Culture
Luiz Zerbini, Afinidades III, Cochicho (Museu Oscar Niemeyer Curitiba, Brésil)
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 18 novembre 2024
[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] Tout juste inaugurée, l’exposition « Afinidades III – Cochicho » au Museu Oscar Niemeyer (MON), Curitiba, Brésil (jusqu’au 18 mai 25) présente plus de 60 monotypes, peintures et aquarelles issues des « carnets de voyage » de Luiz Zerbini. L’artiste brésilien partage aussi ses affinités pour la Nature avec cinq paysagistes de l’art du Paraná présents des collections du MON : Guido Viaro, Miguel Bakun, Bruno Lechowski, Guilherme William Michaud et Theodoro de Bona. Et quoi de plus évident ! « Chuchoter est une conversation en plein air entre des paysagistes qui ont passé de nombreuses heures seuls, en silence, à peindre, à regarder la nature, l’horizon, les montagnes et la côte brésilienne » insiste l’artiste. « Avec ces affinités électives, son regard délicat et intime sur la nature, crée ainsi, explique le commissaire Marc Pottier, un moment pour s’arrêter et méditer, avant qu’il ne soit trop tard.»
Une hauteur de vue
De son atelier de Rio de Janeiro à Gávea, l’artiste brésilien Luiz Zerbini surplombe le jardin botanique de la ville. Ce voisinage ne peut être meilleur pour qui s’inspire en permanence de la forêt atlantique brésilienne où il mêle magnifiquement les traces de l’histoire coloniale et les outrances de la société de consommation.
Sculpteur, dessinateur, photographe, vidéaste, mais surtout, Luiz Zerbini est aussi surtout un grand peintre.
Dans une large palette de couleurs vibrantes, il déploie dans ses toiles aux dimensions impressionnantes, des paysages urbains, la culture brésilienne et la nature luxuriante de la flore tropicale avec des motifs allant de la géométrie à la figuration.
Il fait se démembrer les formes en lignes sinueuses qui évoquent la végétation tropicale ou révèlent des motifs saisissants créés à partir de textures variées.
On se souvient de sa grande installation à l’exposition ‘Nous les arbres’ à la Fondation Cartier de Paris reprise à la Triennale de Milan et plus récemment de sa grande exposition au MASP de Sao Paulo ou encore sa rétrospective au CCBB de Rio de Janeiro montrant toutes les capacités créatives de l’artiste exceptionnel qu’il est. Au MON de Curitiba, l’exposition ‘Afinidades III, Cochicho’, révèle un tout autre angle de l’artiste et présente en avant-première quelques-unes des œuvres de ses carnets de voyage.et
De croquis de voyage pris sur le vif
Ses carnets de voyage ont commencé en 2014, avec un rythme plus constant pendant la pandémie qui lui a laissé plus de temps libre quand il a pu se rendre à Buzios, Paraty ou Bocaina. Ce sont des peintures acryliques ou des aquarelles. Comme il était difficile de se déplacer avec des toiles, aussi petites soient-elles, il a opté pour un caderno. Ces œuvres sont aujourd’hui détachées et marouflées sur bois.
Ces petites œuvres lui permettent une relation directe avec le paysage. Il retrouve avec cette peinture à l’air libre une impression de liberté que ne lui permettent pas toujours les grandes compositions pour lesquelles il est jusqu’à présent plus connu.
Travailler sur celles-ci peut aller jusqu’à une forme de souffrance tant elles exigent de lui et le placent dans un émotionnel responsable très demandant. Avec ses carnets de voyage, il retrouve une autre sorte de plaisir, plus simple, un ‘jeu’ plus spontané, plus facile pour les émerveillements, une manière de travailler plus rapide ou encore créant une belle opportunité pour la méditation. Cela lui permet de ‘fusionner’ plus directement avec ce qui l’entoure.
Le paysage apparait alors tel qu’il est, sans être idéalisé, sans maniérisme ni lyrisme ni hédonisme.
Peu d’éléments apparaissent, une pierre, une barque peut devenir l’enjeu majeur de la composition. Cette dernière sans transformation, lui permet de garder une vision familière du sujet traité. L’ensemble des œuvres de ses carnets a donné lieu à l’édition du livre ‘Sabados, domingos e feriados’ aux éditions Cobogo.
« Il ne s’agit pas seulement de ce que vous voyez
Il s’agit de ce que vous entendez lorsque vous regardez
Il ne s’agit pas seulement de ce que vous entendez quand vous voyez
Il s’agit de ce que vous ressentez lorsque vous écoutez lorsque vous voyez
Et à quoi penses-tu quand tu ressens ce que tu entends quand tu vois
Ce n’est pas ce que tu penses quand tu ressens ce que tu entends quand tu vois
Ce n’est pas ce que vous ressentez lorsque vous écoutez ce que vous voyez.
