Culture

Monica Biancardi, RiMembra (galerie Rachel Hardouin - éditions Damiani)

Auteur : Anne-Sophie Barreau
Article publié le 27 novembre 2023 

Il est des photos qui viennent de loin et des projets qui durent toute une vie. RiMembra que présente Monica Biancardi à la galerie Rachel Hardouin jusqu’au 16 décembre est de ceux-là. L’exposition, montrée pour la première fois en 2017 à la Fondation Morra à Naples en même temps qu’était publié le beau livre éponyme (Damiani Books), est composée d’une série de diptyques où une photo mère en enfante chaque fois une autre, souvent à des années de distance, comme autant de réminiscences renvoyant aussi bien au souvenir qu’au corps du titre. Avec à l’arrière plan pour Anne-Sophie Barreau une passionnante réflexion sur le médium photographique, réflexion que prolonge The catalogue of huts, ses dernières pièces que seule la lumière permet de voir dans leur totalité. Entretien avec la plasticienne et performeuse italienne qui revient pour Singular’s sur la genèse et l’esprit de RiMembra.

Monica Biancardi, Deserto d’Hébron 2005 – Muro del pianto 2014, RiMembra Galerie Rachel Hardoin

RiMembra a été développé sur le temps long. Quelle en est l’origine ?

Tout a commencé avec une photo prise sur l’île de Procida : celle d’un tronc d’arbre peint en bleu, jeté après les processions de la Semaine sainte, sur lequel des champignons avaient commencé à pousser. Cette vision m’a plu, sentiment partagé par mon galeriste italien qui m’a dit que je devais absolument imaginer une exposition sur ce thème. Sauf que plutôt que de me réjouir, cela m’a au contraire plongée dans des abîmes de perplexité : le fait que ces photos soient considérées comme réussies était-il en soi suffisant ? Un période d’intense réflexion a débuté : où et comment était-il encore possible d’exprimer la puissance du médium photographique ?
A la même époque, j’ai commencé à dessiner, activité que je pratique depuis toujours et que j’ai longtemps enseignée. Je prenais la photo initiale, et grâce au dessin, je voyais si elle était suffisamment forte pour donner vie à une seconde photo. Si c’était le cas, je pouvais me mettre en quête de cette image.

C’est ainsi que sont nés les diptyques de RiMembra

Pendant des années, je me suis complètement dédiée à RiMembra, mes yeux étaient tout le temps en tension à la recherche de cette image. J’ai demandé à des modèles de poser pour moi, j’ai acheté du tissu…

L’art n’est pas une chose donnée mais une construction.

Il ne s’agissait pas seulement de trouver des correspondances formelles, la recherche était également conceptuelle comme dans le diptyque où se trouvent réunis le désert de Hébron en Palestine et le mur des lamentations à Jérusalem, ou, autre exemple, quand je mets en vis-à-vis une photo où l’on voit deux femmes âgées au corps dénudé – la première avec une cicatrice profonde sur le ventre a été comme une mère pour moi alors qu’elle n’a jamais eu d’enfant, la seconde est ma véritable mère que l’on voit de dos avec laquelle je ne me suis jamais bien entendue –  et celle, prise dans la basilique San Miniato al Monte à Florence d’un ange ouvrant sa robe comme on déploierait ses ailes ; ou encore, quand je juxtapose la photo montrant le dépôt de cendres dans les plis d’un temple bouddhiste à Hong-Kong et celle d’une femme de dos aux formes voluptueuses. Entre les deux, cinq ans se sont écoulés.

Monica Biancardi, Cenere sulla tenda 2015 – Livia 2007, RiMembra galerie Rachel Hardoin, @monicabiancardi

L’originalité du projet réside aussi dans votre collaboration avec le poète Gabriele Frasca qui a écrit et enregistré sa voix sur vos images  

La façon dont j’ai construit ce projet a plu à Gabriele Frasca qui, pour mon plus grand bonheur, m’a fait part de son souhait d’écrire sur mon travail. Il en résulte des sonnets pour chaque diptyque ou triptyque car le projet en comprend aussi un certain nombre. En 2017, quand l’exposition a été présentée pour la première fois à la Fondation Morra à Naples, Gabriele Frasca a en outre accepté d’enregistrer sa voix sur une vidéo où photos et texte dialoguent ensemble. L’idée était de créer une dramaturgie. Le procédé est également pédagogique : grâce à cette vidéo, on comprend quelle est la direction que j’ai suivie pour créer la deuxième image.

Monica Biancardi, Maria 2008 – S.Miniato al Monte 2014, RiMembra galerie Rachel Hardouin, @monicabiancardi

Comment définiriez-vous aujourd’hui RiMembra ?

En même temps qu’il est un travail sur le corps et sur le temps, RiMembra présente le regard d’une femme sur d’autres femmes. C’est aussi une recherche sur la photographie et en particulier sur le moyen de lui redonner de l’importance. La photographie est devenue un médium éminemment démocratique. Il n’y a rien de plus simple aujourd’hui que de prendre des photos avec son téléphone, mais en contrepartie, le médium n’est plus valorisé. On prend des photos très vite sans penser au sens de ce geste.

Votre parcours photographique est aussi, souvent, géographique…

C’est vrai, mais ce n’est pas un travail sur mes voyages comme il m’arrive parfois de l’entendre ! Il y a quinze jours, j’ai vu à la Maison européenne de la photographie On Closer Inspection : Robert Cumming, le formidable documentaire de Noah Rosenberg sur le photographe Robert Cumming mort en 2021. Un artiste magnifique connu pour ses photographies conceptuelles dont le projet, tout autant, était physique puisqu’il a souvent mis en scène son corps. Or, il est mort de la maladie de Parkinson…
On voit cet artiste beau, intelligent qui à la fin devient invalide. Cela fait réfléchir. Il y a vraiment ces deux dimensions, les souvenirs d’un coté, le corps de l’autre, qui dans les deux cas nous racontent. Quand j’ai trouvé le sonnet de Michel-Ange qui a été lu lors du vernissage de RiMembra, c’était comme une illumination. Il est question des membres vifs, puis déformés, mais aussi du souvenir de la beauté première :

  • Molto diletta
 al gusto intero e sano
  • l’opra della prim’arte, che n’assembra
  • i volti e gli atti,
 con più vive membra,
  • di cera o terra o pietra, un corpo umano.
  • Se po’l tempo ingiurioso, aspro e villano
  • la rompe e storce,
o del tutto dismembra,
  • la beltà, che prim’era, si rimembra,
  • e serba a miglior loco il piacer vano…

Anne Sophie Barreau

Pour suivre Monica Biancardi

jusqu’au 16 décembre, RiMembra, galerie Rachel Hardouin , 15, rue Martel 75010 Paris
BÂT.A – 4e étage – interphone « 15 martel galerie », Mercredi, jeudi, vendredi et samedi de 14H à 19H – 
contact@15martel.com

A lire

Monica Biancardi, RiMembra, éditions Damiani, 2017 : Les diptyques et triptyques photographiques prennent forme à travers des correspondances chromatiques et conceptuelles.

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