Artisanat d'art
Sainte-Marie d’Auch, cathédrale anachronique ?
Auteur : François Collombet
Article publié le 21 novembre 2019 à 10 h 41 min – Mis à jour le 21 novembre 2019 à 10 h 57 min
On découvre dans la cathédrale Saint-Marie d’Auch une véritable débauche iconographique, inspirée tout à la fois de l’Ancien et du Nouveau testament, mais également de la mythologie. En atteste la présence de nombreuses sibylles*, dont douze figurent sur les boiseries du choeur et neuf sur les verrières. C’est surtout un étonnant miroir de la société du XVIe siècle. On la découvre notamment sur les accoudoirs et le dessous des sièges qui représentent des scènes de la vie courante de cette époque, mais également des scènes érotiques, violentes ou religieuses dans une totale liberté d’expression. Eh oui, Sainte-Marie toute gothique qu’elle soit (un gothique Renaissance) exprime son siècle. Verrières et stalles (deux chantiers concomitants) datent de la première moitié du XVIe siècle, quelques décennies donc après la découverte de l’Amérique (1492).
En revanche, sa construction s’étala dans le temps et avant même qu’elle fût achevée le style changea, ce qui explique cette façade majestueusement classique, typique du XVIIe siècle avec ses deux tours carrées et son porche à colonnes corinthiennes, pilastres, corniches, balustrades et niches. Le plus étonnant est qu’elle se fond harmonieusement dans le corps gothique flamboyant de l’édifice.
*Les sibylles étaient des prophétesses, des femmes qui dans l’Antiquité faisaient œuvre de divination, symbole ici de l’arrivée du Christ sur terre.
Cathédrale gothique… achevée en 1680
Cette cathédrale (XVe-XVIIe siècles), construite en pierre calcaire locale, est incontestablement un joyau. Elle domine la ville et la vallée du Gers là où avait été édifiée jadis une chapelle au IXe siècle lors de l’arrivée de Saint Taurin évêque d’Éauze au siège d’Auch. Mais c’est à la fin de la Guerre de cent ans que le projet du nouvel édifice prendra forme à l’emplacement de l’ancienne cathédrale romane (elle fut détruite à plusieurs reprises). Bien que consacrée en 1548 par le cardinal François de Tournon, on la considérera comme achevée seulement en 1680 soit 32 ans plus tard. On dit aussi qu’elle est l’une des cathédrales les mieux dotées de France avec ses stalles et ses verrières, chefs d’œuvre de la Renaissance. Les deux chantiers furent menés en parallèle. La réalisation des verrières nécessita dix années (elles ont été achevées en 1513) et il a fallu plus de 40 ans (de 1510 à 1552) pour que l’ensemble des sculptures soit terminé.
La griffe du XVIIe siècle
Si les bâtisseurs du XVIIe siècle respectent les modes de construction médiévaux, ils s’en affranchissent dès qu’ils le peuvent, prouvant par là même combien ils sont sensibles aux modes nouvelles. En 1609, le choeur est fermé d’une clôture en pierre et marbre de toute beauté qui témoigne combien les temps ont décidément changé. Mais en 1671 on la surmonte de statues provenant de l’ancien jubé. Quant au porche, il marque clairement son époque.
A la porte de la chaire une inscription : Évêque intrus
Voir également la chaire du XVIIIe siècle. Il faut au visiteur beaucoup d’attention pour déchiffrer sur la porte une inscription incroyable datant de la Révolution : Évêque intrus. Ne pas oublier aussi les retables, les autels des chapelles latérales et surtout les orgues. La cathédrale en possède deux dont un monumental au-dessus de la rose de la façade. Il est l’oeuvre de Jean Joyeuse, le plus célèbre facteur d’orgues du règne de Louis XIV. Il accueille chaque année les plus grands organistes du monde. L’autre est plus récent. C’est celui du choeur, de style néogothique réalisé en 1860 par Aristide Cavaillé-Coll à la demande de Napoléon III (qui a également financé les travaux de l’avant-chœur). Tant de beauté et de richesse en font à juste titre l’une des plus belles cathédrales de France inscrite à l’Unesco au titre d’étape majeure sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle. On comprend mieux l’engouement qu’elle peut susciter. Elle attire des touristes venus du monde entier. Auch, capitale historique de la Gascogne est aussi ne l’oublions pas, la patrie de D’Artagnan !
