Vins & spirits

Quand la révolution viticole transcende l’AOC Terrasses du Larzac

Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 2 janvier 2023

[Les pépites de la révolution viticole] Un joli coin du Languedoc situé au nord-ouest de Montpellier. l’AOC Terrasses du Larzac s’est fait remarquer dès 2005, la reconversion en bio transcende ses qualités naturelles. Des vins généreux, pleins de fruit et cependant digestes que Mohamed Najim, co- auteur de Quand le vin fait sa révolution (éditions du Cerf) a retenu l’été dernier dans son carnet de dégustation.  Les voici avec un délai de réflexion, mais rassurez-vous, ses coups de cœur sont intemporels : Mas de Daumas Gassac, Domaine de l’Accent, et Chemin.

La reconversion du Languedoc

AOC Terrasse du Larzac Domaine du Chemin est située sur les communes d’Arboras et de Saint Saturnin de Lucian, Photo DR

Le Languedoc, qui étendait ses 250 000 hectares sur un tiers du vignoble français, était « l’usine à pinard » de l’Hexagone depuis au moins un siècle. La production avait commencé avec la révolution industrielle. La construction du chemin de fer avait permis aux rouges du Midi de remonter par la vallée du Rhône jusqu’à la région parisienne, la Lorraine et le Nord, où se trouvaient les mines et les usines.
Cela dura plus d’un siècle, avant que les habitudes de consommation ne changent radicalement avec le déclin puis la disparition de la « classe ouvrière ». Ce bouleversement se traduisit par un sinistre languedocien où les petits viticulteurs abonnés aux coopératives crevaient la misère.

Une reconversion à la qualité exceptionnelle

La carte du vignoble des Terrasses du Larzac Photo DR

Dès les années 80, avant même que ne commence « notre révolution viticole », les vignerons les plus avisés et las des campagnes d’arrachage aveugles se sont rendus qu’ils avaient de quoi faire autre chose que des petits rouges prolos. « Des terroirs magnifiques, un climat exceptionnel, de l’eau et du soleil », résume Philippe Nusswitz, président des sommeliers de la région, alsacien d’origine et vigneron depuis une vingtaine d’années en Duché d’Uzès.

Alors, le grand espace viticole s’est lancé dans les vins de cépage réussissant des syrahs, des chardonnays ou des viogniers populaires, bon marché et de grande qualité. Et puis des jeunes vignerons, de retour de leur tour du monde, se sont installés sur ces terres d’expérimentation d’autant plus volontiers que le foncier y était abordable pour y faire des nectars, en AOC comme en vin de table.

Vingt ans après, les pépites se comptent par dizaines.

Le Clos des Fées, à Rivesaltes Photo Le Clos des Fées

Le domaine Prieuré Saint Jean de Bébian, à Pézenas, le Clos des Fées, au nord de Perpignan, Château de la Négly, dans le massif de la Clape, à l’est de Narbonne, face à la Méditerranée, sont vite devenus des célébrités.

Et puis Aniane, un village situé au nord-ouest de Montpellier, est sorti de l’anonymat, grâce à Aimé Guibert et son Mas de Daumas Gassac et à Laurent Vaillé aux commandes de La Grange des Pères. C’est désormais le cœur de l’appellation Terrasses du Larzac, créée en 2005, où ces jeunes vignerons talentueux se sont précipités.

En juillet dernier, bravant la canicule, Mohamed est allé se régaler à la table de Philippe Ramon, talentueux jeune chef du Souka, qui lui a fait goûter son carré de côte de porc contisé au romarin, avant de se rendre à Gignac, la commune voisine, qui accueillait dans ses rues un salon des bouquinistes et du livre régional.
Alors, requinqué par ces nourritures terrestres et littéraires, notre ami a entrepris de visiter le vignoble.

Le Mas de Daumas Gassac est une star de l’appellation qui reste abordable

Roman, Samuel, Gaël & Basile Guibert animent le Mas de Daumas Gassac, Aniane Photo DR

Le conseil mérite d’être suivi. « Pour les amateurs du plus célèbre vin du pays, ne pas manquer, à l’entrée du bourg, d’aller faire un tour à la Cave Daumas Gassac », prévient le Guide du Routard. C’est très exactement ce que Mohamed a fait. Petit historique du domaine. Aymé Guilbert a assemblé des cépages locaux et d’autres venus d’ailleurs pour créer un simple vin de table qui se vend aujourd’hui au prix d’un grand cru classé de Bordeaux.
Le Mas de Daumas Gassac rouge est un vin de garde né sur un sol de poussières glaciaires. C’est un assemblage de Cabernet Sauvignon – non cloné, tel qu’il régnait en Médoc avant 1914 – de Cabernet Franc, de Malbec, de Merlot, de Tannat, de Petit Verdot, complétés par 10 % d’une quinzaine de variétés rares. Vendangé à la main, vinifié comme dans le Médoc avec une longue fermentation et macération, vieilli en fût de chênes dans les souterrains d’un moulin gallo-romain, apportant de la fraîcheur et une hygrométrie parfaite, c’est, à 60 euros la bouteille, un grand bordeaux perdu dans un coin du Languedoc.
Mais qu’on se rassure, le domaine qui a le souci de bichonner sa clientèle lui propose également des vins délicieux à des tarifs beaucoup plus abordables.

