qu’être frappé par l’évolution de la notion même de « prises de guerre », les « bouts » de terrains mélangés au sang pèsent tellement peu par rapport à la captation de l’attention collective.
La grande humilité de la contextualisation et de l’interprétation
Plus que tout autre expression culturelle, la ‘représentation visuelle’ d’une guerre reste une guerre de l’attention. Plaçant plus que jamais la question sur le sujet (qui photographie ?) et sur sa réalité (la multiplicité des paramètres constitutifs – parfois fragiles – de la photographie) au cœur de sa « vérité » : « Clichés ou captations d’écran non légendés, non crédités, non datés, tampons secs et humides illisibles, traces diverses d’usages antérieurs disparates, annotations fragmentaires, contradictoires ou fausses, métadonnées incomplètes, origine première inconnue, modalités de prise de vue incertaines ou contestées incitent à une grande humilité dans l’interprétation, à savoir ce que l’on peut énoncer à la vue du résultat d’un procédé photosensible ou numérique qu’est une photographie, une image. » insiste Françoise Denoyelle dans l’essai introductif du catalogue « De l’objectif à la cimaise: la photographie en guerre » pour constater les difficultés de cadrer son « exposition ».
D’autant que l’iconographie incluent des formes de la guerre qui excluent le champ de bataille : « L’image, associée à ses usages : stratégie, information, propagande, militantisme, science, technique, médecine, lien affectif, souvenir, met en évidence ou sous-tend les enjeux militaires et civils qui président à sa propagation et serviront à la constitution d’une mémoire individuelle et collective que ponctuent de leur aura quelques icônes. »
Le leurre de l’objectivité photographique
Il est toujours utile de nous interroger mais aussi nous apprendre à voir et détecter les codes de la photographie d’information en général, et de conflits en particulier. Les multiples historiens décortiquent les canons de la peinture d’histoire, de la peinture religieuse et de la fascination pour les icônes : « La notion même d’icône, empruntée au registre religieux et qui a récemment glissé vers celui de l’informatique ou de la ressemblance entre la représentation et la chose représentée, traduit toute l’ambiguïté de la réception des œuvres photographiques, de leurs origines à nos jours, images supposées données, enregistrées et non construites. » éclaire Sylvie Le Ray-Burimi. Mais sans oublier que si la fidélité de reproduction reste un parangon de l’objectivité, cet absolu est un leurre insiste Dominique de Font-Réaulx dans l’un des entretiens qui émaille le précieux catalogue : « C’est entre le postulat d’objectivité et la réalité de la photographie que se met en place un espace entre attente et possibilité, vrai et vraisemblable. L’existence de cet espace mental offre la possibilité d’une créativité spécifiquement photographique fondée sur les distorsions avec la réalité. Cela est vrai pour toute forme de photographie, pas seulement pour les images de guerre. »
Sortir du théâtre de guerre
Le visiteur malgré les horreurs en scène est toujours mis devant le fait accompli d’une théâtralisation pour marquer l’Histoire, l’attention, la construction d’un récit (de victoire). D’autant que beaucoup d’images devenues références visuelles communes, suscitant détournements ou reprises, photographiques ou non, de leurs motifs restent mises en scène ou suspectées de l’avoir été : du ‘Mort d’un soldat républicain’ de Robert Capa à celles du drapeau américain à Iwo Jima par Joe Rosenthal ou du drapeau soviétique hissé sur le Reichstag par Evgueni Khaldeï,…. « La perfection des poses, le sens de la composition, l’effet d’éclairage et son format – imposant – la placent d’emblée dans le registre du souffle épique, de la peinture et de la mise en scène, plus que dans celui de la photographie documentaire. »
Ce qu’écrit Anthony Petiteau de l’œuvre d’Emeric Lhuisset (auteur de la couverture du catalogue puisée de la série Théâtre de guerre, photographie avec un groupe de guérilla kurde, Irak, 2011-2012) plane aussi sur toute photo de notre mémoire collective.
