Culture

Le carnet de 16 albums de Calisto Dobson pour 2023

Auteur : Calisto Dobson
Article publié le 12 janvier 2024

[And So rock] Après un 4e carnet de cinéma, Calisto Dobson signe un nouveau carnet de musique annuel. Plutôt que de surfer sur une vague mainstream de plus en plus algorithmée, plongeons avec lui dans les sillons fertiles de cette année 2023. Alors que le « concept album » qui fit le meilleur du rock – de Berlin, de Lou Reed (1973) à La Symphonie des Éclairs, de Zaho de Sagazan (2022) se dissout à l’acide de la démultiplication infinie de « listes de lecture » et d’une consommation à l’unité, son carnet 2023 rembobine en toute subjectivité par date de leur sortie des albums pas forcément parmi les plus distingués, au sens propre et figuré.

Vusi Mahlasela Norman Zulu Jive Connection, Face To Face  (Strut Records)

27 janvier 2023. Vusi Mahlasela est un vieux de la vieille de la lutte anti apartheid. Armé d’un son folk soul aux solides racines sud africaines, il a produit une dizaine d’albums sous son nom. C’est accompagné de Norman Zulu et du collectif jazz soul suédois Jive Connection qu’en 2002 a été enregistré ce petit trésor inédit déterré par le label spécialiste du genre Strut Records. Sur des textes toujours aussi engagés, Face to Face  exhale un métissage de folk, blues, soul et jazz le tout auréolé d’un moëlleux groove afrobeat. Sans trop comprendre comment cette merveille a pu rester endormie pendant plus de vingt ans, il est temps de s’y plonger.

Yo La Tengo, This Stupid World  (Matador Records)

 10 février 2023. Un album de Yo La Tengo, groupe à la parfaite intégrité jamais démentie depuis 40 ans, est toujours un évènement. Celui-ci ne déroge pas à leur impeccable et métronomique discographie. Opus ombrageux This Stupid World le bien nommé fustige notre époque qui non seulement semble n’avoir rien appris de la stupidité des générations précédentes mais en réitère ce qu’il nous faut bien qualifier de connerie abyssale avec un enthousiasme qui n’a rien à envier à ceux qui nous ont précédés. Avec comme horizon lointain mais prégnant la ligne Velvet Underground c’est habités d’un son passablement orageux, qu’Ira Kaplan et Georgia Hubley, noyau inébranlable de l’entité Yo La Tengo, nous invitent à danser sous une pluie radioactive. Ceux qui ont pu assister au concert à La Cigale peuvent attester de leur engagement.

Nada Street Soledad Street  (Sebastian Sucerquia)

10 février 2023. Sorti le même jour que le précédent, mais beaucoup plus obscur, Soledad Street est un album instrumental du groupe Nada Street. Doté d’une pochette faramineuse, aussi éblouissante qu’il n’y a de renseignements à fournir au sujet  de cette entité. Il n’empêche, ces 9 titres de moins de deux minutes sont sertis en un petit précis œuvrant dans un psychédélisme cher à la tradition latine du genre. Les amateurs apprécieront, les autres pourraient être surpris par la finesse de ce coffret à bijoux ouvragés.

Altin Gün, Aşk (ATO Records)

 31 mars 2023. Avec Altin Gün, nous voilà en terre connue, ce collectif turco-néerlandais, en suivant les traces de l’immense Erkin Koray, perpétue et ravive le psychédélisme turc, genre qui fit florès dans les années 70.

Ce cinquième album réussit à nouveau à entretenir le fantasme d’un orient authentique épousant les volutes d’un occident envoûté par ses hallucinations psychoactives. Altin Gün signifiant âge d’or et Aşk  amour, vous voilà prévenu. Ils seront à l’Olympia le 09 avril…

 

HMLTD,The Worm  (Lucky Number Music)

07 avril 2023. Attention dans le genre hybridation forcenée, le groupe HMLTD, nous vient de Londres. Taxée de art punk leur musique est un peu plus que ça. Disons extraterritoresque, ce néologisme pour tenter de donner une idée de la pop progressive kaléidoscopique qui innerve The Worm. À la racine il y a bien une profusion de paillettes et une sonorité au maquillage outrancier. Mais leur mélange entre les strass du glam rock, parfois la bastonnade tonitruante d’un Frankie Goes To Hollywood ou des faux airs de Mars Volta et la furieuse envie d’en découdre avec l’apocalypse annoncée font de ce deuxième album une analogie avec le combat de Saint George contre le dragon.

