Culture
Le duo PichiAvo mixe la mythologie avec les temps que nous vivons.
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 3 octobre 2022
Après Add Fuel, Singulars poursuit ses rencontres avec les artistes de l’Urban Week choisis par Quai 36. Pichi Avo, deux artistes espagnols originaires de Valence mixent graffiti et mythologie gréco-romaine. Leur « mythologie urbaine » balaye les frontières entre arts classique et urbain. Le duo confie leur processus créatif, leurs influences et leur chemin parcouru depuis leur création en 2007.
Votre travail s’intitule « Mythologie urbaine », quels sont les rapports entre le street art et celui de l’art classique ?
Pichi : Si pour beaucoup ces deux disciplines artistiques ne vont a priori pas ensemble, nous pensons qu’elles font toutes les deux parties de l’art et qu’elles peuvent se compléter. Le Street art, comme son nom l’indique, s’exprime dans la rue et les statues classique de la mythologie furent installées dans l’espace public également. C’est notre propre héritage artistique.
Avo : Ce que nous faisons avec notre style artistique est d’enseigner au public que ce nous sommes comme personnes : nous venons de Valence et notre culture a une grande influence gréco-romaine, de type classique. Puis il y a aussi l’époque dans laquelle nous vivons, celle du graffiti et du Hip-Hop. Notre style est né de ces influences que nous avons depuis développées et peaufinées, exprimant ces découvertes que nous faisons à travers la mythologie.
Vous travaillez ensemble depuis 2007, c’est bien ça ?
Avo : Nous nous connaissons depuis 2005 mais nous avons commencé à peindre une pièce ensemble en 2007.
Quel est votre processus créatif, est-ce qu’il est toujours le même ou évolue-t-il ?
Avo : Notre processus créatif n’est pas très différent de n’importe quel processus, comme ceux de l’architecture ou du design… Il n’est pas différent aussi d’un artiste seul sauf que nous partageons l’espace et qu’il y a plus d’esprits qui participent à ce processus artistique. Le résultat est intéressant parce que c’est une idée qui va être développée par plusieurs esprits et va avoir plus de force.
Pichi : Quant au résultat final, il y a plus d’esprits impliqués dans le même travail, avec plusieurs points de vue ce qui rend l’œuvre bien plus riche.
Photo : Le binôme Pichiavo devant leur œuvre en cours de production, Urban week à la Défense, photo Baptiste Le Guay
Quelles sont les raisons de votre intérêt pour la mythologie ?
Pichi : Ces sculptures sont très intéressantes culturellement, et nous pensons leur donner une nouvelle approche avec les temps que nous vivons. Elles nous paraissent attrayantes parce qu’elles racontent des mythes de l’antiquité, mais nous leur donnons une autre interprétation, parce que nous sommes dans une autre époque.
Nous pensons apporter une nouvelle approche de la mythologie avec les temps que nous vivons.
Avo : Il est intéressant de ne pas oublier le passé, d’une certaine manière, nous rappelons ces histoires, ces événements et ces façons de pensées d’autrefois. Celles-ci peuvent t’aider dans le présent, ils n’ont pas subi les échecs que nous avons eus comme êtres humains. Nous les utilisons comme une excuse esthétique mais ils nous aident à gagner en maturité aussi bien en tant que personne qu’artistiquement. La mythologie nous aide à grandir comme personne aussi bien au niveau culturel que pictural.
Avo : Nous nous intéressons à travailler la partie historique parce que le matériau des sculptures est du marbre ou du bronze, et dans beaucoup de cas elles étaient peintes en polychromes. La sculpture avait de la couleur ! Avec notre peinture on leur donne un patine actuelle. C’est notre vision propre du poly chromatisme qu’ils faisaient auparavant. A l’origine, les sculptures blanche ou marron étaient peintes, nous valorisons le matériau alors qu’ils l’utilisaient comme une toile.
Ce que nous créons,
ce sont deux mondes qui s’unissent à travers la transparence.
PichiAvo
Pichi : Dans les couches de peinture, et les couches du temps, ainsi qu’une sculpture, on se demande combien de couches il y a, combien de temps s’est écoulé, et on peut voir le temps à travers celles-ci.
Comment Valence a-t-elle une influence sur votre travail, quelles sont vos inspirations ?
Pichi : Pour ce qui concerne la scène graffiti, c’était ce qui venait du reste de l’Europe. Pour la peinture, nous avons l’inspiration des classiques jusqu’à l’art contemporain. Côté Street art, nous connaissions ce qui se faisait en France, c’était très connu chez nous en Espagne.
