Culture

Le carnet de lecture de Jason Gardner, photographe, We the Spirits (Gost Books - Galerie Rachel Hardouin)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 17 septembre 2024

« Au cœur du carnaval, l’humain a une autre dimension.» Depuis toujours fasciné par la face cachée des humains derrière le masque et le costume rituels, Jason Gardner capte une figure singulière isolée dans l’exubérance des carnaval d’une quinzaine de pays, généralement entre l’Épiphanie (début janvier) et le Carême (Pâques). We the Spirits, les clichés de cette quête entre humaniste et ethnologie – publiés par Gost Books en 2023 – sont présentés avec le monde d’obj’étres‘ de Sabine André-Donnot par la Galerie Rachel Hardouin jusqu’au 5 octobre 2024. Gardner nous plonge pour Olivier Olgan dans une parenthèse d’insouciance, d’abandon et de plaisir où les identités s’échappent du contexte social de leur quotidien.

Adepte de l’immersion ethnographique

Depuis les années 1990, Jason Gardner pratique la photographie humaniste, cherchant à représenter les émotions de l’instantanéité et à creuser les fragments du réel. Au tout début de sa pratique, il choisit de témoigner de l’atmosphère au cœur de la musique new-yorkaise dans les clubs de petite jauge et sur les scènes dites underground de la Grosse Pomme.

Un soir, alors qu’il réalise un reportage sur un groupe brésilien originaire de la région de Pernambouc, Jason considère la possibilité de les rejoindre au Brésil pour poursuivre un projet personnel sur la musique. Sur place, il découvre la richesse de la culture et de la musique. C’est alors qu’il décide de s’intéresser au carnaval, comme sujet d’étude.

Je suis fascinée par le fait que cette ancienne tradition païenne, animiste et préchrétienne existe encore aujourd’hui. Et elle se produit avec un lien avec des centaines de générations avant elle, en hommage à ces ancêtres. Je suis également fascinée par sa transe moderne, le fait qu’ils mettent ce masque, se transforment et deviennent l’esprit.

La fascination pour l’exubérance du carnaval

Cette expérience l’immergera dans les origines de la culture brésilienne, dans les variations de la musique et dans les rituels du carnaval de Pernambouc (Nordeste du Brésil). Il y retournera et y séjournera bien avant les festivités du carnaval pour pleinement comprendre les prémices de ce grand rendez-vous pour l’ensemble de la région. Fort de ces quatre immersions et reportages, véritables témoignages de pratiques et de rituels inconnus du grand public, Jason Gardner publie A Flower in the Mouth (Visual Anthropology Press, USA) en 2013.

Jason Gardner, A Flower in the Mouth, Visual Anthropology Press, 2013

En se concentrant sur les célébrations traditionnelles, folkloriques et communautaires, Jason Gardner immortalise la face cachée et intime de ces rituels anciens pratiqués dans l’ensemble de l’Europe et dans le monde. À l’écart des manifestations accessibles au grand public, il recherche les personnages qui vont incarner pleinement une identité régionale, un symbole local, la survivance d’une mémoire collective païenne. Jason collabore avec des ethnographes et des experts locaux pour mieux comprendre chacun des carnavals qu’il a photographiés.

Jason Gardner, A Flower in the Mouth, Visual Anthropology Press, 2013

We the Spirits, du rituel ancestral au carnaval

Jason Gardner est toujours fasciné par la face cachée des humains derrière le masque et derrière le costume. Cette dimension cachée l’engage a aller au-delà des apparences. Il a posé le pied dans plus de quinze pays, situés sur trois continents : les Amériques, l’Afrique et l’Europe. L’américain de New York  s’immerge dans les fêtes du carnaval selon les dates des manifestations, généralement, entre l’Épiphanie (début janvier) et le Carême (Pâques).

J’ai choisi We the Spirits comme titre et « esprits » comme mot parce que je suis aussi fascinée par les gens : pourquoi font-ils telle chose ? Et inévitablement, quand vous leur demandez, ils répondent : « Eh bien, nous avons toujours fait comme ça, et c’est notre tradition, c’est notre sang, c’est qui nous sommes, c’est notre identité. » Et c’est une bonne réponse, mais ce n’est pas toute l’histoire.

Jason Gardner, We the Spirits, Gost Books, 2023

Le jeu d’identité derrière les masques

Lors de ces manifestations, une autre identité, profondément connectée aux vibrations de ces hommes et de ces femmes, émerge et vibre pleinement hors du contexte social et politique de leur région. Les humains sont à la fois indéfinis, c’est-à-dire en rupture avec l’identité sociale usuelle, et aussi très fortement identifiés, voire stigmatisés selon la représentation de leur costume.

Le Carnaval met en avant des thèmes intemporels : l’hiver et le printemps, la stérilité et la fertilité, la vie et la mort, la beauté et la laideur, la lumière et l’obscurité, le rituel et la réalité, le chaos et l’ordre. Ainsi, ce bal masqué d’hiver, dans chaque lieu, dans chaque village et chaque ville, s’exprime de manière différente, mais il illustre et renforce ces thèmes universels – d’une certaine manière, ils sont tous différents mais tous identiques, en offrant aux humains un moyen profond de s’exprimer.

