Culture

L’Or des Ming, Fastes et beautés de la Chine impériale (Musée Guimet – In Fine)

Auteur : Baptiste Le Guay 
Article publié le 12 octobre 2024

 Si l’or a toujours fasciné les civilisations, la cour impériale des Ming (1368-1644) lui confère une importance symbolique précise notamment dans la parure des femmes de l’élite, tant en termes d’ostentation que d’élévation sociale.  Si peu d’objets nous sont parvenus, le musée Guimet grâce aux prêts du musée des Beaux-arts de Quijiang (Xi’an, Chine) et un catalogue somptueux (In Fine) lève jusqu’au 13 janvier 2025 le mystère de ces pièces délicates aux significations codifiées et ouvrir pour Baptiste Le Guay lintimité des palais  et des demeures privées de l’aristocratie chinoise au zénith de luxe.

Un âge de prospérité et d’ostentation

Portrait de Dame Zhu Fo, Dynastie Ming, vers le milieu du XIVème siècle photo Baptiste Le Guay

Dès la haute antiquité, l’or est considéré en Chine comme un symbole de richesse et de rang social, au même titre que le bronze, le jade et la soie. Sous les Ming (1368-1644), l’orfévrie atteindra son apogée avec un raffinement inégalé. Cette esthétique baroque et foisonnante retranscrites dans les bijoux (boucles d’oreilles, épingles à cheveux, parures et bracelets) témoigne de cette période faste, vu comme l’un des âges d’or au sens propre de la civilisation Chinoise.

Les Chinois s’approvisionnent grâce aux mines d’or exploitées dans le Sud-Ouest du pays. Contrairement à l’argent qui devient la valeur monétaire principale, l’or est uniquement utilisé pour la confection ou l’ornement d’objets de luxe : vaisselle d’apparat et bijoux.

Le portrait de Dame Zhu Fo (1317-1352), sœur aînée de Zhu Yuanzhang, fondateur de la dynastie Ming. Elle apparaît ici vêtue d’une robe de cérémonie rouge à motif de dragons, surmontée d’une écharpe officielle (xiapei) bleue rehaussée de phénix, avec à l’extrémité un pendant d’or en forme de goutte (peizhui).

L’essor de l’or sous la dynastie Ming et les voyages maritimes de Zheng He

La dynastie des Ming, d’ethnie Han, renverse le pouvoir mongol des Yuan en rétablissant les traditions chinoises et le confucianisme. Célèbre pour ses monuments comme la Cité Interdite et la Grande muraille, leur porcelaine en bleu et blanc, leur règne est également marqué par des explorations maritimes. Entre 1405 et 1433, la flotte de l’amiral Zheng He effectue six voyages pour l’empereur, traversant l’Asie du Sud-Est et la péninsule indienne pour atteindre la côte orientale Africaine. Rapportant toutes sortes de richesses : or, épices, pierres précieuses ou animaux exotiques comme des girafes… Le XVIème siècle marque un tournant décisif : la recherche de nouvelles voies commerciales pour atteindre l’Extrême-Orient avec les navigateurs européens va permettre de relier l’Asie à l’Europe et aux Amériques. Autrefois empire simplement agraire, la Chine devient un pays mercantile.

Une nouvelle classe de marchands fortunés émerge, créant ainsi une demande pour les produits de luxe comme le jade, les soieries et l’orfèvrerie d’or qui fut longtemps exclusivement réservé à l’empereur et aux membres de sa famille, 

La vaisselle d’apparat utilisée par l’aristocratie Ming

Les représentants de l’aristocratie utilisent une vaisselle d’apparat en or et en argent faite de plats, d’assiettes, de coupes, de verseuses et de baguettes. C’est au cours des banquets que les hôtes pouvaient montrer ainsi leur richesse et leur statut. Si ce genre de vaisselle luxueuse était exclusivement réservé à l’usage de l’empereur, il fût largement répandu parmi les élites fortunées. A l’image des bijoux, l’utilisation de cette vaisselle tapageuse était souvent utilisée par les riches marchands, transgressant les règles établies par l’aristocratie impériale.

Paniers octogonaux garnis de fleurs, Dynastie Ming, règne de Wanli (1573-1620), daté 1601, filigrane d’or sertie de rubis, photo Baptiste Le Guay


Visage et fleur de pêcher, Dynastie Ming ou début Qing (XVI au XVIIe siècle) Photo Baptiste Le Guay

Un retour aux vêtements et à la culture chinoise

Lorsque les Ming accèdent aux pouvoirs, ils rétablissent les coutumes et les vêtements des dynasties Tang (618-907) et Song (960-1279), qui était passé de mode sous le joug Mongol. Comme les vêtements, les parures et les bijoux d’or sont là pour restaurer le statut social. Les bijoux font l’objet d’une règlementation où est défini ce qu’il est convenable de porter selon sa position dans la hiérarchie, bien que ces prescriptions ne soient pas toujours respectées par les élites fortunées.

