Culture

L’artiste chaman Marc Couturier navigue au-delà du spirituel et du sublime

Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 30 mars 2021

[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] Le « miracle » de sa Croix Glorieuse restée intacte après l’incendie de Notre Dame rappelle que l’œuvre de Marc Couturier navigue entre deux états du monde, le visible et l’invisible dont elle assure les passages. Une de ses Barque-eau, grâce aux Amis du MNAM devrait faire son entrée au Centre Pompidou, véritable métaphore des « redressements » du réel que cet artiste chaman a su opérés et partagés tout le long d’une prodigieuse quête de sublime.

Marc Couturier Croix et gloire hotel de Notre de Dame de Paris carre @ DR

Artiste d’un miracle

« Elle a fait son devoir, qui est de resplendir », commentait Marc Couturier ingénument quand fut maîtrisée l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris en avril 2019. Après ces sinistres heures, quelle ne fut pas la – bonne – surprise générale de voir se dégager des décombres l’imposante Croix d’autel et la Gloire, deux sculptures contemporaines liées l’une à l’autre, intactes et brillantes, tranchant dans la poussière ambiante. Conçues par l’artiste, toutes deux en bois de samba sculpté, dorées à la feuille et ignifugées, elles sont Installées dans la cathédrale depuis 1996. Derrière la Pièta de Nicolas Coustou, sans effet anecdotique, la croix domine l’autel de sa rayonnante sobriété. Elle est légèrement rétrécie vers le haut « pour monter plus vite vers la Gloire » comme l’indique l’artiste.

Marc Couturier Croix et gloire hotel de Notre de Dame de Paris vu de dos @ DR

Per Crucem ad lucem

La Gloire, comme une longe trainée de nuage au soleil couchant sous la forme d’une lame de presque deux mètres de long, suspendue horizontalement et reliée à la voûte par des câbles invisibles, surmonte la croix donnant une impression de mirage. « Ce n’est pas une croix de supplice mais une croix de vie, habitée par un souffle », commente l’artiste. Ce trait d’esprit, cette lueur dorée qui fend l’obscurité et se détache imperceptiblement de l’ombre, au-dessus de la croix, la Gloire emprunte sa forme au poisson, l’Ichthus chrétien : « sa surface fait miroiter la lumière comme des écailles » explique celui qui à force de pénétrer le Mystère, s’étonne à peine qu’un pareil miracle soit arrivé.

Un Magicien de la Terre

« Son travail puise en quelque sorte dans le monde invisible des choses et tente de révéler au regard et au mental de chacun ce qu’au fond tout le monde voit et ressent. C’est un peu comme une offrande où tout ego est absent et où le travail de l’artiste laisse le passage à l’esprit contenu dans toute œuvre » : Le commissaire Jean-Hubert Martin dans son texte de présentation de l’œuvre retenue Hostia justifie toute la légitimité de la présence de Couturier dans l’exposition Les Magiciens de la Terre de 1989. Hostia, œuvre circulaire de 392 cm de diamètre fut réalisée à partir d’un pain azyme, la matière même de ce qui constitue le sacrement de l’Eucharistie constituant une curieuse rosace-mandala au travers de laquelle la lumière cherchait un passage.

Voir ce que l’absolu a de visible

Marc Couturier. Tapis Mobilier National Parc National de Port-Cros et Fondation Carmignac Photo Laurent Lecat

Cet artiste autodidacte né en 1946 assume de nous parler volontiers « d’ailleurs » et prend comme un heureux hasard son homonymie avec le Père Marie-Alain Couturier (1897-1954), l’un des principaux acteurs du renouveau de l’art sacré en France. «’Du chaos surgit le monde de l’esprit’. s’il a bien entendu l’appel de la lettre du Pape Jean-Paul II aux artistes du 23 avril 1999 qui formulait le souhait : que votre art contribue à l’affermissement d’une beauté authentique qui, comme un reflet de l’Esprit de Dieu, transfigure la matière, ouvrant les esprits au sens de l’éternité ! »  Il ne faudrait pas le réduire pour autant à un peintre du sacré, l’amplitude de son oeuvre en transcende cette dimension.

A la question qu’est-ce que l’art, Marc Couturier répond : ≪ longueur (éternité), largeur (charité) hauteur (puissance) et profondeur (sagesse), ces quatre attributs divins sont l’objet d’autant de contemplation » inspiré par un écrit de Bernard de Clairvaux ou une référence à St Bernard essayant de définir le mystère divin. Ses œuvres établissent des correspondances entre des objets d’art et des pratiques artistiques qui étaient jusque-là considérées comme inconciliables. Inconciliable, un mot que récuse Marc Couturier, inventeur de ‘redressements’.