*Éauze, aujourd’hui une petite ville de 4800 habitants située au coeur de la Gascogne, est considérée comme la capitale de l’Armagnac.
Un plan inspiré de Notre-Dame de Paris
Auch, ancienne capitale de la Gascogne, s’enorgueillit de posséder une somptueuse cathédrale de 105 mètres de long (37 m de large, tours de 44 m de haut, voûtes de 26 m) édifiée très tardivement à cause des deux incendies du précédent sanctuaire, irrémédiablement frappé par la foudre en 1469 et 1474. La première pierre, en effet, n’est posée que le 4 juillet 1489, par l’évêque François Philibert de Savoie, et les travaux vont durer deux longs siècles, sur un plan sans doute conçu par Jean Marre, à qui l’on doit la cathédrale de Condom. Mais à quoi rêvait donc ce moine évêque en dressant les plans de Sainte-Marie ? Apparemment à Notre-Dame de Paris*, cathédrale de la lointaine capitale, car il choisit un plan similaire. II est trop tôt en effet pour s’inspirer des modèles italiens. Les travaux commencent par le chevet, qu’il faut soutenir en aménageant une crypte sur un terrain tombant en escarpement. La consécration a lieu très tôt, dès le 12 février 1548, dans une cathédrale en plein chantier, loin d’être terminée.
*ND de Paris : 128 m de long, 48 m de large, 69 m de hauteur pour les tours, 33 m pour les voûtes).
Une nef toujours pas couverte en 1609
Quant au chœur, aussi large que la nef, il attend que Pierre de Levesville ait terminé celui de la cathédrale de Toulouse. Les archives de la ville possèdent d’ailleurs le contrat d’un architecte daté du 16 juin 1629, qui lui impose d’achever en sept ans la charpente et les voûtes de la nef. À ce moment, pas question de modifier les plans d’ensemble et, tout naturellement, la construction se poursuit en style gothique, bien que la mode en soit passée. Construire selon les nouvelles modes eût demandé des modifications trop coûteuses et inutiles. Et il n’est gênant pour personne que, sous Louis XIII, on continue à construire des voûtes sur croisée d’ogives.
Le peintre gascon Arnaud de Moles à l’ouvrage
Mais bien avant que les murs ne soient entièrement montés, l’aménagement intérieur a déjà commencé. Pour concevoir et réaliser en partie la décoration intérieure de la cathédrale, le cardinal de Clermont-Lodève (1507-1538) fait appel à un artiste gascon de tout premier plan, Arnaud de Moles originaire de Saint-Sever en Chalosse. On lui doit les maquettes des boiseries des stalles du chœur, sur lesquelles il place tout un monde peuplé de mille cinq cents personnages. Figures mythologiques et chrétiennes s’y côtoient dans une exubérance presque baroque. Cinquante ans furent nécessaires aux « huchiers » pour accomplir une telle œuvre. Les stalles furent sculptées dans du coeur de chêne, préalablement immergé dans le Gers une bonne dizaine d’années, puis assemblées après séchage. Un seul artiste est connu, Dominique Bertin, sculpteur toulousain. Les autres furent des religieux aidés dans ce gigantesque ouvrage par les élèves d’une école florentine. Entre 1500 et 1550, cent treize stalles de chêne furent ainsi sculptées, dont soixante-neuf hautes, abritées sous des baldaquins flamboyants, d’une qualité comparable aux stalles de la cathédrale d’Amiens. A cela s’ajoutent autant de sièges, de miséricordes (tablette sous le siège pour le repos) et une bonne centaine de panneaux de séparation, ces fameux parcloses sculptées qui séparent les stalles des marches pour accéder au niveau supérieur.
Des stalles parmi les plus somptueuses de France
Ces stalles furent longtemps le coeur de la vie liturgique de la cathédrale où se réunissaient chanoines et autorités ecclésiastiques. Une soixantaine de personnages en bas-relief sont représentés en pied sur les haut-dossiers, de part et d’autre des stalles réservées à l’archevêque et au pouvoir comtal. Peu de mutilation depuis le XVIe siècle. Elles ont été commencées lorsque François de Clermont-Lodève, un proche du pape épris de l’Italie du Quattrocento (XVe siècle en Italie qui vit la première Renaissance)*, était archevêque (1507-1538). C’est à cette époque qu’a été construit l’admirable portail qui s’ouvre au bras sud du transept, mélange de gothique français et de Renaissance italienne, période où Arnaud de Moles exécutait ses célèbres vitraux. Ainsi, la construction, dossiers et dais, emprunte son architecture au style gothique le plus pur mais le décor est, lui, de style Renaissance.