 

The Black Delta Movement, Recovery Effects  (Fuzz Records)

 14 avril 2023. Ces londoniens ont eu le bon goût de faire appel au très respecté guitariste Barrie Cadogan (Little Barrie & Primal Scream) tout le long de ce Recovery Effects. Du garage rock empreint d’un psychédélisme bien senti et c’est déjà suffisant pour nous réjouir. Fuzz Records a le chic pour dégoter d’authentiques petites perles du genre. Exécuté et produit en bonne et due forme, le courant passe et que la lumière soit.

 

The Lemon Twigs, Everything Harmony  (Captured Tracks)

05 mai 2023. Les frangins D’Addario, Michael et Brian sont des enfants de la balle. Leur père n’a pas eu son quart d’heure mais a bien œuvré en tant que musicien. Quand en plus leur patronyme est une marque de cordes de guitare, ils ne pouvaient décemment pas être pilotes de ligne.
Leur quatrième opus confirme les promesses des trois albums précédents.
Le premier mot qui vient à l’écoute est Beach Boys, sans mimétisme gênant, les frères D’Addario entretiennent la flamme de cette pop californienne solaire et mélancolique au charme hypnotisant. 13 titres qui émerveillent par leur sens mélodique et la ferveur de leurs deux interprètes.

 

Geese, 3D Country  (Partisan Records)

23 juin 2023. Vous en voulez du rock’n’roll d’aujourd’hui. Ben en voilà, du panache, de la créativité, la bonne énergie qui va bien et emballé c’est pesé. Punk pour l’enthousiasme, indie pour l’esprit, les oreilles grandes ouvertes de ces gars-là ont infusé tout ce qui est bon à prendre. Et ils le recrachent après assimilation avec la garantie d’en faire un truc qui n’appartient qu’à eux. Ça s’appelle le talent de l’envie d’en être. Un second album qui surpasse le premier est souvent bon signe pour la suite.

 Dave Keller, It’s Time To Shine  (Tastee-Tone Records)

 25 août 2023. Originaire de Montpellier mais dans le Vermont, Dave Keller s’est fait une réputation dans le circuit du blues à la force du poignet qui emmanche une six cordes. It’s Time To Shine produit chez l’auditeur sans qu’il y prenne garde dodelinement de la tête et battement du pied. Preuve s’il en est que les vieilles recettes fonctionnent toujours à merveille. Des guitares qui crachent le blues, une soul qui suinte d’un cœur gros comme ça et le tour est joué. Comme dirait Didier Wampas, ce n’est pas moi qui suis vieux, c’est votre musique qui est de la merde.

 

Willie J. Healy, Bunny (Yala! Records)

 25 août 2023. Willie J. Healy est anglais et pour un type qui revendique Neil Young comme sa plus grosse influence, il détonne. En effet, même si ce troisième album débute somme toute sur un morceau tout à fait pop et enlevé, la suite recèle la surprise de nous révéler un gars plutôt porté des productions funky proches d’un Matthew E. White voire Jamie Lidell. Sans prétention, il nous délivre 13 titres longs en bouche qui sauront récompenser une écoute attentive. Sans vous en rendre compte vous y reviendrez, sous son apparente simplicité, cet album regorge de vitamine D.