Ce n’est pas ce que tu entends quand tu le vois
C’est exactement ce que tu vois »
Luis Zerbini
Cochicho, le paysage au cœur
Avec Cochicho au Museu Oscar Niemeyer (MON), Luiz Zerbini nous fait entrer dans son intimité. L’exposition n’est ni tapageuse, ni politique, même si le fait de montrer la Nature n’est jamais anodin. Il l’a voulue comme un « chuchotement », un murmure collectif qu’il adresse avec ses frères paysagistes au public. Il n’aime pas qu’on le définisse comme artiste multimédias, même si cela correspond à une certaine réalité.
« Chuchoter est une conversation en plein air entre des paysagistes qui ont passé de nombreuses heures seuls, en silence, à peindre, à regarder la nature, l’horizon, les montagnes et la côte brésilienne.
Chuchoter est l’occasion de donner une voix au silence. »
Luiz Zerbini
Embrasser le monde par son jardin secret
Ici il se veut avant tout « paysagiste », dans le sens le plus ample du mot qui « embrasse le monde ». Il a hésité aussi à se définir comme ‘viajante’ pris au sens de ‘voyageur’ dans les cultures différentes. Mais ici c’est son amour pour la Nature qu’il célèbre. Derrière ce calme apparent c’est bien de peur qu’il nous parle dans un monde actuel apocalyptique de destruction de l’environnement.
A travers 44 peintures, 11 aquarelles et 12 monotypies, Luiz Zerbini nous ouvre pour la première fois son jardin secret. Comme dans beaucoup de carnets de voyages, Luiz titre ses œuvres simplement par les lieux qu’il a visité (Mamangua, Ilhas das Palmeiras, Boipeba, Mangaratiba, Itacaré, Ilha Grande….) ou en nommant l’objet décrit (Amandoeira, Araucarias (Bocaina de Minas), bananinha d’agua, cachoeira, chuva do mar…).
Maître du monotype
Depuis 2016, l’artiste brésilien se consacre à la création de monotypes. Ce sont des estampes uniques obtenues par un procédé non reproductible. Des feuilles, des fleurs ou des branches, sélectionnées et collectées pour leurs contours, leurs formes et leurs textures, sont déposées sur une plaque de métal préalablement encrée. Une grande feuille de papier recouvre l’ensemble, dernier élément nécessaire à la réalisation d’un monotype. C’est en passant dans la presse que la composition imaginée par l’artiste se reporte sur la feuille de papier, laissant ainsi apparaître des formes et des couleurs étonnantes, entre figuration et abstraction, créant ainsi un répertoire végétal hors du commun.
Des affinités électives bienveillantes
Sa visite des collections au MON lui a donné l’idée de présenter ses carnets de voyage. Ce fut une rencontre de paysagistes, d’artistes qu’il ne connaissait pas auparavant mais dont il a apprécié les visions. Luiz a toujours eu un œil sur ce type de travail et regardé par exemple les paysages du Minas Gerais de Guignard (1896-1962), les dialogues chromatiques de l’artiste pauliste Rodrigo Andrade (1962-) mais aussi les marines de Pancetti (1902-1958), les œuvres du maitre du paysage français Jean-Baptiste Corot (1796-1875) ou encore de l’artiste américain Winslow Homer (1836-1910) réputé pour ses marines et comme témoin objectif de son temps ….
Les correspondances subtiles des affinités
‘Afinidades’, qui en est à sa troisième édition, est un jeu subtil de « correspondances » baudelairiennes où le MON demande aux artistes de piocher dans ses collections pour concevoir une exposition où les œuvres sélectionnées fassent échos à celles des artistes invités afin de mieux comprendre leurs travails.
Ainsi dans sa chasse aux trésors Luiz Zerbini aura-t-il sélectionner cinq artistes qui répondaient à cette observation attentive de la Nature qui lui tient tant à cœur : le polono-brésilien (carioca) musicien et peintre Bruno Lechowski (1887-1941) connu pour ses paysages de Rio de Janeiro et de l’île de Paqueta. Luiz aura sans doute senti son amour pour la nature qu’il aura pu épanouir dans le site de Campo grande où il aura passé la fin de sa vie à cultiver les arbres fruitiers et à élever des animaux.
Luiz a sélectionné neuf œuvres de cet artiste dont les titres font échos aux siens : Campo, tarde de outono, arvores, fortaleza, campos gerais, tarde de inverno, paisagem em verde, pinheiros e bananeiras, une sorte d’autre carnet de voyage, involontaire.
Fait partie de la sélection ‘Canal de Morretes’ de l’artiste italo-brésilien (paranaense) Guido Viaro (1897-1971), qui a dédié plus de 40 ans de sa vie à enseigner l’art, formant ainsi plusieurs générations de peintres à Curitiba.
