Culture

Une philosophie du vin, de Pierre-Yves Quiviger (Albin Michel)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 19 décembre 2023

Loin d’être sentencieuse, sèche et hors vigne, « la » philosophie du vin de Pierre-Yves Quiviger (Albin Michel) est d’abord un hymne de l’amour des vins, et à l’ivresse esthétique de sa compréhension. Sa réflexion ouverte et pratique colle à leurs terroirs, de la production à la dégustation dans un esprit de curiosité et de dialogue avec les grandes traditions viticoles, vinicoles er oenophiliques. Grâce à une fine érudition, les sucs des écrits de philosophes, de Platon à Bachelard sont autant éclairés que dégustés. Le livre est à lire avant tout repas de fêtes où les vins promettent d’être au centre des échanges; il apporte aux convives de multiples pistes autant sur la pratique du bien boire que de penser le vin. Initiation bienveillante pour mieux se libérer des aprioris et mieux in fine se connaître.

L’amour du vin est aussi fait d’occasions saisies et de rencontres toujours singulières.

Mieux comprendre le vin.

Ne reculez ni devant cette « philosophie » qui est loin le pensum scolaire, ni devant les diplômes d’universitaire de cet Ancien élève de l’École normale supérieure qui dirige le département de philosophie, à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, vous passeriez à côté de l’un des initiations les plus limpides – et la mieux dosée – sur l’amour et les plaisirs à savourer en joyeuse compagnie des bons vins.

Le vin n’existe pas, il n’y a que des vins. Et il n’y a même que des bouteilles. Voire des instants précis où ces bouteilles sont passionnantes (cela ne veut pas toujours dire délicieuses) et, parfois à pleurer d’émotion, littéralement.  

Eloge de la dégustation collective

Comme toujours le gout se forme et s’apprend, autant pour apprécier ce qui vous est servi que pour se connaitre. Que le vin soit découvert « à l’aveugle » loin de tout préjugé, ou « éclairé » avec toute l’histoire qui y est attachée, soit de façon « horizontale » (comparaison de millésimes) ou « verticale » (remonter la flèche du temps dans un sens ou un autre), c’est d’abord de  dégustation dont il s’agit. Et ce qu’elle ouvre en bouche, et éveille en nous.

Associer l’innocence et la connaissance

Le plaisir « éclairé » est au cœur d’une « expérience » à la fois gustative et esthétique dont Pierre-Yves Quiviger fait l’éloge au fil des chapitres qui commencent tous par une question: Qu’est-ce que le bon vin ?, Pourquoi le vin est aussi une question religieuse ?….
Le rapport à la connaissance de ce passionné de vins ne supporte ni les lieux communs, ni les réponses toutes faites.
Et encore moins les snobismes moutonniers de l’étiquette de prestige ou à la mode. Dans la dégustation, notre hédoniste assumé privilégie la curiosité, le cheminement du raisonnement personnel pour creuser ses émotions intimes qui jaillissent du palais. Et qui ensuite se partagent. Rien n’est plus passionnant de confronter son expérience à celles des autres.

Contre le tentation du repli sur soi et contre une religion du vin frileuse et xénophobe, l’ambition d’une philosophie du vin est, en dialoguant avec les grandes traditions viticoles, vinicoles er oenophiliques, de connaitre le vin, et les réalités qui l’entourent, dans un esprit de curiosité et d’ouverture (pas seulement de bouteilles)

Apprendre à distinguer un grand vin et son goût propre

Son ambition (appelant Hume à la rescousse) est de dépasser le relativisme qui aplanit et stérilise tout : ces goûts et ces couleurs que soi-disant on ne pourrait plus discuter. Le philosophe n’oublie ni les terroirs, ni l’histoire de la pensée, et fait appelle au raisonnement de sa discipline pour revendiquer qu’un vin peut être objectivement un bon vin, voire un grand vin tranchant sur la médiocrité d’autres, … Et faire la distinction entre l’objectivité du produit et l’appréciation personnelle. Loin de tout conformisme et du mimétisme. Pour mieux se connaître soi-même.

Se faisant notre philosophe pose dans une langue claire et débarrassée de toute pédanterie, les conditions de possibilité d’une objectivité dans la connaissance et l’appréciation des vins. Cette « discipline » a une histoire plutôt récentes, et a connu une accélération récente, car il ne faut pas la confondre ni avec une valorisation philosophique de l’ivresse, ni avec la « littérature bacchique » et, leurs dimensions symboliques ou métaphoriques notamment dans leurs associations avec les religions (des égyptiens aux catholiques). N’oubliant pas au passage les risques et les bienfaits de l’ivresse qui accompagne toute dégustation. Au passage, ses arguments en faveur d’une sobriété régulière n’oublient pas les risques de l’alcool.

Malgré leurs différences, les deux perspectives de philosophie du vin, celle qui écarte l’ivresse comme un effet collatéral globalement indésirable, et celle qui donne à l’ivresse un statut privilégié dans la relation au vin, s’accorderaient probablement sur deux points ; il y a une qualité de l’ivresse, corrélée à la qualité du vin, et l’ivresse est par ailleurs quantifiable, avec des paliers, des degrés, une échelle.

Dans cette balade dans les vignes de la philosophie – de Platon à Bachelard en passant par Kant ou Kierkegaard – il pointe bien que « Le vin n’est pas un objet comme un autre dans le discours philosophique. (…) Le vin est vraiment un universel qui sait se rendre singulier, s’il trouve un philosophe qui sache le boire, ce philosophe existe, il s’appelle Gaston Bachelard. »

Un accès au réel

Dernier auteur appelé à la barre, Clément Rosset (1939-2018), à le lire précise par Pierre-Yves Quiviger : « On se dit que Rabelais n’exagère pas quand il considère que le vin rend sage et savant et que l’adage ‘in vino veritas’ doit être pris au pied de la lettre et non pour l’évocation des seules facultés désinhibantes de l’alcool. »

Ce dont ils se souviennent, ce n’est pas de tout, c’est du tout, de la totalité des choses, du réel qu’ils arrivent à embrasser dans leur globalité car ils ne sont pas englués dans les vaines tentatives pour lui donner un sens.

Difficile de tout résumer de cette passionnante excursion, mais chacun y puisera une philosophie de vie

 La joie profonde du vin qui produit un état de grâce est aussi celle de la simplicité, de la plénitude d’être, celle qui tient à distance des raisonnements alambiques et des lourds traités , la vraie philosophie se moquant des philosophes. 

Aussi je lève mon verre à ce philosophe les pieds ancrés dans les terroirs et la coupe aux lèvres qui invite à se connaître soi même à la rencontre de ceux qui font les vins et nous rendent meilleurs.

#Olivier Olgan

Pour aller plus loin

Une philosophie du vin, Pierre-Yves Quiviger, Albin Michel, 17,90 €

Se définissant comme un « amoureux passionné du vin », Pierre-Yves Quiviger propose une réflexion inédite, érudite et vivante à la fois. De Hume à Rousseau en passant par Clément Rosset qui confirme que « l’ivresse peut amener à la lucidité« , de la Bourgogne au Bordelais, de l’Auvergne au Jura, il explore les liens entre le plaisir sensoriel que procure la Dive bouteille et la connaissance intellectuelle que l’on en a (ou que l’on aura après l’avoir lu), tout en nous faisant partager, d’une plume allègre et précise, sa joyeuse obsession vinicole. Son « petit glossaire œnologique et philosophique » – de Acescence à Vins natures – confirme que nos philosophe a bien les pieds ancrés dans les terroirs.

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