A la fin du XVe et particulièrement au XVIe siècle, la production d’objets et de parures se développe largement. Nous y trouvons des épingles ou ornements de coiffure, des boucles d’oreilles, des plaques et passants de ceinture, des bagues, bracelets ou colliers.

Portrait d’un couple, Shao Jin, Dynastie Ming (1368-1644) Photo Baptiste Le Guay

La fascination des pierres précieuses

Certaines de ces pièces sont rehaussées de pierres précieuses : saphirs, rubis et matériau rare. Si le dragon est associé à l’empereur, les motifs d’oiseau, de faisan et de phénix sont associés à l’impératrice et aux femmes du clan impérial. Il était strictement interdit d’être porté par d’autres. Le phénix, oiseau vénéré depuis l’Antiquité, était réputé pour n’apparaître qu’en temps de paix. Il était annonciateur de bon gouvernement et de prospérité.

Cependant, dans un contexte de prospérité économique et de l’affaiblissement du pouvoir impérial, les classes fortunées imitent les modes de la cour en faisant venir des orfèvres chez eux qui travaillent sur commande.

Des parures symboles de pouvoir

Paire de boucles d’oreilles à décor de calebasse, Dynastie Ming, Or, Photo Baptiste Le Guay

L’usage des boucles d’oreilles commence à être adopté par les femmes pendant la dynastie Song (960-1279) et se répand davantage sous les Ming. Contrairement aux peuples provenant du nord ou du sud de la Chine, les Chinois en firent un accessoire exclusivement féminin. Sur l’image du portrait de couple, nous observons que seule l’épouse et la jeune fille à sa gauche en portent. Il s’agit d’un modèle en double-gourde ou calebasse.
La calebasse est le fruit d’une cucurbitacée dont la peau, dure une fois déshydratée, sert à la fabrication de contenants et d’ustensiles. Rempli d’élixir d’immortalité, elle était considérée comme un symbole de longévité.

Loin d’être gratuits, les motifs des parures obéissent à une étiquette strictement codifiée

L’exposition au fil de ce parcours très riche permet au visiteur d’acquérir les codes de lecture grâce à la signification des motifs, porteurs d’une symbolique a la fois officielle et de bon augure et d’entrer dans l’intimité des palais, des jardins et des demeures privées de l’aristocratie chinoise, en ces temps de bouleversements économiques annonciateurs de l’émergence de la Chine moderne.

Epingles à cheveux à décor de dragon, dynastie Ming (1368-1644), filigrane d’or serti de rubis, photo Baptiste Le Guay

L’art chinois en pleine année du dragon

12 appels, 12 statues représentant un animal avec une vertu, Musée Guimet, photo Baptiste Le Guay

Pour les visiteurs curieux, nous leur conseillons de descendre d’un étage pour découvrir les 12 vertus chinoises incarnées par 12 statues de bronze installées en cercle: l’authenticité, la fraternité, l’inclusion, la paix, l’égalité, la bienveillance, le temps, l’exploration, la bravoure, la nature, la sagesse et la liberté. Inspirées des créatures légendaires ancestrales, le Musée Guimet met ainsi à l’honneur l’art chinois en pleine année du dragon, créature légendaire de leur mythologie.

Au dernier étage, la rotonde a été transfigurée en espace obscure, propice à l’introspection, où l’intérieur est entouré par un grillage composé de 5000 briques de thé, parfumant la pièce d’un arôme délicat.

Baptiste Le Guay

Pour aller plus loin

Jusqu’au 13 janvier 2025, musée Guimet, 6 place Iéna, Paris 16, Métro Iéna.

Catalogue : sous la direction d’Hélène Gascuel, et Arnaud Bertrand, coédition bilingue musée Guimet / In Fine éditions d’art. 216 p., 130 illustrations. 35 €. Au temps des Ming (1368-1644), l’orfèvrerie d’or se répand grâce au commerce international parmi les couches supérieures de la société chinoise. L’or est sans nul doute emblématique de la richesse de ces relations. Ce beau-livre revient  à travers les témoignages des peintures et de la littérature sur son usage plus symbolique que pratiques dans la vie quotidienne à la cour de l’empereur et dans le palais des familles influentes. Il revient sur les fonctions et significations des parures codifiées où les artisans laissent libre cours à leur imagination. Voir et être vue : la beauté des femmes Ming est sublimée par des coiffures et des bijoux de plus en plus sophistiqués, reflets du faste et de l’esthétique foisonnante de la cour impériale.

Ces objets, employés lors de riches banquets, permettaient aux hôtes de faire étalage de leur richesse et du prestige attaché à leur statut. L’éclat de ces vases et récipients d’or y était souvent mis en valeur par les tables, consoles, plateaux et autres supports de laque rouge sur lesquels ils étaient disposés.
Hélène Gascuel, et Arnaud Bertrand, commissaires

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