Culture

[And so rock ?] Hommage à November’s Heat by Certain General (L’Invitation au Suicide, 1984)

Auteur : Calisto Dobson
Article publié le 27 juin 2024

[And so rock ?] En février 1985 le journal Libération s’enflamme pour l’album November’s Heat, d’un groupe new-yorkais méconnu édité par le label L’Invitation au Suicide. Dans un style qui n’appartient qu’à lui, que d’aucuns pouvaient juger abscon, Bruno Bayon le démiurge des pages rock du quotidien se lâche et crée un culte autour de Certain General tout autant que de son article fouillé qui fait date. 40 ans plus tard, Calisto Dobson adhère même au qualificatif bluesabilly pour cerner ces 11 litanies de tôles froissées.

Vont-ils prendre les charts d’assaut ?

Une du Libération du 3 février 1985

Il y a 40 ans au mois de novembre pour être exact, le label L’Invitation au Suicide publie en exclusivité française (il ne paraîtra aux USA qu’en 1999 !), November’s Heat le premier véritable effort du groupe d’origine new-yorkaise Certain General.

La une du journal Libération en date du 3 février 1985, titre : « Rock : Certain General, nous voilà »  et y accole le sous-titre télégraphique : « Origine : USA. Genre : bluesabilly. Signe particulier : volontariste. Tremplin : Le Havre. Ambition avouée : faire brûler New York. Question : vont-ils prendre les charts d’assaut ? » .

Un de ces objets phonographiques cultes

L’article du critique rock Bruno Bayon dans le plus pur style démantibulé, poético- concassé qui est le sien affecte November’s Heat d’une charge émotionnelle qui va contribuer en partie à la notoriété et l’aura du groupe et finir par faire de cet album un de ces objets phonographiques cultes dont seule la pop culture a le secret.

En tête de micro le mortifère Parker Delaney dont la voix aux relents typiquement new-yorkais est prise entre les extorsions guitaristiques remarquées du chiropracteur électrique de service  Phil Gammage et la sécheresse alanguie du couple basse batterie respectivement tenues par le dénommé Joe Lupo (dans la foulée aux claviers), et par la  future artiste peintre Marcy Saddy.

En 43 minutes et 4 secondes November’s Heat étale un spleen à la rage rentrée qui n’atteindra qu’une gloire restreinte.  Celle d’une poignée d’âmes envoûtées par cette chaleur glacée et brûlante de novembre.

Les perdants magnifiques

Au XXème siècle, avant l’avènement de l’exception culturelle à la française, la France se voulait le pays où l’on adulait de ce qu’il était convenu de nommer « les perdants magnifiques ». Perdants, les complices de Certain General, le furent assurément quant à magnifiques, chacun jugera à sa façon.

Les ambitions du groupe n’étaient certainement pas de parvenir à se hisser sur la scène d’un stade, ni même d’atteindre un sommet de quoi que ce soit.

Si ce n’est peut-être celui d’une défaite pas même avortée, à trop vouloir endiguer et piétiner leur époque au sein d’une abréaction à l’uranium appauvri.

Queue de comète de ce qu’il fût convenu d’appeler le post punk

Certains y entendirent des réminiscences du groupe Television. Sans exclure les fortes réminiscences vocales de Tom Verlaine dans les intonations de diva des caniveaux de Parker Delaney, la comparaison n’est pas si paresseuse que ça, elle serait à mon sens plus juste si on y ajoutait que le téléviseur  est en noir et blanc et l’image dotée d’une petite pointe d’un gothique urbain délabré. New-York au milieu des années 80 symbolise l’archétype de la ville monde en faillite en phase de gentrification sauvage. Il semblerait que Certain General ait capté ce moment charnière en tirant ses racines de l’esprit du Velvet Underground. Adepte d’une poésie urbaine, les textes cryptiques de Parker Delaney, peuplés de  troubles existentiels, sombrent et chavirent au cœur d’un mal être adulescent bientôt mis en lumière par l’usage de l’héroïne.

Une fois pointé le bout de la seringue, nous sommes plus à même de saisir l’importance relative et pourtant désespérée d’un naufrage qui n’en fût pas un. La une de Libé illustrant parfaitement ce qui pourrait être, n’est pas et devient au bout de son histoire une énième tentative héroïque au sein d’un combat perdu d’avance, celui du désenclavement d’une certaine idée du rock.

De Maximum G à The Shang

Il est bon de constater que ces 11 litanies de tôles froissées, cette envie d’en découdre frustrée résonnent encore à nos oreilles avec toute la force d’une défaite victorieuse. À l’image d’un porte étendard narrant l’errance d’un pauvre hère, les bras croisés autour du torse, luttant contre le froid, en quête d’une rédemption, entre amour gâché et illusions perdues.
Alors oui pour la formule bluesabilly pas même rouillée et Bruno Bayon prophète en son pays.

Calisto Dobson

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