Gastronomie
La chandeleur : symbolisme et traditions culinaires
Auteur : Blandine Vié
Article publié le 29 janvier 2018 à 19 h 14 min – Mis à jour le 25 avril 2019 à 19 h 55 min
Du profane au spirituel
Comme pour beaucoup de fêtes calendaires à connotation religieuse, la Chandeleur – ou fête des chandelles — se substitue à d’anciennes coutumes païennes en relation avec le cycle des saisons. En l’occurrence, la Fête des Chandelles était un hommage à la lumière succédant à la longue nuit hivernale… d’où les chandelles (qui n’étaient pas encore des bougies, inventées au XIVe siècle seulement en Kabylie). C’est au Ve siècle que le pape Gélase (pape de 492 à 496) aurait substitué à cette tradition profane la Présentation de l’Enfant au Temple, également associée à la Purification de la Vierge Marie après ses Relevailles, 40 jours après la naissance du Christ, d’où le symbole de la fécondité de la terre… et des femmes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les crêpes ont la forme de la lune, cet astre régissant le cycle menstruel des femmes.
Une initiative papale très pragmatique !
Mais le pape Gélase était un malin stratège doublé d’un bon économe (au sens domestique du terme) et peut-être d’un gourmand. Car ce serait à lui qu’on devrait cette heureuse initiative de faire des crêpes le jour de la Chandeleur. Et pour deux raisons. D’abord parce ce que début février correspondait aux nouvelles semailles et qu’on pouvait donc utiliser les farines en réserve presque sans restriction. Tout comme les œufs, les poules se remettant à pondre aux premiers rayons de soleil, et ce d’autant plus que leur consommation n’était pas autorisée lors du tout proche carême. Il ne fallait pas les perdre. Et surtout, pour fidéliser le peuple à cet usage, l’Église récompensait la ferveur des pèlerins fatigués venus en procession à Rome par ce mets reconstituant.
Faites sauter la « frisée » !
Les crêpes tirent leur nom du latin « crispus » qui veut dire frisé. tout simplement parce que la cuisson les fait onduler sur la poêle — on retrouve d’ailleurs la même étymologie dans le mot anglais « crispies ». Promesse de richesse et de joie, les crêpes étaient autrefois étroitement liées à la prospérité familiale et de nombreuses traditions confinant à la superstition y restent attachées, comme de jeter la première aux poules pour qu’elle pondent (en Brie), d’en placer une en haut de l’armoire ou du buffet pour avoir bonheur et argent toute l’année (en Anjou), d’en mettre une sur le fumier de la ferme pour être assuré de bonnes récoltes (dans le Périgord). La première crêpe est de toute façon immangeable car elle prend le goût de tous les aliments qui y ont cuit précédemment. (Presque chaque région de France détient une recette plus ou moins rustique, sauf peut-être le Sud qui fait plutôt des beignets bien que ces derniers soient surtout friandises de carême puisque frits à l’huile toute graisse animale étant interdite)… alors qu’on frotte la poêle des crêpes de lard, de saindoux ou de beurre !
Une pièce d’or dans la main, gage de prospérité
Mais la tradition la plus répandue veut qu’on tienne une pièce d’or dans la main gauche pendant qu’on fait sauter les crêpes, ce qui serait un gage de prospérité pour l’année à venir ! Mais qui a encore des pièces d’or sous son matelas pour pérenniser cette coutume ?
Le succès des crêpes tient aussi au fait que c’était l’un des rares desserts que l’on pouvait préparer en autarcie avec les produits de la ferme quand la France était encore rurale. Car on n’y mettait rarement du sucre (acheté à la Foire pour les grandes occasions) mais on les servait avec de la confiture maison ou du miel.
Quelle soit « ni trop clère, ni trop époisse » !
La pâte est un mélange de farine, d’œufs et de lait qui, comme le préconise déjà le « Ménagier de Paris » au XIXe siècle, ne doit être « ni trop clère, ni trop époisse » ! La farine est en principe de froment (blé, type 45 ou 55) pour des crêpes-dessert, et l’on compte 1 œuf pour 100 g (plus il y en a, plus elles se décollent facilement). On y ajoute une pincée de sel mais surtout jamais de levure, ce qui serait hérétique ! Certaines recettes mettent les jaunes au départ et incorporent les blancs battus en neige au moment de la cuisson pour les souffler légèrement. Quant au liant, le lait est le plus traditionnel car il donne des crêpes très moelleuses, mais il peut être coupé pour moitié d’eau ou de bière si l’on désire des crêpes plus légères, voire totalement remplacé par de l’eau pour des crêpes croustillantes. Selon les recettes, on peut encore ajouter plus ou moins de beurre fondu ou une cuillerée d’huile qui va donner de l’onctuosité à l’appareil. Après quoi, selon le goût, on peut la parfumer avec un peu d’eau-de-fleur d’oranger, de rhum ou d’une autre eau-de-vie.
