Culture
La Venise éblouissante du XVIIIe revit au Grand Palais
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 28 décembre 2018 à 17 h 17 min – Mis à jour le 2 janvier 2019 à 12 h 16 min
Pour capter l’« Éblouissante Venise » du XVIIIe, il fallait un brin de folie théâtrale et du panache visuel. L’exposition au Grand Palais jusqu’au 21 janvier 2019 mise en scène par Macha Makeieff ne manque ni de l’un ni de l’autre et s’appui sur un catalogue Editions Rmn-Grand Palais très documenté. Mais elle court pour Olivier Olgan après un rêve qui depuis longtemps s’est évanoui.
Un rêve de toiles peintes et de feux d’artifices
Il faut saluer l’ambition d’un projet, cohérent, qui cherche à fusionner la rigueur scientifique – rythmée par des œuvres méconnues – et la mise en scène théâtrale de Macha Makaïeff (directrice du Théâtre national La Criée à Marseille) pour tenter de capter les fastes d’une Cité au fait de son apogée créatrice. Par les peintures, avec en têtes d’affiche Canaletto, Guardi et Tiepolo, la musique (Vivaldi, Farinelli célèbre castrat immortalisé par Bartolomeo Nazari), les arts décoratifs et le théâtre, l’exposition nous plonge dans les derniers feux somptueux d’une Cité-monde qui pendant six siècles a conquis les mers et imposé sa loi ou sa neutralité. Sans guerre ni ambition, la paix autorise tous les plaisirs pour une communauté riche, imaginative et voluptueuse.
Un pouvoir rigide qui assure la paix et l’équilibre social
Dès la première salle, le visiteur est confronté aux pouvoirs terrestres des doges, de l’inquisition et de leurs espions qui régentent la ville d’une main de fer, veillant qu’aucune famille n’en domine une autre par crainte d’un coup d’état. Ce statu-quo politique laisse la bride aux plaisirs et à l’épanouissement de tous les arts qui attirent de fait toute l’Europe. Pour l’illustrer, une antichambre consacrée à la musique rappelle que ce qui compte désormais c’est le plaisir des sens. Les masques font d’ailleurs vite leur apparition dans un autre cabinet au milieu du luxe insolent d’un palais vénitien recrée. A partir de cet instant, sous couvert d’anonymat tout est possible dans ce carnaval à ciel ouvert qui durait six mois durant !
Le siècle de l’inconscience
Si les vedutti, – ces ‘cartes postales de Venise’ peintes à tour de bras par Canaletto, Marieschi Guardi s’imposent sur tous les murs, les révélations viennent de la modernité d’un Giambattista Piazzetta, d’un Giulia Lama ou des Corradini et Brustolon que la mise en scène valorise à juste titre. Maîtres des espaces qu’ils soient verticaux ou horizontaux, les Tiepolo père et fils sont eux aussi très visibles et contribuent à cette atmosphère à la fois colorée, libérée et mélancolique. Macha Makaïeff ne ménage pas ses effets à travers les alcôves, portes et grilles qui laissent voir sans se faire voir. Le clou vient de cette envolée de robes (signée d’Isabelle de Borchgrave) dans l’escalier géant, entre les deux étages du parcours.
Entre faste, fantasme, et farce, Venise éblouit l’Europe comme si de rien n’était
Au second étage, les lanternes magiques du collectif Stereoptik projettent des détails poétiques de la lagune. Des arcades aux perspectives prononcées rappellent la symétrie théâtrale des architectures vénitiennes. Si le rayonnement européen vers la France, l’Allemagne et l’Espagne est bien visible, illustré par les nombreux trésors de la portraitiste Rosalba Carriera, des décorateurs comme Pellegrini, Marco ou de Sebastiano Ricci (qui a profondément influencé le peintre Antoine Watteau), déjà le mythe de Venise pointe pour se dissoudre à travers les scènes de carnaval et de fêtes de Giandomenico Tiepolo (fils de) et Pietro Longhi. L’estrade vide, sauf le mercredi soir où des comédiens font revivre la commedia del arte, s’éclaire des géniales scènes de Longhi et d’une foule surprenantes de Polichinelles et Saltimbanques désarticulés. Autant de métaphores d’une République moribonde qui à force de vivre de ses rentes s’est effilochée dans l’oisiveté, le lucre pour ne représenter plus rien sur le plan politique et militaire tout en ‘gérant joyeusement sa lente agonie’ (Pierre Barbier dans le catalogue). C’est le manque d’alliés capables de résister à l’assaut du général Napoléon Bonaparte qui finalement scellera en 1797 le sort de Venise. La Sérénissime ne s’en remettra pas. Le mythe de Venise est créé. Ses feux sont à Paris jusqu’ au 21 janvier 2019.
Tout savoir sur Venise à Paris
Informations et réservations : Grand Palais
Ouverture : du jeudi au lundi de 10h à 20h ; mercredi de 10h à 22h ; fermeture hebdomadaire le mardi
A lire: le catalogue de l’exposition qui fournit à travers de nombreuses éclairantes contributions le contexte historique de la Venise du XVIIIe siècle et son influence sur l’art européen. Editions Rmn-Grand Palais. 45€
L’exposition sera présentée à la Fondazione Musei Civici di Venezia (23 février – 9 juin 2019).
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