Culture

Pionnier de l’art urbain, Gérard Zlotykamien, 60 ans d’éphémères (Galerie Mathgoth)

Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 27 septembre 2023

Depuis 60 ans, Gérard Zlotykamien trace ses figures évanescentes qu’il appelle « Éphémères » dans les rues.  La Galerie Mathgoth revient jusqu’au 28 octobre 2023 sur 60 ans de carrière de « Zloty » considéré comme le premier artiste d’art urbain. Celui qui a sa place dans la contre-histoire de l’art urbain La morsure des termites au Palais de Tokyo revendique « qu’il fallait ajouter quelque chose à la rue » Pour Baptiste Le Guay , Zloty s’est débarrassé de toutes contraintes pour rendre ses « Ephémères » visible par le plus grand nombre, belle revanche sur la fragilité et la fugacité de l’existence.

Autodidacte et engagé

Zloty se fait sa culture artistique à travers des expositions parisiennes, fasciné par Miro, Calder et Duchamp, cherchant sa voie et son style personnel.

J’ai mis un peu de temps à trouver ma propre écriture, sans avoir à copier qui que ce soit.
Zloty

C’est en préparant la Biennale de Paris en 1963 qu’une étincelle jaillit et que le déclic se produit. Avec le collectif composé d’Eduardo Arroyo, Gilles Aillaud, Pierre Pinoncelli, Mark Biass, Mark Brusse et Jorge Camacho, il y présente L’Abattoir, ainsi qu’une fresque en solo, Ronde macabre. Leur dénonciation très violente de dictateurs, tranchés en deux, les viscères dehors, deux morts (Hitler et Mussolini) et deux encore en fonction à l’époque (Salazar et Franco) fait scandale et est tout de suite censurée par le ministère de la Culture pour des raisons diplomatiques.

Gérard Zlotykamien, Ronde macabre, 1963 peinture à la poire à lavement présentée à La morsure des termites au Palais de Tokyo. Photo Baptiste Le Guay

L’Espagne avait fait le nécessaire pour que ça n’existe pas au nom de Franco. C’est marrant car ces quatre tableaux sont exposés aujourd’hui au Musée de la Reine Sofia à Madrid .
Zloty.

Gérard Zlotykamien dit Zloty présente sa rétrospective à la Galerie Mathgoth Photo Baptiste Le Guay

Une nouvelle preuve que ce qui n’est pas accepté à une époque peut être encensé par la suite, comme c’est le cas avec le Street art aujourd’hui.

Révolté par cette décision arbitraire à l’époque, il décide de prendre ses distances avec le monde de l’art et ses conventions. Il se met ainsi à peindre dans l’espace public, débarrassé de toutes contraintes et visible par le plus grand nombre.

J’ai longtemps pensé qu’il fallait ajouter quelque chose à la rue.
Zloty.  

Les objets du quotidien comme terrain d’expression

Gérard Zlotykamien fait courir ses ephémères sur tous les supports trouvés dans la rue (Galerie Mathgoth) Photo Baptiste Le Guay


Ephémère sur carton de Zloty (Galerie Mathgoth) Photo Baptiste Le Guay

L’environnement urbain est le terrain de jeu favori de Zloty.

Chaque surface extérieure, d’un mur défraîchi aux bâtiments abandonnés sont autant d’opportunités pour en faire une toile. Alors qu’il commence avec une poire à lavement ou des pinceaux, la bombe aérosol, prête à l’emploi, lui permet de peindre sans le moindre contact avec le sol. N’importe que support urbain, anodin dans le paysage d’une ville, va s’intégrer à son processus créatif. Que ce soit un morceau de carton, du verre, des palissades en bois et même des matelas, le moindre objet lambda devient une création artistique. L’artiste connaît quelques déboires avec la justice à cause de ses peintures dans la rue, ce qu’il considère normal, même si ça ne l’empêche pas de continuer malgré les avertissements.

C’est une agression silencieuse, comme le cri de Munch. Nous prenons des risques pour dire ce que nous pensons comme nous le pensons, c’est notre vérité.
Zloty. 

Les outils de Sloty lui permettent de travailler là où le pinceau n’accroche pas (Galerie Mathgoth) Photo Baptiste Le Guay

La technique de la poire à lavement

Adolescent, Gérard Zlotykamien dessine souvent avec un lavis, une technique de peinture très liquide où l’eau sert de diluant. Malheureusement, ce procédé fait gondoler le papier et produit des tâches inesthétiques. Pour y remédier, Zloty utilise une poire à lavement, remplie de peinture acrylique; normalement utilisé dans le milieu médical, elle lui permet ainsi d’aspirer l’excès de liquide.  Parmi ses premières oeuvres, « Ronde Macabre », est exposé dans La Morsure des termites au Palais de Tokyo.

