Culture
Agrume rapproche l’être humain dans sa fragilité et le vivant dans son panache
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 4 octobre – revue le 28 décembre 2022
Après Add Fuel et Pichi Avo, Singulars poursuit ses rencontres avec les artistes de l’Urban Week choisis par Quai 36. Alban Rotival dit Agrume travaille à partir de délicats collages assumant leur fragilité « au bord de la société ». L’ artiste peintre et artiste urbain développe un univers poétique où la nature teintée d’une mélancolie bienveillante est omniprésente. Ses images répondent à des sentiments plus lumineux, une discussion entre des émotions ambivalentes, qui se complètent et s’opposent pour les partager avec le plus grand nombre.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours?
Artiste peintre et artiste urbain, je suis Alban Rotival dit Agrume, né dans la Drôme provençale en 1993. J’ai habité une dizaine d’années à Lyon et c’est là où j’ai découvert l’art urbain.
Comment avez-vous commencé vos collages sur les murs ?
J’apprenais à dessiner sur feuille en même temps et à la suite d’une rencontre je me suis mis au collage. A la base je faisais de l’illustration donc ça m’a permis d’évoluer dans mon travail en m’adaptant à des échelles différentes, à des choses qui existent et avoir des spectateurs lambdas. C’est-à-dire un passant qui va regarder notre travail alors que d’autres vont passer sans rien voir du tout.
C’est intéressant car en tant qu’artiste, volontairement ou pas, on se met « au bord de la société ». Je trouve que travailler en extérieur nous fait prendre part à quelque chose de plus global. Contrairement au travail de l’atelier où on sort peu, on s’isole pour être concentré afin de pouvoir créer.
Je synthétise ce tissu de vie pour tenter de le croiser avec l’humain,
et propose un nouveau récit imaginé et engagé qui s’attache à une rencontre apaisée
Agrume. Artistikzéro, 22 06 22
Est-ce que la clandestinité apporte quelque chose dans ton travail ?
Non bien au contraire ! Je me représente moi-même dans mes peintures donc ce n’est pas possible techniquement. Je signe mes œuvres, je fais des collages en journée et je me prends en photo pour peindre mon visage donc non pas très clandestin (rires).
L’art urbain est pour moi une technique et une manière de faire évoluer mon travail autrement.
Agrume
Je pense que dans cette idée de clandestinité, il y a peut-être l’idée de disgression où je me montre mais je me dissimule très souvent dans l’environnement dans lequel je m’inscris. Je créé des scènes avec du vivant, des personnages, mais sans présence exacerbée. Je les fonds par leur posture, par leur geste, leur regard, leur expression ou parfois par la couleur. J’essaye d’en faire un ensemble harmonieux.
Les oiseaux ont l’air très présents dans votre travail, comme des hirondelles sortant d’une cage, ou portant le maillot de l’Olympique Lyonnais ?
Oui, le maillot de foot c’était un projet avec le Groupama Stadium (stade de l’Olympique Lyonnais). Je m’intéresse beaucoup au vivant, que ce soit le végétal ou l’animal. Les oiseaux sont un élément très beau graphiquement. Symboliquement, c’est un animal que l’homme a toujours envié pour sa capacité à voler. C’est un animal très fugace qu’on voit passer, on l’entend souvent avant de le voir car il passe très vite. C’est une créature insaisissable et super fragile, très légère.
Les oiseaux sont -ils pour vous un symbole de liberté ?
Oui je pense qu’il y a ce symbole de la liberté. J’ai réalisé un collage sur le parvis de la Défense d’un personnage qui est déguisé en oiseau. C’est un personnage assez récurrent dans mon travail, je reprends le mythe d’Icare. Je trouve ça intéressant car c’est un personnage qui cherche une liberté à tout prix, de voler pour s’émanciper de pleins de choses, et qui finit par chuter dans cette course effrénée.
D’où vient vos inspirations, comment le monde extérieur influence votre travail ?
Depuis quelques années c’est principalement le vivant qui m’inspire. Il y a beaucoup d’observations, d’apprentissage en lisant beaucoup. Je vois comment tout ça s’imbrique et créé un écosystème, ce sont les inter relations qui m’intéresse où telle chose a besoin d’une autre pour vivre, et comme l’homme interagit avec son environnement.
La peinture avec la cage aux hirondelles que j’ai fait il y a trois quatre ans et depuis j’ai beaucoup évolué. J’étais dans un symbole de liberté assez brute où la cage ouverte fait que les oiseaux s’évadent. La peinture que je suis en train de créer maintenant, c’est un parapluie/arbre figuier où les oiseaux vont se poser dessus pour manger les figues, et les deux personnages vont aussi manger une figue, je passe dans le partage d’une ressource, un fruit en l’occurrence.
Le collage témoigne d’une forme de discrétion car au-delà de la pose,
il s’agit d’un objet que l’on vient poser au mur, le laissant alors face à sa fragilité, à la merci des intempéries et des passants.
Agrume. Artistikzéro, 22 06 22
La mélancolie fait partie de votre travail ou de vos influences ?
Cela en fait partie oui. Je trouve que dans ce sentiment de mélancolie, il n’y a pas que du négatif, il y a de très belles choses qui peuvent naître. Dans mon travail, je ne veux pas puiser seulement dans la mélancolie, j’essaye de mélanger des sentiments contraires et complémentaires.
Les scènes de mes œuvres sont souvent flottantes, avec des personnages pensifs, ce qui m’intéresse c’est d’aller chercher des scènes qui soient tristes, parfois joyeuses mais toujours contrebalancé avec un autre sentiment. Je le retranscris dans le traitement avec des zones d’ombre, des zones de lumière.
Quel est votre processus créatif ?
Je pars toujours d’une photo car j’ai une idée assez précise de ce que je veux faire. Je commence par un croquis sur papier puis je passe à la photo, je me mets très souvent en scène moi-même où à l’aide de modèle. Je recrée ces scènes en photo pour peindre sur support ensuite. J’avais mon cadrillage sur la photo et ensuite je me mets à peindre.
Je veux que la mélancolie réponde à des sentiments plus lumineux,
c’est une discussion entre des émotions ambivalentes, qui se complètent et s’opposent
Agrume
Propos recueillis par Baptiste Le Guay à l’occasion de l’Urban Week 2022
Pour suivre Agrume
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