Deux dessins délicats de Superagüi, sa ville d’adoption, et une peinture de Guilherme William Michaud (1829-1902) suiço-brésilien (Superagüi, PR) mettent en exergue l’œuvre particulière de cet agriculteur et dessinateur autodidacte qui a fait de la Nature son école d’apprentissage, dessinant et peignant la forêt vierge, les arbres, l’aube et l’aurore…
Le grand artiste autodidacte postimpressioniste et expressioniste paranaense, influencé par l’œuvre de Van Gogh, Miguel Bakun (1909-1963), ce fils d’immigrés ukrainiens, connu pour ses paysages, ne pouvait que taper dans l’œil de Luiz qui a retenu dans sa sélection la peinture ‘Quintal com araucarias’.
Autre célébrité paranaense, Theodoro de Bona (1904-1990) qui se disait impressionniste est présent dans ce jeu des affinités avec trois peintures (Araucaria, Clareira et Paisagem paranaense) qui conservent ce même élan romantique d’une exposition contemporaine rendant hommage au fil du temps, le temps de méditer une nature aujourd’hui par trop meurtrie.
Chuchoter est l’occasion de donner une voix au silence
« Vivre, c’est ruminer des paysages. C’est peut-être pour ça que je me reconnais dans le regard doux, perdu et silencieux d’une vache qui passe sa vie à ruminer. Réfléchir à ce qu’on a vécu et rêver de souvenirs. Pour peindre, il faut se tenir sur le terrain, peindre l’herbe avec un regard vide, fixé sur l’horizon, et croquer involontairement des paysages, des rêves et des souvenirs. Comme un fou. Apaisé dans sa folie. Médicamenté, stupide, dissimulé.
L’intelligence d’un peintre est sacrée comme les vaches en Inde.
Luis Zerbini
Pour suivre Luiz Zerbini
Jusqu’au 25 mai 2025, “Afinidades III – Cochicho”, Museu Oscar Niemeyer, Rua Marechal Hermes, 999, Centro Cívico, Curitiba, Brésil.
Plus qu’une exposition, ‘Afinidades’ invite depuis 2021 les artistes du Paraná, ou ceux ayant un lien fort avec cet État, à s’immerger dans lzq collections du MON pour créer des correspondances entre les œuvres, les artistes et les commissaires.
La 2ème édition, en 2022, a réuni uniquement des artistes féminines, de différentes régions du Brésil, qui se sont immergées dans la collection permanente du Musée. « Le regard féminin des invités a donné à l’exposition une grande diversité d’œuvres, couvrant différentes époques et thématiques. Le résultat a incité et sensibilisé le spectateur, en utilisant différentes approches », explique la directrice-présidente du MON, Juliana Vosnika. Pour la 3e édition, Luiz Zerbini a rapproché ses œuvres avec celles de cinq paysagistes de l’art du Paraná présents dans la collection MON : Guido Viaro, Miguel Bakun, Bruno Lechowski, Guilherme William Michaud et Theodoro de Bona.
Sa galerie en France, Ceysson & Bénetière
Autre galerie Sikkema Jenkins& co
A lire :
Luiz Zerbini, ‘Sabados, domingos e feriados’ (éditions Cobogo) Le livre rassemble les peintures réalisées par l’artiste au cours de la dernière décennie lors de voyages et de loisirs. Dans ces œuvres réalisées hors atelier, sur de petites toiles qui tiennent dans des valises, et sans retouches ultérieures, apparaissent des lacs, des rivières, de la végétation, des rochers et des animaux recréant les traces de la transformation quotidienne de la nature et de l’activité humaine.
Le critique et professeur d’histoire de l’art Tiago Mesquita a écrit un essai introductif, dans lequel il analyse les « petites peintures » de Zerbini dans le contexte de son œuvre et de la tradition de la peinture de paysage. Pour Mesquita, ces peintures « légères, multicolores et gracieuses », mais qui n’idéalisent pas le paysage, trouvent « des moyens de rapprocher les choses, en utilisant leurs contrastes et en se concentrant sur ce qui reste. Ils ont une sorte de désir pacifique de convergence. »
Luiz Zerbini, Botanica : monotypes 2016-2020, Fondation Cartier, 2021. Entre 2016 et 2020, l’artiste brésilien a conçu plus de 300 monotypes, estampes uniques obtenues par un procédé non reproductible à partir de feuilles, de fleurs et de branches trouvées en ville ou au coeur même de la nature. Offrant au regard des formes et des couleurs étonnantes, entre figuration et abstraction, cette série exceptionnelle est accompagné des textes d’Emanuele Coccia et Stefano Mancuso.
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