Culture
(And so rock) Hommage à Sixto Diaz Rodriguez, alias Sugar Man (1942 – 2023)
Auteur : Calisto Dobson
Article publié le 9 août 2023
[And so rock ?] Pour beaucoup, depuis le portrait de Calisto Dobson l’histoire de Sixto Rodriguez est celle d’un miracle artistique, d’une réalité qui dépasse la fiction. Au-delà du documentaire de Malik Bendjelloul, Searching for Sugarman (2012), Calisto Dobson en mémoire de son décès lui rend un hommage personnel à travers sa découverte des deux albums, Cold Fact et Coming From Reality, marqués par les idéaux d’une époque révolue auxquels une musique habitée a su rester fidèle.
Les lecteurs de Singular’s se souviennent sans doute l’histoire de Sixto Rodriguez aliaz Sugar Man et du miracle de sa reconnaissance tardive que nous avions raconté à l’occasion de la diffusion du documentaire de Malik Bendjelloul (Searching for Sugarman, 2012).
En hommage à sa récente disparition, retour sur un épisode personnel
Au début des années 2000, je travaille pour une enseigne de distribution de produits culturels. Au sein de la petite succursale à laquelle j’appartiens, je suis chargé d’écouter des disques et de partager mon avis avec plus d’une bonne centaine de magasins. J’ai à ma disposition une base de données brinquebalante de plusieurs millions de références, la presse musicale anglo-saxonne, mon oreille, ma subjectivité et ma curiosité. Nous recevons à cette époque des centaines de disques dont nous devons sonder le potentiel.
Quelques années auparavant, Steven Soderbergh m’a enthousiasmé avec Out of sight (Hors d’atteinte). Ce petit bijou de film noir en forme de comédie romantique, interprété par George Clooney et Jennifer Lopez, comporte une bande originale jouissive.
Concoctée par un DJ multi-casquettes dénommé David Holmes, elle a capté toute mon attention auditive. À l’époque, nous sommes encore un peu loin du tout à disposition d’internet, impossible de mettre la main sur cette BO. Alors lorsque je tombe sur la dernière production du David Holmes en question, je me jette dessus. En réalité il s’agit de ce qu’il est convenu d’appeler une mixtape intitulée David Holmes Introducing The Free Association – Come Get It I Got It.
À la première écoute un court échange dialogué tiré sans doute d’un film introduit le premier titre.
Et c’est là que stupéfait j’entends pour la première fois Sugar Man d’un dénommé Sixto Rodriguez.
J’en tombe de ma chaise tellement ce morceau percute mes oreilles. Deux ou trois accords de guitare aigrelet, une voix qui tutoie l’arrière tête sans l’atteindre, le tout souligné d’un orchestre qui soudoie la mélodie de brassées de cordes, ourlé d’instruments à vent soutenue par une clarinette basse. Et puis le texte simple et crû d’un toxicomane qui en appelle à son fournisseur, le désormais fameux Sugar Man.
Nous sommes en 2002, clairement ça vient de la nuit des temps, fin des années 60, début 70 dans ses eaux là. C’est une révélation, je vois, j’entends la lumière.
Comment est-il possible qu’un truc pareil soit resté inaperçu ?
Je me précipite sur ma base de données. Il existe quelques exemplaires disponibles chez un fournisseur en Australie. Je passe ma commande et quelques six mois plus tard, après avoir repassé ma commande, je reçois à mon bureau Cold Fact ce que je crois être le seul album de Rodriguez. Ce que j’entends confirme qu’il ne s’agit pas d’un fusil à un coup, il s’agit bel et bien d’une œuvre unique en son genre. De celle qui transcende les époques de par la sincérité, l’authenticité et la simplicité de son propos.
Alors que je tente vainement de répandre la bonne parole, j’entends vaguement parler d’une espèce de légende comme quoi en Afrique du Sud, Rodriguez serait un mythe.
Quoi ce mec de Detroit ?
Ma bonne parole en fuite, les années passent et en 2009, ne me demandez pas pourquoi une des pires années de ma vie, le label Light in the Attic annonce la réédition de Cold Fact et de Coming From Reality son deuxième album en 1971
Depuis, le film Searching for Sugar Man, Oscar du meilleur documentaire en 2013, réalisé par le regretté Malik Bendjelloul (le pauvre gars s’est pris la vie depuis), a tout raconté (voir mon récit).
Les scores minables de vente à l’époque de la sortie des deux disques, l’exemplaire de Cold Fact emporté et laissé par un étudiant en Afrique du Sud et le mythe d’une sorte de prophète pseudo Dylan psychédélique qui provoque l’enthousiasme de la jeunesse sud-africaine.
Revoir ou découvrir le film
Ce si bel hommage à Sixto Rodriguez, qui malgré la cécité qui l’avait atteint sur ses vieux jours resta fidèle jusqu’à la fin à ses idéaux de jeunesse.
Et surtout, surtout écouter et entendre les stupéfiantes chansons d’un poète des rues qui, animées de leurs seules qualités, ont su conquérir l’autre bout du monde.