Son Tèrra rouge – « terre », en occitan – est doté d’une belle longueur toute en finesse. Il s’agit d’un assemblage de Syrah, Grenache et Carignan en AOC Languedoc, à 12,50 euros la bouteille. En visitant la cave Daumas Gassac, vous pouvez aussi déguster sa cuvée Combe calcaire rouge en IGP Pays d’Hérault. Cet assemblage de Syrah, Cabernet Sauvignon, Merlot et Grenache révèle un vin puissant et d’une grande élégance, à seulement 11 euros la bouteille.

Un Tyrolien aborde les Terrasses du Larzac avec des rouges de toute beauté

Le Domaine de l’Accent, est animé par Pixner Konrad, italien du Tyrol Vigneron à Arboras Photo DR

Konrad Pixner est un Italien du Tyrol, germanophile, eonologue. En 2018, il s’installe à Arboras sur un demi-hectare de vignes abandonnées. Passionné, il fait tout tout seul, de la vigne aux chais. Une pincée d’années plus tard, son Domaine de l’Accent est dans tous les guides, dans toutes les bouches, dans tous les verres.
Sa magie ? « Vous prenez un Tyrolien, des terrasses argilo-calcaires, des cépages traditionnels, vous ajoutez quelques coups de pioche et aussi l’art de mettre l’accent sur les bonnes choses », se résume lui-même Konrad Pixner. Aujourd’hui, il cultive 20 hectares sur six communes environnantes, tout en parcellaires, produit une dizaine de cuvées, en rouge, en blanc, en rosé et même en pétillant, des vins digestes, d’une étonnante fraicheur, alliant plaisir et soulagement du portefeuille avec des prix qui s’échelonnent de 10 à 18 euros.

Sa cuvée haut de gamme, La Rocheuse (50 % grenache, 35 % Syrah et 15 % Cinsaut), peut paraitre à première vue un vin puissant, sur la réserve, mais après un peu d’aération, ce beau rouge se détend et s’affine très vite au point de devenir caressant, velouté au palais. Un conseil, n’attendez pas : La Rocheuse est tellement bon dans sa jeunesse… Très différent, Una Notte est un rouge d’apéritif pour accompagner des amuse-bouche salés, des tapas et pourquoi pas des préparations à base de fruits de mer.

Le Chemin propose une dizaine de splendides cuvées bio à prix d’ami

Matthieu Didon et Franck Launay animent le Domaine du Chemin depuis 2018 Photo DR

Franck Launay était avocat spécialisé dans le droit du travail. Il avait aussi une passion pour le vin qu’il partageait avec Matthieu Dibon, un confrère avec qui il participait régulièrement à des dégustations. Un jour, ils ont décidé de sauter le pas et de se faire vignerons.

En 2018, ils ont quitté Paris pour s’installer à Gignac, rachetant les 4,5 hectares de vignes de Laure Gasparetto. Journaliste spécialisée dans le vin au journal « Le Monde », elle aussi avait tenté une reconversion peu après que les Terrasses du Larzac avaient pris leur envol. Las, ça n’avait pas marché.

Quatre ans après les deux compères ont doublé la mise. Les 9 hectares cultivés en bio de leur Domaine le Chemin sont répartis sur une vingtaine de parcelles qui permettent de proposer une dizaine de cuvées : Traversée du Désert, un vin ultra frais, La Tangerine, une bouffée d’arômes, sans oublier les deux cuvées en AOC Terrasses du Larzac, dont nous avons gouté les millésimes 2020 et 2021. Le premier est encore un peu tannique mais avec des tanins maitrisés et sans agressivité. Quant au second, qui est très soyeux, nous l’avons ouvert en début d’après-midi pour accompagner un poulet servi avec une piperade bien parfumée.

Ces vins sont en vente au domaine, chez des cavistes et dans quelques restaurants à des tarifs allant de 10 à 15 euros.

En savoir plus sur la révolution viticole

Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€, et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion »

Pour trouver les AOC Terrasses du Larzac conseillés par Mohamed :

Déjà reconnus

 

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