A l’inverse, cet outil peut également projeter du liquide, Zloty en fait un outil de création à part entière. Ancien judoka, passion qu’il partageait avec son mentor Yves Klein, l’économie de mouvements et la grâce du geste sont essentiels dans son processus créatif.

Ephémère sur bois de Gérard Zlotykamien, Cendres (Galerie Mathgoth) Photo Baptiste Le Guay

C’est le prolongement de ma main. Il y a suffisamment de réserve de peinture pour que je puisse faire un travail conséquent en utilisant un seul geste, en utilisant au choix la violence ou la précision

Les « éphémères », des figures évanescentes

Sur des murs de rues ou des lieus abandonnés, sur des sacs, des cartons ou une planche de bois, le moindre objet du décor est matière pour que le peintre s’exerce dessus. Les éphémères rappellent la fugacité et la fragilité de l’existence, ces derniers peuvent être assimilés à des fantômes, ils sont transparents et semblent être de passage. Ces œuvres sont à l’image des humains, ou de chaque être vivant, une chose de passage voué à disparaître à un moment donné.

La seule chose qui me semble le plus réelle c’est que rien ne dure ni n’est défini.

Effacement de Gérard Zlotykamien, 1977 (Galerie Mathgoth) Photo Baptiste Le Guay

La disparition est un leitmotiv dans l’œuvre de Zloty, venant d’une famille juive d’Europe de l’Est où seuls ses parents ont survécu aux camps de concentration. Un passé lourd poussant l’artiste à détruire ses œuvres par différents procédés.

En 1977, il présente une série de 15 éphémères sur des palissades en bois blanc à la galerie Charley Chevalier. Contre toute attente, Zloty se met à peindre sous les yeux des visiteurs chaque œuvre avec de la peinture noire, en les nommant « Effacement ».

Gérard Zlotykamien, Cendres, 1995 (Galerie Mathgoth) Photo Baptiste Le Guay

En 1995 cette fois, Zloty brûle une de ses anciennes œuvres pour mettre les cendres de celle-ci dans des bocaux en verre. La référence aux fours crématoires et l’horreur de la Shoah semble bien proche.

Le défi des 500 dessins en 24 heures

Après avoir vu un reportage à la télévision sur les parlementaires votant des lois entre 3 et 4 heures du matin, Zloty se demande quel impact aurait l’épuisement physique sur son travail. Il se lance ainsi dans un défi à Avignon en 1981 : réaliser 500 dessins en 24 heures. Pour achever ce rythme endiablé, le peintre doit avoir une cadence de 3 minutes par dessin, prenant une pause toutes les deux trois heures environ. Cet exercice draconien le videra complétement, l’empêchant de peindre pendant deux ans durant.

Ephémère de Gérard Zlotykamien exposée dans la (Galerie Mathgoth Photo Baptiste Le Guay

Fasciné par l’éphémère, la destruction, l’effacement, un vocabulaire peignant un univers sombre, l’œuvre de Zloty reste drôle et traité avec dérision. Il est toujours surprenants de voir ces personnages se promener et s’infiltrer sur n’importe quel support, nous faisant un clin d’œil permanent. A la manière d’un grapheur répétant son nom sur les murs, Zloty a une démarche semblable en répétant ses personnages à l’infini, comme signature.

Ultime clin d’œil, ses éphémères laissent leurs traces, celle de l’âme d’un artiste qui perdure longtemps après notre passage.

#Baptiste Le Guay

Pour aller plus loin avec Zloty

Jusqu’au 28 octobre 2023, du mercredi au dimanche, de 15.00 à 19.00. Galerie Mathgoth, 1 rue Alphonse Boudard, Paris 13.
Notre conseil : il vaut mieux appeler avant vous y rendre pour ne pas tomber sur le rideau fermé avant 19h.
Tél.: +33 (0) 6 63 01 41 50 ou galerie@mathgoth.com

A lire

Stéphanie Lemoine, Gérard Zlotykamien, Lineart/galerie Mathgoth 2022 : Cette première monographie, retraçant plus de soixante années de création, découvre l’influence, l’importance et la cohérence du travail de Zloty. « Un travail qui n’a de cesse de nous rappeler l’existence interrompue de peuples innocents et plus globalement l’éphémérité de l’existence humaine« .Avec les témoignages de Miss Tic, agnès b., Invader, Blek le Rat, Jef Aérosol, Jean Faucheur, Denys Riout, André, Jérôme Mesnager ou Hugo Vitrani.

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