Culture
Arts et Préhistoire - Picasso et la Préhistoire (Musée de l’Homme - Flammarion)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 10 mai 2023
Et si tous les chefs œuvres de l’art pariétal européen étaient réunis dans un seul lieu afin de balayer quelques stéréotypes et faire progresser la connaissance ? Pour le centenaire de la découverte de la Vénus de Lespugue, le Musée de l’Homme a réussi le pari jusqu’au 23 mai 23 de valoriser 90 objets sculptés, gravés ou peints parmi les plus anciens (- 40 000 à – 35 000 ans) laissés par Homo sapiens. Il les contextualise avec les dernières connaissances disponibles et propose une immersion dans les sites clés du monde entier. Sans oublier une salle fascinante dédiée à Picasso et la Préhistoire jusqu’au 12 juin.
L’art préhistorique n’a jamais été aussi contemporain.
Le projet de la nouvelle directrice du Musée de l’Homme, Aurélie Clemente-Ruiz est assumé ; balayer les stéréotypes sur l’art pariétal, c’est un travail réfléchi, construit, organisé, dépasser les élucubrations autour du mystère des traces inscrites partout sur la planète pour privilégier la science qui permet de mieux appréhender ces difficiles questions, et proposer avec force infographies pédagogiques les quelques pistes consensuelles d’une discipline née des découvertes archéologiques faites à partir du XIXe siècle pour y répondre.
Enfin, les artistes modernes et contemporains fascinés par ces productions s’en nourrissent pour créer de nouvelles œuvres en résonnance avec leur époque.
Ces humains font société, échangent et structurent une pensée symbolique dont les expressions artistiques retrouvées pourraient être les traces. Ils n’ont pas créé au hasard, ils ont soigneusement choisi les supports, parois ou objets, les matériaux, les techniques de fabrication. Ces hommes et ces femmes préhistoriques sont de véritables artistes.
Aurélie Clemente-Ruiz, directrice du Musée de l’Homme
Dépasser la frustration du manque de récit
Si l’étude de l’art pariétale a ses limites, absence de sources, territoires et temporalité immenses, qui ne permet aucune vérité sur les intentions et les motivations des artistes, le mérite de cette exposition par son parcours, la présentation et son infographie à la fois pédagogique et éclairante n’est pas de fournir des interprétations, toujours douteuses, mais d’apporter du contexte, de l’étude des faits, à travers l’analyse de plus en plus fine des objets. Si le mystère n’est pas près d’être levé, la fantaisie n’a guère plus sa place.
Le foisonnement d’images qui constitue l’art paléolithique, avec sa pluralité d’expressions, de formes, de combinaisons graphiques, doit s’interpréter avec prudence »
Éric Robert, commissaire scientifique de l’exposition
Le sens dépend du contexte et peut évoluer au cours du temps.
Les objets rassemblés tous authentiques ont constitué des étapes décisives dans la connaissance de l’art paléolithique. Provenant surtout d’Europe (Espagne, Italie, France, Allemagne, Suisse et Pologne), il sont été choisies pour illustrer la diversité de cette pratique artistique en termes de matières, de formes, de décors mais aussi pour leur intérêt scientifique, mais surtout et ce qui frappe le visiteur leur beauté : des mythiques Vénus de Lespugue ou la Vénus dite « impudique », le mammouth de la Madeleine, la sauterelle d’Enlène, le propulseur dit le « Faon aux oiseaux », le lissoir « au jeune renne marchant »…, ces pièces fascinantes démontrent la diversité des productions artistiques et le savoir-faire très maîtrisé de leurs auteurs, sous-tendant des systèmes de pensée différents d’une région à l’autre.
Le mystère n’est pas vraiment l’émergence mais sa diffusion rapide dans le monde entier. On a également des indices de manifestations graphiques chez Néandertal (disparu il y a environ 35 000 ans), voir chez Erectus (disparu il y a 100 000 ans), mais sans commune mesure avec l’explosion du Paléolithique supérieur. Dès 40 000 ans, le monde entier ou presque a été inondé d’images, figuratives ou non figuratives.
Patrick Paillet, préhistorien, co-commissaire
Au terme de ses vitrines qui recèlent à la fois tant de trésors inouïs et de mystères suspendus, le visiteur est invité à pénétrer dans un espace véritablement immersif, happé par divers murs d’images dont la vocation est d’ouvrir son horizon aussi bien temporel que géographique. Les commissaires ont voulu marquer ainsi la présence et la diffusion mondiale de l’art pariétal, de l’Afrique, à l’Asie en passant par l’Amérique du Sud et l’Australie et l’Asie, … où les peintures les plus récentes viennent d’être découvertes à Sulawesi (Indonésie) en 2017.
Plus loin encore, ou plus profondément, le visiteur peut s’exercer à repérer des « styles » attestant des échanges entre les communautés d’artistes.
Des gestes créatifs au-delà de l’Histoire
A l’issu de cette brillante démonstration esthétique, prolongée à la sortie par les hommages rendus à la Vénus de Lespugue par une douzaine d’artistes modernes et contemporains, de Zadkine à Alexandre Sand et Picasso qui en possédait deux répliques, le visiteur n’a plus qu’un désir : en savoir plus par les grandes répliques de grottes, notamment Chauvet et Cosquer (Marseille) et de se plonger dans les grandes fresques bibliographies de cet art (voir le Citadelles Mazenod) qui ne cesse d’ interroger les artistes et chacun de nous sur le sens de l’histoire…
Picasso et la préhistoire
Au-delà des échos formels et matériels, figurés et symboliques, l’idée, vertigineuse, de la Préhistoire impose à Picasso la nécessité d’un marquage du temps.
Cécile Godefroy, historienne de l’art, commissaire de l’exposition Picasso et la préhistoireRien n’atteste que Picasso ait visité les sites préhistoriques révélés à son époque. Mais, la présence dans ses ateliers successifs d’une « vitrine-musée » abritant, parmi œuvres et objets collectés, deux reproductions de la Vénus de Lespugue prouve la fascination qu’exerce les peintures préhistoriques découvertes en Espagne dans la grotte d’Altamira en 1879 (deux ans avant la naissance de Picasso).
L’ art pariétal paléolithique a nourri un choc esthétique et philosophique dans un contexte artistique de profond renouvellement, bientôt marqué par les expérimentations cubistes et surréalistes. Le Manifeste du Surréalisme d’André Breton, paraît en 1924, deux ans après la découverte de la Vénus de Lespugue. C’est l’œuvre elle-même de Picasso, habilement présentée en nuances d’influences, surtout, et particulièrement les créations de l’entre-deux-guerres, qui révèlent quelle singulière source d’inspiration le monde de la Préhistoire fut pour Picasso.
Et nous partageons sa fascination.Il n’y a pas de passé ni d’avenir en art.
Picasso
#Olivier Olgan
Pour aller plus loin
Catalogue, Flammarion, 304 p., 35 €. Patrick Paillet et Éric Robert, commissaires scientifiques rappellent les limites et les avancées de l’étude des plus anciennes productions artistiques humaines. La qualité des notices d’œuvres, et articles de fond ou thématiques met en lumière la puissance de l’art préhistorique et ses échos jusqu’à nos jours.
- L’art de la Préhistoire, direction Carole Fritz, Citadelles-Mazenod 626 p. 205€
- Le geste du regard, Renaud Ego, L’atelier contemporain. 104 p. 20 €
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