Jason Gardner, We the Spirits, Gost Books, 2023

Transcender la vie quotidienne

Le choix de participer au carnaval déguisé en un animal tel que le Minotaure ou en représentation de la mort à travers la figure de l’épouvantail impacte le rôle joué au sein de la manifestation. D’une certaine façon, les hommes dépassent leur vie quotidienne. Ils accèdent à une dimension particulière, à la fois onirique et hautement symbolique. La personne consacre parfois des semaines et un important budget pour réaliser son costume et jouer un rôle spécifique le jour J. La créativité des costumes est infinie. L’énergie de chaque participant est débordante, captée avec gourmandise et respect  de ce retour à l’enfance et au jeu, loin des carcans sociaux qui figent les identités.

Dans l’ensemble, mon objectif est de dissiper le stéréotype du Carnaval comme simple fête et défilé dans les rues, et de montrer qu’il s’agit d’une expérience profondément culturelle et d’une manifestation de l’identité des participants dans la société moderne, par laquelle ils honorent les ancêtres en perpétuant leurs traditions.

Jason Gardner, We the Spirits, Gost Books, 2023

Olivier Olgan

Le carnet de lecture de Jason Gardner

Photographie classique

Irving Penn, le maître des portraits et de la condition humaine.

J’ai bien aimé l’exposition récente : « Small Trades » présentée à la Fondation Pinault Paris. Bourse du Commerce.

August Sander a créé une archive immense, pendant une période super intéressante. J’aime beaucoup la photographie des rues de Paris et tout particulièrement le projet « Humains du 20th siècle »

La photographie contemporaine

Cristina de Middel produit des images à la fois journalistique, documentaire et artistique, en utilisant les concepts ethnographiques. Une héroïne du collective Magnum Photos !
j’ai beaucoup apprécié son exposition « Midnight at the Crossroads”.

Gregory Halpern documente la scénographie d’une apocalypse, à Los Angeles, sous le nom de code « ZZYXX ». Just amazing.

Shelby lee Adams a récemment été exposée par Polka Galerie, Adams a constitué une importante archive de l’état Est du Kentucky, aux States. Le projet se nomme « From the Heads of the Hollers”.

Listening

Cory Seznec – Deep of Time

A la fois, musicien et ethnographe, Franco-Américain est un voyageur, un chercheur. Cory mélange les styles africains, français, et du bayou des Etats-Unis.

Touki – avec Amadou Diagne

DJ Tudo – Nos quintais do Mundo

Ce jeune homme brésilien traversait le Brésil, en cherchant les rythmes anciens et traditionnels. Il a compilé la plus grande archive des enregistrements. Je les écoutais sur « Alan Lomax » au Brésil.

My Morning Jacket – Wordless Chorus

Série favorite Watch

Treme – by David Simon

Une excellente série sur la Nouvelle-Orleans après l’ouragan nommé Katrina.

J’apprécie aussi The Wire.

Propos recueillis par Olivier Olgan le 17 septembre 2024

Pour suivre Jason Gardner

Le site de Jason Gardner

A lire 

A Flower in the Mouth, Visual Anthropology Press, 2013, 128 p. 50$ – Cette véritable plongée dans la culture, la musique et les rituels du carnaval folklorique de Pernambuco, au Brésil, est enrichi d’interviews des protagonistes qui façonnent cette culture dynamique, ainsi que des reportages à la première personne de son auteur.

We the Spirits, Gost Books, 2023, 127 images, 232 p. 60€
Qu’il s’agisse des mascarades hivernales d’Europe ou des défilés animés de Trinidad, les images de Gardner montrent les thèmes universels de la vie, de la mort et de la renaissance qui traversent les carnavals à travers les continents. Loin de la fête de rue sauvage, le photographe les considère comme un phénomène culturel complexe et dynamique, mettant en valeur des traditions ancestrales qui unissent les peuples de différentes régions. Pour mieux en capter l’esprit, le photographe ethnologue s’immerge dans chaque festival, se mêlant aux habitants vêtus de costumes et de masques élaborés. Ses photos vont au-delà de la scène de fête typique, révélant des racines culturelles profondes.

En se connectant aux gens et à leurs histoires, Gardner saisit des figures qui montrent que ces festivals sont plus que de simples divertissements : ils sont un moyen pour les communautés d’honorer leurs ancêtres, de préserver leur patrimoine et de lever les carcans de représentations sociales figées.

We the Spirits est une étonnante collection de portraits de personnages libérés par le Carnaval, racontant une histoire qui nous relie au passé et met en valeur la créativité et l’esprit des gens du monde entier. Son livre n’est pas seulement un festin visuel, mais aussi une plongée profonde dans l’expérience humaine et notre besoin de célébrer, de se souvenir et de se connecter.

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