Vins & spirits
Quand des vins du Lot et du Calvados surprennent les sommeliers
Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 23 mars 2022
[Les pépites de la révolution viticole] Gérard Samson, Christian Belmon, Lydia et Claude Bourguignon étaient respectivement notaire, architecte et microbiologiste. Et puis ils se sont fait vignerons, avec un domaine sur 6 hectares chacun : Les Arpents du Soleil, Le Domaine Belmont, Le Domaine Laroque d’Antan. Mais pas n’importe comment, soulignent admiratifs Mohamed Najim & Etienne Gingembre. En cassant tous les codes. Un pari gagnant pour nos papilles.
Aujourd’hui, on a décidé de vous parler de vins et de domaines surprenants. De ceux que l’on ne s’attend pas à trouver à cet endroit ou simplement comme cela. L’an dernier, en écrivant notre livre Quand le vin fait sa révolution (Editions du Cerf) nous ne nous attendions pas du tout à découvrir des cuvées pareilles. Alors bien sûr il y a les coteaux d’Haillicourt, un vin de terril récolté et élevé dans le département du Nord. On pourrait aussi évoquer cette vigne de Tahiti qui fait deux vendanges par an parce qu’en zone tropicale la vigne fleurit deux fois. Mais on n’a goûté ni les uns ni les autres. Alors nous allons être beaucoup moins exotiques et beaucoup plus gustatifs.
Trois domaines IGP d’excellence tout à fait étonnants.
Qu’ont-ils en commun ? D’abord d’être en « indication géographique protégée » (IGP), une appellation au cahier des charges beaucoup moins exigeant que celui des AOC et des AOP. Mais ce n’est pas cela qui est déterminant. Bien que distantes de plus de 650 kilomètres, ces propriétés ont la particularité de se trouver sur le même type de géologie.
On est sur du Kimméridgien, autrement dit le deuxième étage stratigraphique du Jurassique supérieur, qui s’étend de moins 157,3 à moins 152,1 millions d’années. L’Encyclopædia d’excellence Universalis ajoute qu’il s’agit d’« une sédimentation vaseuse qui repousse les récifs vers les régions alpine et méditerranéenne, où dominent encore les dépôts calcaires ». Lydia et Claude Bourguignon, dont nous allons parler un peu plus loin, sont des consultants, spécialistes incontestés des sols viticoles et de leur restauration : « Le Kimméridgien, qui figure en bleu sur les cartes géologiques, nous apprennent-ils, c’est Chablis, Montrachet ou la Romanée-Conti ». C’est donc un terroir tout ce qu’il y a de plus propice aux grands vins et en particulier aux blancs. Mais, ces trois domaines d’excellence ne boudent pas les rouges.
Les Arpents du Soleil font pousser la vigne dans le Calvados
Vers la fin des années 1990, Maître Gérard Samson, notaire, s’est fait vigneron. Il avait son étude à Saint-Pierre-sur-Dives, à 25 kilomètres de Caen, quand un détail, sur une carte du XVIIIe siècle, l’a un jour intrigué. En regardant de près cette carte de Cassini, il découvre que « Le Soleil », un lieu-dit de sa commune était planté de vignes sous le règne de Louis XVI. C’est ce qui a décidé de son avenir professionnel. Se rendant sur place, il s’aperçoit que ce coteau n’a guère plus de 25 centimètres de terre.
En dessous, il découvre donc une roche kimméridgienne qui est fracturée, ce qui signifie que les racines de la vigne peuvent descendre en profondeur à la recherche de leurs nutriments. De plus, ledit Soleil est le micro-climat le plus sec de toute la Normandie, car il bénéficie d’un effet de fœhn, ce vent sec et chaud venant du sud qui souffle à l’automne et au début du printemps. Le notaire achète le coteau puis plante 6,6 hectares d’auxerrois, de pinot gris, de chardonnay, de melon de Bourgogne, de sauvignon, de müller-thurgau et de pinot noir.
Ses blancs aussi surprenants et originaux que délicieux, mais aussi sont rouge, prouvent que le Calvados n’est pas seulement un terroir à cidre. Les vins des Arpents du Soleil ont d’ailleurs eu les honneurs du Guide Hachette à 18 reprises au cours des 21 dernières années. Et aussi l’obtention d’une IGP que l’INAO, l’administration viticole, a beaucoup hésité à lui accorder.
Le Domaine Belmont fait des blancs minéraux au pays du Cahors
Dans les années 1970, après des études d’architecture à Paris, Christian Belmon décide de s’installer au Gagnoulat, lieudit de Goujounac, village du Lot situé à 30 kilomètres au nord-ouest de Cahors, sa préfecture. Ayant hérité d’un peu de prairies et de bois, il se souvient d’avoir vendangé, tout enfant, un bout de vigne avec son grand-père, il se met en tête de replanter les ceps disparus. Il fait appel à Lydia et Claude Bourguigon, les spécialistes mondiaux des sols, qui l’aident à choisir quelques hectares de Kimméridgien.
Comme c’est une terre à blanc, ils y plantent d’abord du chardonnay. Par la suite, Christian Belmon plantera aussi de la syrah et du cabernet franc. Aidé du consultant vinificateur Stéphane Derenoncourt, le Domaine Belmont (cette fois avec un « t » final) réussit d’incroyables pépites sur les 6,5 hectares de son vignoble : « C’est le meilleur blanc dans un rayon de 200 kilomètres », a commenté Michel Bettane. Mais les rouges sont presque aussi surprenants. Depuis, après la disparition de Christian, c’est Françoise Belmon, son épouse, qui continue l’aventure.
Le Domaine Laroque d’Antan cultive les cépages les plus rares
En assistant le Domaine Belmont à sa création, Lydia et Claude Bourguignons, microbiologistes et œnologues surnommés « les médecins des sols », ont été surpris de découvrir, dans le Lot, des sols kimméridgiens semblables à ceux de la Bourgogne. Cela faisait longtemps que ces consultants exigeants songeaient à se doter d’un laboratoire d’expérimentation grandeur nature. Ces propagandistes décomplexés de la viticulture biologique en avaient marre de s’entendre opposer : « Si vous aviez des vignes, vous seriez bien obligés de traiter, comme tout le monde ».
Un jour, ils se sont dits « on ve leur montrer ce qu’on sait faire »… C’est ainsi qu’ils ont acquis 6 hectares de bois à 4 kilomètres de Cahors où, avec Emmanuel, leur fils, ils ont planté des cépages inconnus sous ces climats : du sauvignon gris en guise de colonne vertébrale, de la négrette, du mauzac rose et du mauzac vert, du verdanel, du jurançon, du prunelart et enfin du malbec, mais pas celui du Cahors, le côt à pied rouge de la Loire qui avait quasiment disparu.
En IGP, comme les Belmon, ils font les cuvées Néphèle, une merveille de blanc au goût inconnu, et Nigrine, un rouge pas moins décoiffant.
En savoir plus
Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€, et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion »
Informations pratiques
- Les Arpents du Soleil, Chemin des Vignes, Route de Grisy, 14170 – Tél. : 02 31 40 71 82 – Prix indicatifs : 16,50 à 28 euros
- Le Domaine Belmont, SCEA du Gagnoulat, 46250 Goujounac – Tél. : 05 65 36 68 51
- Le Domaine Laroque d’Antan, ancienne route de Paris , Laroque des Arcs, 46090 Bellefont-La Rauze – Prix indicatifs : 38 euros
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