Avo : Valence est une ville avec un grand héritage artistique, c’est une ville avec beaucoup de couleurs. De nombreux peintres ont travaillé avec la lumière de cette ville. Inconsciemment, cette peinture nous a influencés. Les événements comme les « Fayas » sont faits de grandes sculptures en bois qui sont brûlées ensuite. Elles sont pleines de couleurs, et de leur création à leur mort, elles vivent de leurs couleurs. C’est la joie de la ville qui vit à travers ces monuments. C’est toutes ces choses de notre ville qui nous influence : beaucoup de soleil à l’année, la lumière, la plage et la nourriture.
Pichi : Tous les sens extérieurs vont nous inspirer dans notre quotidien et c’est ce que nous utilisons pour créer. L’avantage de Valence pour le graffiti est que tu peux peindre toute l’année car les conditions climatiques favorisent cet art en plein air.
Vous parliez du Hip-Hop, quelle est l’empreinte de cette discipline artistique sur vous?
Avo : Evidemment, les plus grandes villes du pays comme Madrid ou Barcelone, et le sud de l’Espagne ont beaucoup d’importance dans la culture Hip-Hop locale. Mais Valence aussi, avec l’âge que nous avons, il nous touche de très près.
Il y a eu une polémique autour d’un projet au Centre del Carme de Valence en 2019*, pouvez expliquer quel était le motif de ce malentendu avec le musée ?
Avo : Le Centre del Carme souhaitait que nous peignions dans le cloître du centre. Dans notre projet, nous pensions que l’architecture du lieu émanait d’une essence classique. L’unique manière d’apporter quelque chose au niveau artistique était le graffiti, et c’était l’opportunité de faire un hommage au graffiti le plus pure. En 2019, nous faisions las « Fayas » avec sa sculpture principale, une exposition à l’intérieur de centre del Carme plus l’intervention dans le cloître. Notre proposition était de dire que le graffiti a sa propre beauté. La question : quelle beauté ?
Pichi : Je crois que les polémiques sur notre intervention allaient au-delà de l’artistique, c’étaient des polémiques politiques. Il y avait les élections municipales l’année suivante et les politiciens en ont profité pour en faire un jeu politique.
Avo : Ils ont utilisé l’esthétique du graffiti pour dire que c’était moche, pour dénigrer le lieu et notre travail. Ils ont dit que nous ne respections pas le lieu, ce qui est faux, tout ça pour un jeu politique. Pour nous c’est l’un de nos meilleurs projets car il parlait de ce qui était beau ou pas.
La beauté est un concept intéressant dans l’art,
mais qu’est ce qui est beau ou ne l’est pas ?
Pichi Avo
Les graffitis du cloître sont sans couleur, blancs, pourquoi avez-vous fait du graffiti plus old school ?
Avo : Nous sommes revenus au graffiti old school, le graffiti illégal, celui des rames de trains. Sans ce graffiti, rien de ce que nous peignons existeraient aujourd’hui. Nous avons invité des graffeurs de Valence pour qu’ils peignent ces tags avec nous. Ils ont même été plus acteurs que nous-mêmes, et c’était l’intention que nous avions. C’était un hommage à tous ceux qui font du graff dans Valence. C’était intéressant de parler de beauté, et que quelque chose de beau peut être moche et vice versa.
Pichi : La polémique du Centre de Carmen était une bataille politique et l’histoire du graffiti était une excuse pour avoir un sujet sur lequel débattre. L’art ne cherche pas le beau, l’art est simplement émotionnel. Il te fait sentir, il peut te faire sentir quelque chose de très désagréable, de très laid, mais très puissant et donc très bon.
Propos recueillis et traduits par Baptiste Le Guay, Urban Week 2022
* Un syndicat a porté plainte contre le directeur du Musée en disant que le graffiti du cloître constituait un délit contre le patrimoine ancien (le Musée date de la Renaissance). Ils en ont appelé à l’opinion publique parce qu’ils considéraient le graffiti du cloître « moche » visuellement.
Pour suivre PichiAvo
- le site de PichiAvo
le profil au Centre de Carme - The Galerist
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Jusqu’au 30 décembre, Used to Be, Underdogs, rue Fernando Palha, Armazém 56 1950-132, Lisbonne, Portugal : Les nouvelles fresques murales du duo espagnol matérialisent l’intégrité éphémère de vestiges imaginaires remontés au présent.
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