 Woods, Perennial (Woodsist Records)

15 septembre 2023. En piste depuis presque 20 ans, Woods a lâché dans la nature une douzaine d’albums. Plusieurs changements de personnel ne l’ont cependant pas empêché de tracer un sentier exemplaire. Le goût du travail bien fait de ces artisans de la mouvance indé ne s’est jamais démenti. Orfèvres jusqu’au bout des ongles, ils jonglent entre mélodie soignée et harmonie appropriée. Perennial est un album qui mérite toute notre attention auditive, tant le savoir-faire de ce groupe s’est bonifié. La garantie solide d’une musique de qualité.

 

Lewsberg, Out And About (Lewsberg Records)

15 septembre 2023. Lewsberg est un groupe néerlandais qui en est avec Out And About à son quatrième album. En guise d’influence, quand ce ne sont pas les Beatles pour certains, c’est du Velvet Underground qu’il s’agit pour eux (il y a même un violon). J’ajouterai une petite touche qui par instant fugace peut rappeler à propos de la voix féminine (oui il y a une femme dans le groupe), The Young Marble Giants ou encore les tous débuts de Everything But The Girl. Un son millimétré façon géométrie post punk qui peut se laisser emporter.

 Ponta Preta,Way Out West (Le Surf Records)

22 septembre 2023. Vous avez aimé Allah Las ? Vous allez adorer Ponta Preta, ce groupe de lyonnais a tout pour vous séduire. Way Out West a hérité d’un surf à guitares au doux parfum sixties enrobé d’agréments bienvenus (entendez par là une légère touche psychédélique). Leurs chansons carillonnent et sentent bon la fraîcheur d’une brise d’été. Jetez une oreille sur le travail du bassiste, c’est un bon charpentier.

 

Blonde Redhead, Sit Down For Dinner (Section 1 Records)

 29 septembre 2023. Blonde Redhead est aujourd’hui, après avoir été à l’origine un quatuor, un trio formé des frères jumeaux Pace (Amedeo et Simone), et de la japonaise Kazu Makino. Sur le circuit depuis 30 ans maintenant, nous pouvons les considérer à l’instar de Yo La Tengo ou encore Woods comme des vétérans du rock indépendant. Comme disait un ami disquaire : “nous ne sommes pas à l’abri d’un succès, encore faut-il savoir durer.” C’est le cas de Blonde Redhead qui a su au fil de trois décennies se renouveler tout en préservant leur intégrité. Ce dixième album, leur premier en presque 10 ans, en ayant l’air apaisé, paye son écot au temps qui passe. Ne pas se fier au semblant de quiétude qui le parcourt, les fêlures de l’existence qui le traversent laissent passer la lumière.

 

Okan, Okantomi, Lulaworld Records

 08 novembre 2023. Le troisième album de ce collectif afro-cubain, que je ne connaissais pas, aux grosses influences africaines devrait mettre tout le monde d’accord. Okantomi vous inonde de soleil. À la façon d’un concert de chants d’oiseaux tropicaux, les couleurs virevoltent et répandent du bonheur. Les propos politiquement engagés n’empêchent pas de se sentir pousser des ailes et de vouer ses hanches à la transe.

 

Bertrand Chamayou, Letter(s) To Erik Satie (Erato Warner)

17 novembre 2023. Pour finir, ma liste de quinze s’étoffe d’un bonus, un disque de musique classique.
Amoureux du piano, il y a quelques années j’ai eu un coup de cœur pour Volodos Plays Mompou. Cette année comment résister à cet hommage à un de mes compositeurs favoris Erik Satie. Pourquoi particulièrement cet album ? Des interprétations des œuvres de l’homme aux morceaux en forme de poire sont pourtant pléthoriques. En son temps Erik Satie fût considéré comme un musicien mineur (voir encore aujourd’hui par certains esprits que je ne qualifierais pas), alcoolique, il mourut dans le dénuement.

Le grand mérite de Bertrand Chamayou est d’avoir choisi de mettre en corrélation une sélection de pièces pour piano du révolutionnaire, élève d’Arnold Schoenberg, John Cage, avec le travail de Satie. Une façon de montrer le siècle d’avance du ‘reclus d’Arcueil’ et de porter aux nues sa modernité.

Calisto Dobson

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