La pâte doit impérativement reposer au moins une heure (à température ambiante sous un torchon) afin que l’amidon gonfle et lui donne du corps, ce qui a également l’avantage de dissoudre les éventuels grumeaux.
La caresse de la fonte ou de l’inox la révélera autrement
Évidemment, en Bretagne on fera cuire les crêpes sur un billig en fonte, en étalant la pâte avec le « rozell » (petit râteau en bois) et en retournant la crêpe avec la « spanell » (spatule en bois). Mais plus généralement, on cuit les crêpes à la poêle et le choix de celle-ci n’est pas anodin, la fonte donnant des crêpes moelleuses et tigrées, l’inox à fond épais des crêpes moelleuses et les revêtements antiadhésifs des crêpes plus uniformément dorées mais un peu plus sèches. Il existe des poêles peu profondes dites crêpières qui n’influencent pas la cuisson mais facilitent le retournement de la crêpe. Et si l’on n’est pas natif de Quimper, la spatule remplace avantageusement le coup de poignet pour les retourner, sauf peut-être à Dax où on ne les fait cuire que sur une seule face et où on les plie aussitôt en quatre. Ailleurs, on les superpose en pile (sur un plat tenu au chaud, sans omettre de les poudrer au fur et à mesure d’un voile de sucre en poudre), on les roule en forme de cigares, on les plie en éventails ou on les sert fourrées puis fermées en pannequets ou en aumônières. Elles peuvent même être flambées.
https://youtu.be/c-d571hLMkU
Préparation de crêpes suzette au Café Pouchkine
Les parfums qui la subliment
Que ce soit à la maison ou à la crêperie, on tartine généralement quelque chose sur sa crêpe au moment de la déguster. Ça peut être juste un peu de sucre ou une bonne confiture (orange, fruits rouges) mais d’une manière générale, les produits-phares du moment — phares bretons, évidemment — sont le caramel au beurre salé, la confiture de lait, la crème de marrons, l’incontournable chocolat, mais aussi le citron et l’orange, notamment quand elles sont flambées façon Suzette. En restauration, on pourra vous proposer des recettes plus sophistiquées, notamment pour les crêpes fourrées.
Où les déguster ?
• Crêperie Josselin, 67 rue du Montparnasse, Paris 14e – Tél : 01 43 20 93 50
• Au Breizh Café qui fait bar à cidre :
– Au Breizh Café de Paris, à la…
• Crêperie Josselin, 67 rue du Montparnasse, Paris 14e – Tél : 01 43 20 93 50
• Au Breizh Café qui fait bar à cidre :
– Au Breizh Café de Paris, à la fois tradi et tendance (farine bio, beurre Bordier) : 109 rue Vielle-du-Temple, Paris 3e
– Au Breizh Café Odéon, 1 rue de l’Odéon, Paris 6e
– Au Breizh Café de Saint-Malo : 6 rue de l’Orme (Ille-et-Vilaine)
– Au Breizh Café de Cancale : 7, quai Thomas (Ille-et-Vilaine)
Bertrand Larcher a aussi 2 crêperies au Japon (Tokyo et Kyoto).
• Au Café Pouchkine : 16 Place de la Madeleine, 75008 Paris
• À l’Avant-Comptoir de la Terre, chez Yves Camdeborde : 3 carrefour de l’Odéon, Paris 6e
• Chez Charlotte Ô crêpes à Ploubazlanec, 5 rue du Général-de-Gaulle (Paimpol, Côtes d’Armor)
• À la Crêperie Les Flots à Perros-Guirec (vue sur le port), 11 bis rue Anatole Le Braz (Côtes d’Armor)
Un cidre pour les accompagner :
Le « sidre » tendre de Éric Bordelet (ancien sommelier d’Alain Passard à l’Arpège), doux, croquant et acidulé : 9,50 € environ (cavistes).
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