Culture

Charlie Parker, la révolution du bebop

Auteur : Ezéchiel Le Guay
Article publié le 7 septembre 2020

[Ceux qui vous feront aimer le jazz VI] Le 29 août 2020 marque les 100 ans de la naissance d’un des musiciens les plus influents du XXe siècle : Charlie Parker, dit aussi « Bird ». En deux décennies (1935-1955), ce maître du saxophone a changé le cours de la musique en imposant la première grande révolution du jazz : le Bebop. Retour sur quelques événements éclairants la vie d’un colosse aux pieds d’argile.

Commençons par un choc, une scène douloureuse qui a marqué Charlie Parker (1920-1955) à vie. En 1936, plein de bonnes volontés et d’illusions, l’adolescent de 16 ans se lance sur la scène avec son saxophone, dirigée par le célèbre pianiste Count Basie. Il se met à improviser et se perd complètement dans son solo. Le batteur, Jo Jones, lui lance alors une cymbale à ses pieds. Humilié, le jeune Parker s’arrête tout de suite et quitte la scène sous les rires moqueurs. Clint Eastwood dans son indispensable biopic Bird, réalisé en 1988, a formidablement capté ce traumatisme crucial.

Un travailleur acharné

Cet incident présente bien le personnage. Il n’a rien d’un génie précoce à la « Mozart », plein de talent qui a appris avec facilité le jazz avec qui il fut parfois comparé à tort. C’est, bien au contraire, un travailleur forcené ; un acharné. Loin de le décourager, cette première scène ratée lui donne une envie féroce de se relever et de mieux revenir sur scène. Pendant une période de 3 à 4 ans, il se met alors à jouer entre 11 et 15 h par jour au saxophone d’après ce qu’il dit dans une interview qu’il accorde à Paul Desmond en 1954. S’il s’adonne autant à son instrument, c’est parce qu’il pense que la musique « devrait être très propre, très précise… aussi propre que possible ». En ne cessant de jouer, il se donne les moyens d’atteindre cette précision grâce à une technique de plus en plus infaillible.

A l’assaut de New York

Trois ans plus tard, Charlie Parker, alors âgé de 19 ans quitte sa ville natale, Kansas City, pour se rendre à New York City. Il devient plongeur dans un petit club pour pouvoir écouter son idole, le pianiste Art Tatum qui y joue tous les soirs. Il joue, lui aussi, dans des jams et fait des progrès immenses. Un soir, pour enrichir son improvisation, il lui donne une nouvelle base : les accords plutôt que la mélodie. Ce changement harmonique changera le cours du jazz « c’est à ce moment précis que je suis né, je pouvais voler ». Il joue de plus en plus dans des formations et commence, dans les années 1940, à se faire un nom dans les clubs new-yorkais tels que le Minton’s Playhouse ou le Monroe’s. Il reprend les standards de l’époque dont Cherokee, un morceau composé en 1938 pour lequel il développe une véritable fascination (version 1942 infra) :

La rencontre décisive avec Gillespie

Dans les années 1940 toujours, il fait la rencontre du trompettiste Dizzie Gillespie (1917-1993). Tous les deux ont une ambition en tête : bousculer les habitudes du jazz. À l’époque, le swing, porté par Duke Ellington ou encore Louis Armstrong, est omniprésent. Il fait danser les américains et leur redonne la joie de vivre au lendemain de la crise et pendant la guerre. Pour bien comprendre, en voici un exemple :

Les deux acolytes travaillent donc à l’élaboration d’un tout nouveau style de jeu, à une révolution musicale. À contre-pied du swing, les deux instrumentistes prônent une musique au tempo plus rapide (qui empêche de danser), aux improvisations plus longues et aux grilles harmoniques plus fournies. D’ailleurs, Charlie Parker, selon ses propres mots, ne voulait pas qu’on le considère comme un amuseur (entertainer) mais comme un artiste. En bref, ils éliminent tous les clichés de l’époque du Swing en créant le Bebop. Les premiers enregistrements datent de 1945, en voici un :

Le bebop est né, Charlie Parker est né.

C’est aussi le début de la gloire pour le saxophoniste dont le jeu devient de plus en plus imité. Lennie Tristano, un pianiste réputé, explique que quelques mois avant la disparition de Bird « s’il voulait invoquer les lois du plagiat, il pourrait poursuivre presque tous ceux qui ont enregistré un disque au cours des dix dernières années. ». Avec une telle aura, il parvient désormais à s’entourer des meilleurs musiciens, dont le tout jeune Miles Davis. Ce dernier affirme d’ailleurs qu’il vomissait avant chaque concert qu’il jouait avec Bird tellement il l’impressionnait. Voici l’enregistrement de A Night in Tunisia :

Un tournant classique

En 1949, Bird parvient enfin à réaliser un rêve qu’il a en tête depuis une dizaine d’années : enregistrer un album avec des cordes Charlie Parker with Strings. Depuis longtemps, il est complètement fasciné par certains compositeurs de musique classique tels que Bartók ou Debussy. Jouer avec des cordes est une manière de s’en rapprocher et de briser la hiérarchie qui existe entre jazz et musique classique. C’est aussi un moyen de rencontrer un public plus large. Ce dernier point lui vaudra d’ailleurs de nombreuses critiques de ceux qui lui reprochent d’être tombé dans la musique commerciale.
Quoiqu’il en soit, il laissera cet album magnifique derrière lui avant de mourir prématurément six ans plus tard, le 15 mars 1955, d’un arrêt cardiaque liée à une consommation excessive des drogues et d’alcool. Son héritage restera et marquera à jamais le jazz. Nous pourrions essayer de trouver tous les termes possibles pour décrire son jeu, il y aura toujours une part de mystère.
Le génie refuse l’autopsie.

Pour aller plus loin avec the Bird

TSF Jazz propose un remarquable abécédaire pour synthétiser son parcours.

Rééditions marquantes : 

au Label Chant du monde

  • Anthologie de 24 morceaux entre 1950 et 1953,
  • Now’s The Time Intégrale studio de 131 titres (10 CD)

A lire :

  • Charlie Parker, Jean-Pierre Jackson, Editions Classica Actes Sud

https://youtu.be/4fOYU428cC8

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