Culture
Six romans : Conan, Calandra, Paget-Deben, Roubaudi, Laurain, Krier
Auteur : Patricia de Figuieredo
Article publié le 11 juin 2020
Si les sorties romanesques sont essentiellement concentrées sur des bestsellers (Decker, Musso, …), la vitalité de la production littéraire reste stimulante. La preuve avec cette sélection éclectique des romans de Cyril Conan, Rémi Calandra, Alexandra Paget-Deben, Antoine Laurain, Ludovic Roubaudi, Sylvie Krier. Bonne lecture.
Antoine Laurain, Les Service des Manuscrits, Flammarion.
Violaine Lepage est la grande prêtresse du service des manuscrits d’une célèbre maison d’édition. Elle vient de sortir du coma après un accident d’avion. Un jour, elle reçoit un vrai manuscrit encore écrit à la main. Elle y découvre cette phrase énigmatique qui lance une intrigue haletante : « Ce livre vivra en dehors de moi. Et ceux qui doivent mourir vont mourir. »
Une intrigue policière doublée d’une étude de mœurs et une peinture sociale du milieu de l’édition sans oublier une bonne dose de chausse-trappes et de fausses pistes tricotte habilement ce roman joyeux qui traite pourtant d’un sujet grave en toile de fond.
« Tout roman est un traité de magie noire » assume Antoine Laurain pour son huitième roman. Nous ne le contredirons pas. Sauf que son Manuscrit est à mettre entre toutes les mains.
Ludovic Roubaudi, Nostra Requiem, Serge Safran éditeur.
Dans un pays d’Europe de l’Est, au début du XXème siècle, après un soir de tempête, un éleveur envoie son cadet auprès d’un intendant militaire dans l’espoir de vendre quelques chevaux. Mais celui-ci ne revient pas. Son frère ainé part alors à sa recherche…
Nous avions beaucoup aimé le précédent roman de Ludovic Roubaudi, Camille et Merveille, véritable hymne à l’amour. Avec Nostra Requiem l’auteur change de registre et nous entraine dans un roman âpre, violent, épique. Jouant des frontières floues entre réel et fiction. Comme dans les fabuleuses Mille et une nuits, le personnage central égrène les histoires que lui racontaient son père pour prolonger sa vie. Transmission, force du récit et de l’imaginaire sont au cœur de cette aventure littéraire qui se lit d’une traite.
Alexandra Paget-Deben, L’archipel de la séduction, Idec Editions.
Pour son 3ème roman, Alexandra Paget-Deben s’attaque aux méandres et aux mélanges des genres de la télé-réalité ; « Drogue, sexe mais sans rock-end roll » pourrait être le sous-titre de cette enquête enlevée. Une émission capte tant et si bien les audiences, que la chaîne concurrente décide de la torpiller en d’infiltrant un couple espion dans le jeu….
Dans un style très détaillé et cru comme les spotlights, Alexandra Paget-Deben ne nous épargne rien des coulisses. Emportés par la mécanique implacable de la transparence, les protagonistes vont voir leur destin basculer pour assouvir un public « cette cible si mouvante, inconnue, énorme, qu’il fallait retenir coûte que coûte et garder captive si on voulait d’abord faire d‘énormes profits publicitaires et ainsi entretenir et alimenter la société de consommation. Enfin et surtout – mais n’était-ce pas la clef de voute de l’ensemble ? – l’empêcher de penser, donc de décider un tant soit peu de son sort. » Un fiction coup de poing, croquant les rouages de la captation du temps de cerceau disponible.
Cyril Conan, Mamie Bingo ou la trajectoire de la fuite, Ed LibriSphaera.
Une jeune retraitée Madeleine, une sexagénaire pleine d’entrain, organise des parties de Bingo pour aider les plus démunis dans son hôtel Des deux-haches, qu’elle tient avec son mari André dans la forêt des Damettes. Mais un douanier trop zélé la fait arrêter alors que son fils n’a qu’une idée : mettre sa mère dans une maison de retraite et son père à l’hôpital pour récupérer l’hôtel.
Dans ce roman où les femmes ont le beau rôle, Cyril Conan dresse avec humour le portrait d’une combattante motivée pour faire le bien autour d’elle et qu’on aurait envie de connaitre dans la vraie vie. Avec un doigt de mystère, de suspense et beaucoup de bienveillance, Mamy Bingo se lit avec plaisir.
Rémi Calandra, L’honneur des Bétonneuses, Librinova.
Au cœur de la mafia sicilienne, Gaetano Quattroluni, surnommé l’Antiquaire, exerce les fonctions « d’homme de valeur », c’est-à-dire d’exécutant des basses œuvres. En formant le jeune et ambitieux, Salvo Cacciaguerra, qui va bientôt être adoubé par le clan, Gaetano prend du grade en devenant « officier ». Son ascension semble irrésistible, mais les choses ne sont jamais si simples au sein de la sombre Cosa Nostra.
Après Roberto Saviano, Remi Calandra offre à son tour une véritable plongée dans la mafia sicilienne, toujours fascinante avec ses codes, ses rites, son langage celui des mots mais aussi essentiel celui des yeux. L’honneur, l’obéissance et la violence sont les piliers de ce monde d’hommes qui ne semble ne pas avoir évoluer depuis le commencement. On imagine aisément une série aussi prenante qu’aiguisée, tirée de ce roman à l’intrigue bien bâtie qui se lit d’une traite.
Sylvie Krier, Un cheval dans la tête, Serge Safan.
Jack élève des chevaux. Sa situation économique est difficile. « Un métier qui suscite de la méfiance, dont personne ne comprend la finalité car il rapporte peu. » L‘arrivée de sa fille, Louise, une adolescente rebelle, en rupture avec sa mère ne va pas arranger les choses. Les rapports sont tendus. D’autant que gravitent d’autres personnages cabossés, Cellie une jeune femme empêtrée dans une histoire familiale compliquée, ou encore Chayten qui égorge les chats pour passer le temps. La proposition d’un industriel de racheter une partie de ses chevaux et de l’accompagner choisir un étalon à Séville va-t-elle permettre à Jack de voir enfin sa chance tourner ?
Le lecteur croit plonger dans le far-west américain mais nous sommes bien en France, au cœur de ces territoires qui semblent oubliés des métropoles. Les chevaux, les Appaloosa précisément imprègnent le roman. Tour à tour, c’est le pont de vue de Jack, Louise et Célie que l’on suit. La vie au grand air et la liberté qu’elle engendre est magnifiée. Pour son premier roman, Sylvie Krier surprend et nous émeut par une écriture fluide et touchante.
Références bibliographiques
Cyril Conan, Mamie Bingo ou la trajectoire de la fuite, Ed LibriSphaera, 376p. 21,50 €
Rémi Calandra, L’honneur des Bétonneuses, Librinova, 241p. 15,90 €
Alexandra Paget-Deben, L’archipel de la séduction, Idec Editions, 329p. 18€.
Ludovic Roubaudi, Nostra Requiem, Serge Safran, 192p. 17,90€.
Antoine Laurain, Les Service des Manuscrits, Flammarion, 272p. 18€.
Sylvie Krier, Un cheval dans la tête, Serge Safran, 197p, 17,90€
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