Culture

Artiste d’événements quantiques, Guillaume Cousin revendique la matérialité du vide

Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro

Article publié le 23 février 2021

[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] Les découvertes de la physique quantique déclenchent chez Guillaume Cousin une fascination esthétique. Au point de revendiquer une révolution culturelle quantique ! Celui qui se définit comme ‘expérimentateur – constructeur’ crée une œuvre avec un dispositif minimaliste. Porté par une conviction communicative ; l’art est fait d’évènements pas de choses. A vérifier du 8 au 19 septembre à Stereolux (Nantes).

L’immatérialité faite présence

C’est sur instagram qu’en octobre dernier notre attention fut attrapée par une petite vidéo.  Dans le décor de la somptueuse architecture gothique flamboyante de l’église Saint-Eustache au cœur des Halles, l’apparente tranquillité vient à être troublée de manière étrange et surprenante. Dans le vide de l’église, comme un coup de feu tranche le silence. Il vient d’une machine que Léonard de Vinci n’aurait sans doute pas renié. Elle a été installée et non pas cachée mais seulement mise à l’écart dans un des transepts. Peu à Peu, venant de ce curieux instrument-catapulte, lentement, volent et flottent dans les hauteurs de la nef centrale un anneau de fumée blanche, puis d’autres qui viennent ainsi se promener et se dissoudre peu à peu. On imagine l’émerveillement qu’ont dû vivre les visiteurs de La Nuit Blanche 2020 où l’artiste Guillaume Cousin invitait le public à découvrir « Le sillage de la mémoire », une installation née d’une rencontre avec le studio olfactif Magique. Tout semble être dit dans ce dénuement et cette simplicité d’un art qui fleurte génialement avec la dématérialisation.

Aux marges de l’enfer ?

L’imagination, reine,
Tient ses ailes étendues,
Mais la robe qu’elle traîne
A des lourdeurs éperdues.

Cependant que la Pensée,
Papillon, s’envole et vole,
Rose et noir clair, élancée
Hors de la tête frivole.

L’Imagination, sise
En son trône, ce fier siège !
Assiste, comme indécise,
À tout ce preste manège,

Paul Verlaine (1844-1896), Les limbes.

Guillaume Cousin Expansion Photo © Guillaume Cousin

Ce sillage de la mémoire nous évoque ce poème de Verlaine. Il nous fait aussi imaginer une interprétation des cercles de L’Enfer de Dante Alighieri (1265 – 1321) décrit dans la première partie de la Divine Comédie. Les anneaux de fumée environnent totalement la progression du spectateur et ne peuvent laisser indifférent. Dans chaque cercle seront peut-être punis ceux dont la vie fut entachée d’un type bien défini de péché. Les limbes désignent un état de l’au-delà situé aux marges de « l’enfer ». D’autres pistes inspirées par la lecture de Pascal Quignard citée par Guillaume Cousin sont ouvertes : « Le visible ne suffit pas, le visible ne s’interprète qu’en référence à l’invisible. »

L’art fait d’évènements, pas de choses

Guillaume Cousin, Le silence des particules Photo © Guillaume Cousin, Aix en Provence, 2019

Comme en témoignent de nombreux artistes présentés par Singulars, Susanna Fritscher, Bill Fontana, Stéphane Thidet, … l’art ne nait plus seulement d’un rapport entre un objet fixe et un spectateur, mais aussi d’une expérience holistique, où tout le corps du spectateur est associé à l’expansion de l’ œuvre dans l’espace. « Le monde est fait d’événements pas de choses » : ce que dit Carlo Rovelli, physicien théoricien et philosophe des sciences italien, l’un des fondateurs de la gravité quantique à boucles (loop quantum gravity)  est mis en œuvre dans le travail de Guillaume Cousin. Celui qui se définit comme un « expérimentateur – constructeur » s’inscrit dans cette dynamique évolutive, brouillant les frontières du visible et de l’invisible, du physique et de l’aura, nourrit des découvertes scientifiques les plus récentes. Son ambitieux projet artistique s’invente comme une œuvre globale pour permettre à chacun de libérer toute son imagination.