*Parmi tous ces personnages qui peuplent les stalles, on peut voir notamment le cardinal Hippolyte d’Este, fils de Lucrèce Borgia.
A chacun sa place !
Au fond du choeur, la stalle d’Adam et Ève était destinée au pouvoir public. Aujourd’hui, se serait la place du Président de la République s’il venait à Auch. Celle de Saint Pierre et Saint Paul, revenait au pouvoir religieux. Les membres du chapitre de la cathédrale se voyait attribuer les stalles de la partie sud et les religieux, celles de la partie nord. Quant au tiers état (le peuple), il était “représenté” comme le raconte l’abbé David Cenzon, ancien recteurs de la cathédrale sur les accoudoirs et le dessous des sièges avec des scènes de la vie courante. Tout y était permis. Ainsi ces personnages tapant sur la tête d’une femme : c’est une fable d’autrefois, dans laquelle un forgeron promettait de remettre les idées en place de certaines femmes. Ici, ce n’est pas la tête de la femme qui casse, mais l’enclume qui cède, pour montrer que les femmes ont la tête dure ! précise l’abbé.
Les verrières d’Arnaud de Moles, un éblouissement !
Arnaud de Moles imagine encore une monumentale Mise au tombeau, aujourd’hui dans la chapelle du Saint-Sépulcre. On lui doit enfin les dix-huit magnifiques verrières de la cathédrale, qu’il réalise en commençant par celles des chapelles du déambulatoire. Il mettra six ans à les réaliser. La toute dernière est posée le 25 février 1513 : “en l’honneur de Dieu et de Notre-Dame” comme signature qui s’inscrit au bas du dernier vitrail du côté de la porte Salinis. Des verrières qui sont sans doute les plus belle de la Renaissance française. Tout l’art du célèbre maître verrier est de savoir appliquer au vitrail ce qui fait, à l’époque, le succès de la peinture sur toile : une peinture alors italianisante, expressive, proposant de grandes figures sur fond de paysages traités en perspective. Pour ce faire, il utilise une extraordinaire palette de couleurs. D’où un étonnant pôle lumineux faisant écho, dans un admirable parallélisme, au magnifique travail des stalles. Ses couleurs préférées* : le rouge, le bleu, le vert, le vieil or, le violet lie-de-vin, des couleurs qui resplendissent sous l’éclat des rayons du soleil. On y distingue, les patriarches, les prophètes, les apôtres, les saints ainsi que des sibylles (prophétesses païennes) que semble se réapproprier l’Eglise. L’ensemble est figuré en pied dans des décors architecturaux en perspectives. Après 500 ans d’existence, les couleurs sont toujours aussi vives grâce aux pigments mélangés à la pâte de verre, une technique que maîtrisaient alors maîtres verriers italiens.
*Nul maître-verrier ne connut les secrets de la couleur d’Arnaud de Moles, nul ne la soumit ni ne la fixa, n’en joua, ni l’intensifia, ni la divinisa au même degré que lui a pu écrire l’historien Henri Martin (1810-1883).
Découvrir Auch
5 Rue Arnaud de Moles, 32000 Auch
Téléphone : 05 62 05 72 71
– Tarif Adulte : 2.50 €
– Visite guidée : 5.00 €
– Entrée au chœur de la cathédrale : 2.50 €
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5 Rue Arnaud de Moles, 32000 Auch
Téléphone : 05 62 05 72 71
– Tarif Adulte : 2.50 €
– Visite guidée : 5.00 €
– Entrée au chœur de la cathédrale : 2.50 €
Les à-côtés de la cathédrale
Auch au cœur de la Gascogne (1 heure de route à l’ouest de Toulouse), c’est aussi la tour d’Armagnac, les pousteries, les fortifications médiévales, la maison Henri IV… Auch est également une ville d’art avec le Musée des Jacobins (la deuxième collection d’art précolombien et latino-américain en France grâce au leg d’un conservateur mécène, Guillaume Pujos), ses festivals de musique, de cirque actuel, de cinéma.
Pour aller plus loin, 2 ouvrages de François Collombet, auteur de cet article :
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