« Il y a une vraie résistance de la photographie qui s’exprime dans la continuité de la croyance dans les images. insiste Thierry Gervais qui n’hésite pas à s’interroger sur ce qu’est la photographie de guerre. La question fondamentale, me semble-t-il, est de comprendre par quelle mise en place rhétorique le lectorat croit à ces représentations, ou du moins y est attaché. »
De soldat photographe au témoin neutre
« Une photo est à la fois une pseudo-présence et une marque de l’absence.» La citation de Susan Sontag ouvre l’essai sur « la réalité des ghettos et des camps de concentration ». Les questions essentielles, du statut du photographe à son éthique – ce qu’il doit montrer ou pas, ce qu’il peut figer ou pas – se posent de son invention à nos jours : « Si la photographie est un outil permettant de décrire le monde, elle est néanmoins une arme à double tranchant. démontre Mathilde Benoistel, dans l’essai Soldats photographes aux colonies. Elle révèle et expose, au sens photographique et au sens propre, des abominations qui sont commises dans les territoires colonisés. Les photographies d’atrocités ont une double fonction : à la fois avertir et contrôler les populations par la terreur, mais aussi conquérir l’opinion publique. »
Des images photographiques entêtées
Malgré les innovations digitales qui rendent toute photo incertaine, la photographie de guerre doit se nourrir d’une éthique d’information – loin de la propagande – et de fiabilité de la source : sans elle, les images n’offrent plus la distance indispensable avec leur sujet. « Il ne s’agit pas d’un double discours mais de discours parallèles qui coexistent. confie Julie d’Andurain. Le rôle de l’historien n’est pas de prendre part à une parole univoque mais d’analyser cette pluralité de voix, en les faisant dialoguer dans une perspective diachronique. »
A ceux qui craignent qu’une histoire écrite par les vainqueurs, l’absence de pluralité d’historiographie par rapport aux pays anglosaxons l’historien Serge Plantureux reste optimiste : « Il existe des images photographiques entêtées qui resteront d’une génération à l’autre et permettront aux chercheurs, quand ils les découvriront ou s’y intéresseront, de faire contrepoint à l’histoire des vainqueurs. Il suffit pour cela d’une seule photographie. »
Une postérité iconique toujours à écrire.
« Preuve dans le cadre d’un procès, manière de témoigner ou de résister, d’exister en tant qu’individu dans une société en conflit, devenue source pour les historiens, motif d’interrogation repris par des artistes contemporains tel Jérôme Zonder, dans une réflexion sur ce que l’on peut montrer et dire des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La photographie est tout cela à la fois. » écrit Mathilde Benoistel en ouvrant le champs de la réflexion.
Tel est le paradoxe de l’image (de guerre) et le véritable enjeu de cette exposition/catalogue éclairante ; être moins dans l’émotion (en dépit de la souffrance des victimes) pour nous inviter à un cheminement réflexif et critique sur la « présence » du visuel et de son sens en terme de propagande
#Olivier Olgan
Pour aller plus loin
Catalogue : sous la direction de Mathilde Benoistel, Sylvie Le Ray-Burimi, & Anthony Petiteau, co-édition Musée de l’Armée-RMN, 350 p., 300 ill., 39 € :
« Depuis l’apparition de ce nouveau médium sur un champ de bataille au milieu du xixe siècle, les rapports entre photographie et guerre sont demeurés complexes, relevant de pratiques plurielles (amateurs ou professionnelles), d’intentions et d’usages multiples (informer, documenter, prouver, convaincre, légitimer, tromper, dénoncer, témoigner, se souvenir…) dans les champs les plus variés (militaire, politique, économique, mais aussi social, culturel et esthétique). » écrit en préface du catalogue le Général Henry de Medlege, Directeur de l’établissement public du musée de l’Armé. En dix séquences historiques, éclairées de plusieurs essais thématiques et enrichis de focus et d’entretiens d’historiens ou de photographes sur les processus de mise en avant et d’iconisation des conflits sur trois siècles, ce Beaux Livre sur les histoires et les enjeux des Photographies en guerre; faites « pour informer, documenter, prouver, légitimer, tromper, dénoncer, témoigner, se souvenir, vendre et – finalement – représenter la guerre », fera date pour approfondir et élargir la réflexion sur la représentation visuelle des « conflits » (de la guerre … ou terrorisme) qui nous interpellent.
Femmes photographes de guerre
jusqu’au 31 décembre, , 4, av. du Colonel-Rol-Tanguy, 14e
Si la photojournalisme de guerre est une affaire d’hommes. Des femmes photographes ont été aussi au front entre 1936 et 2011. Le Musée de la Libération – Leclerc – Moulin rend hommage huit femmes photographes de guerre ayant marquées le XXe à travers 80 photos, toutes reconnues par leurs pairs. L’itinéraire de trois françaises de même génération Catherine Leroy (1944-2006), Françoise Demulder (1947-2008) et Christine Spengler (née en 1945 côtoie ceux de Gerda Taro (1910-1937) et Lee Miller (1907-1977) à Anja Niedringhaus, tuée à 49 ans en Afghanistan, (née en 1948), Carolyn Cole (née en 1964).
À celles qui seraient tentées de voir un traitement genré des conflits, Christine Spengler balaye la question d’un « le regard féminin n’existe pas », même si la commissaire Sylvie Zaidman précise : « Elles sont plus facilement au contact des populations civiles, des autres femmes, des enfants et donc elles ont un regard particulier par ce biais uniquement. Elles nous montrent que les femmes sont des actrices des conflits, elles sont des témoins, certes, mais aussi actrices ou parfois des combattantes, et pas seulement des victimes.»
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