Ne pas tomber, ni dans l’ego ni le hors sol

Guillaume Cousin, Le silence des particules, portrait de la machine et homme Photo © Guillaume Cousin, 2019

« Si tu m’apprivoises… », fut depuis l’automne dernier la relation ‘Saint-Exupérienne’ avec cet artiste renard né à Tours en 1978, qui vit aujourd’hui à Longeville-sur-Mer. Il n’est pas dans l’urgence et visiblement aime celles et ceux qui prennent le temps de le connaitre. C’est le même type d’approche que ce diplômé des métiers d’art en éclairage de spectacle entretient avec son œuvre. On le sent rougir de timidité quand on le nomme artiste. Il nous confie : « Cela fait 20 ans que j’accompagne dans l’ombre des artistes dans mon travail d’éclairagiste et de scénographe, changer de position, porter une parole en mon nom, m’a beaucoup questionné. Tout d’abord, j’ai vu tellement d’artistes incarner des questions d’ego…. Je ne voulais pas reproduire cela et ensuite je voulais trouver ma voie, mon propos. En tout cas je suis artiste, peut-être je le formule comme cela pour insister sur le fait de ne pas être ‘hors sol’.» Avec une éthique de responsabilité, celle « de faire partie de l’imagination des autres» comme écrit joliment Tunga,

Descendre au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau. Rimbaud

Cette maturation lente loin d’être handicap est revendiquée dans le process de gestation : « Je pars à l’aventure dans des pistes d’expérimentations. L’aboutissement est souvent inconnu et comporte toujours une part aléatoire. Les principes de construction font également partie de cette démarche. Je construis tout. Je ne soustrais rien car cela donne un sens à l’objet, il représente une image de mon savoir-faire une logique qui se voit. Tout est encore très frais. Mes œuvres sont très longues à aboutir ; si le « silence des particules » a été présenté en 2018, les premiers tests dataient de 2012… je travaille sur « Soudain toujours » depuis 2019 qui sera présenté en septembre 21 ».

Malevitch Carre noir sur fond blanc Le Quarangle (1915)

Des fenêtres sur le mystère

On pense à l’icône suprématiste de Malevitch (1879-1935), son « Carré noir sur fond blanc » dit Le Quarangle (1915). Cette œuvre, comme celles de Guillaume Cousin, sont des portes d’entrée vers quelque chose dont on ne voit que l’ombre, comme des fenêtres sur le mystère et le monde spirituel. Elles mettent en évidence le jeu entre le « c’est » et « ce n’est pas ». Est-ce un carré ? Est-ce noir ? Est-ce un simple anneau de fumée ?… Vous êtes invités à prendre du temps pour regarder, vous interroger et découvrir.

Pourquoi pas engager une révolution artistique quantique ? 

L’artiste qui se veut humble sait nous entrainer dans les découvertes et les beautés de la physique quantique qui déclenchent en lui une fascination esthétique :  « A l’instant où un changement de paradigme nous semble aussi illusoire qu’essentiel, quelle peut être la révolution culturelle qui le déclenchera ? Pourquoi pas une révolution quantique ? » confie-t-il à Singular’s. « La beauté poétique et philosophique de la physique quantique m’a subjugué. Elle redéfinit complément les notions d’espace et de temps, ce qui est déjà fondamental pour redéfinir la notion de réalité.  Par exemple, nous vivons toujours dans la représentation du temps pensé par Newton, une longue ligne droite avec une flèche qui s’écoulerait partout et pour tous de la même façon. La réalité de la science établie est tout autre : le temps universel n’existe pas. Nous avons chacun notre temps propre et il n’est pas continu mais granulaire. Notre perception est uniquement due à nos perception « floue », notre niveau de précision en quelque sorte. Il est donc question de notre point de vue, qui doit être questionné, déplacé. »

Vers une dématérialisation de l’art ?

Guillaume s’inscrit dans les réflexions d’un art qui tend à se passer le plus possible de matière, voire à s’en affranchir totalement depuis la seconde moitié du XXe siècle. À la fin des années 1950, Yves Klein (1928-1962), connu entre-autre pour son « exposition du vide » de 1958 se fait le chantre de l’immatériel et multiplie les performances et les propositions visant à spiritualiser et dématérialiser l’ensemble du processus plastique.

Zilvinas Kempinas. Slow Motion, 05.06. – 22.09.2013 Photo © Zilvinas Kempinas

Dans le sillage de l’art minimal et de l’art conceptuel qui se développent aux États-Unis des artistes tels que Bruce Nauman (né 1941), tente de « diminuer l’importance de la chose à regarder ». En 1985, l’exposition Les Immatériaux, conçue par le philosophe Jean-François Lyotard (1924-1998) considère la manière dont les nouveaux médias et les nouvelles technologies transforment la matière. La matière se transmue en un flux énergétique, inspirant aux artistes de nouveaux dispositifs (art vidéo, art par ordinateur, etc.).

Tout pour plaire à Guillaume Cousin qui aime aussi à citer le grand artiste californien James Turrell (1943) référence mondiale pour les questions liées à la lumière et l’espace mais aussi des artistes plus confidentiels mais tout aussi intéressants tel que l’artiste suisse spécialiste des sculptures sonores Zimoun (1977-) ou l’artiste lituanien Zilvinas Kempinas (1969-) qui utilise des bandes magnétiques dans son œuvre et dont le travail Double O de 2008, montrant deux grands ventilateurs électriques dirigés vers deux boucles de bande magnétique provoquant leur vol perpétuel et leur danse entre les flux d’air participe aux correspondances de Guillaume Cousin.

Les choses, des interactions quantiques plus ou moins longues

Guillaume Cousin, Le silence des particules Photo © Guillaume Cousin, Aix en Provence, 2019

« Il y a dans lire une attente qui ne cherche pas à aboutir. Lire c’est errer. La lecture est l’errance. » Remplacez ‘lire’ et ‘la lecture’ par ‘regarder’,  dans cette citation de Pascal Quignard (1948-) et vous aurez une assez bonne définition de la philosophie de Guillaume Cousin qui cite souvent le lauréat du prix Goncourt 2002 pour Les Ombres errantes et auteur de Vie secrète … Citons le encore pour capter les enjeux de l’art : « Faire de la poèsie le desiderium. Une forme comme une marée … Un seul flot rythmé.  Un seul flatus. Un seul flux. Une seule fluence. Une seule influence. Une seule lumière. Un seul afflux montant. Tel le désir. Le descendant est la jouissance. ».

« Il en est de même sur la matière », poursuit Guillaume Cousin. Tout ce que nous connaissons et considérons comme des choses, sont en fait des événements, des interactions quantiques plus ou moins longues. Les plus petits grains de matière, qui constituent tout, sont des particules quantiques tous issus plus ou moins de l’instant du bigbang. Elles sont soit dans un état (énergie, vitesse portion) de probabilité, proche du chaos, soit stabilisées quand elles sont en interaction. L’interaction est donc le seuil de la matière comme il est le seuil de l’évolution de notre espèce, une grande symbiose. ».

Peu importe si Guillaume Cousin a encore peu d’œuvres à son actif, seule leur intensité compte. Nous avons aussi retenu qu’il sait prendre le juste temps du temps. Nous apprendrons donc à dompter notre impatience pour attendre les prochaines apparitions de ses œuvres, au moins jusqu’à la présentation de cette création, prévue à Stereolux (Nantes) du 8 au 9 septembre 2021.

Pour suivre Guillaume Cousin

Le site Guillaume Cousin  :

Prochain rendez-vous

  • du 8 au 19 septembre 2021. La première de Soudain Toujours est prévue à Stereolux qui est aussi co-producteur. (informations à suivre prochainement sur www.stereolux.org)..

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