« Il n’y a pas d’attitude à proprement parler mais plutôt un acte de révélation »

Sa croyance en la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’ici – de la toute-puissance du rêve, la poétique de la métamorphose, aux images « acheiropoïètes » (non faites de main d’homme) – puisent autant dans la tradition du « sublime » romantique qu’ aux pistes ouvertes par Le Manifeste Surréaliste (1924).

Marc Couturier, Savon, redressement, Photo Galerie Laurent Godin

Ses ‘redressements’ investissent toutes sortes d’objets aux qualités plastiques rudimentaires (re)trouvés, leurs empruntant les images formées dans leur matérialité même : Savon (pierre de rêve), bonde en caoutchouc de baignoire, douelles de foudre, traces d’usures ou de pluie qui provoquent une configuration dessinée, culs de bouteilles, ‘Pot de fleurs avec de belles humeurs’ dont la terre cuite est parsemée de traces paysagées, tôles de fond d’affiches de cinéma…
Avec tout cet inventaire d’objets trouvés à la Prévert, Marc Couturier sait révéler des anamorphoses, ou des signes mimétiques de l’activité humaine. Il insuffle à ses trouvailles une noblesse inattendue et une identité nouvelle rendant visibles ainsi les traces d’un ordre surnaturel. Chemin faisant, il « redresse » aussi la vision du public en transformant son regard. « L’art se trouve là où, parti du monde commun, l’artiste en a peu à peu écarté ce qui est utilisable, imitable, ce qui intéresse la vie active. L’art semble alors le silence du monde, comme l’image est l’absence de l’objet » éclaire Maurice Blanchot, un des auteurs phare de Marc.

Dans la lignée des artistes du sublime

De la délicatesse d’un Wolfgang Laib (1950-) artiste allemand attiré par les philosophies orientales qui considère l’art comme un véhicule d’idées d’universalité et d’intemporalité déjà présentes dans la nature …. à la fenêtre ouverte sur l’invisible de Mark Rothko (1903-1970) qui invite le spectateur à terminer son œuvre en atteignant une dimension spirituelle…, les références principales de Marc Couturier sont nombreuses…. On peut aussi le rapprocher de Guiseppe Penone (1947-) dont la vie est conditionnée par le rapport avec les autres éléments vivants ou encore Yves Klein (1928-1962) qui voulait voir « ce que l’absolu avait de visible »….
Mais cette liste de cousinages sera toujours imparfaite pour essayer de définir cette œuvre anti-spectaculaire et énigmatique à la charge spirituelle très à part, si proche du Mystère de l’incarnation et les métaphores de l’Esprit.

Marc Couturier Barque-eau, 1988 Collection Scott Stover

Barque eau (2017) entre dans les collections du Centre Pompidou

Nous avions rencontré pour la première fois en 1988 la Barque « repéchée-redressée » de ce chaman dans l’appartement haussmannien du 8ème arrondissement du collectionneur américain Scott Stover. Une large barque plate détachée du sol semblait flotter, dans l’immensité d’un vestibule parqueté où elle effleurait à peine un des murs sobrement peints en blanc. Seule l’œuvre, solitaire, occupait l’espace. Une légère surface d’eau aquarellée de couleur cyan recouvrait la partie supérieure, donnant l’illusion d’un miroir et porteuse de la matière-énergie qui habituellement la fait naviguer. Elévation ou transfert, cette barque incarne le symbole de multiples croyances – des Egyptiens aux Catholiques – du passage de la vie après la mort. La toute première version ‘La Nef’ de 1985 à la Biennale de sculpture de Belfort était présentée au centre d’un cercle blanchâtre : « L’hostie, planète plane, attire à elle la barque comme une lune attire les grandes marées » expliquait-il avant de citer Pascal s’extasiant devant la grandeur de l’univers et de son créateur « c’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part ».

Saluons la belle initiative de sa galerie Laurent Godin, et la générosité de l’association des amis du MNAM qui fait entrer une des versions de sa Barque-eau dans les collections du Centre Pompidou. Juste reconnaissance  aussi pour La Fondation Cartier qui le soutient depuis 35 ans.

Marc Couturier Feuille d’aucuba, 2018 © Yann Bohac Galerie Laurent Godin

L’adhésion du végétal et du sidéral

« Il y a un lien de toute manière entre toutes les œuvres malgré les différentes formes que cela prend. Dans cette migration des signes tout est lié » confie Marc Couturier. C’est bien le cas de la feuille d’Aucuba, arbuste oriental ornemental à feuilles persistantes ovales, vertes et tachées de jaune qu’il a découvert au cimetière Montmartre qui montre pour lui l’adhésion du végétal et du sidéral. Son dessin évoque les nébuleuses du cosmos comme des milliers d’étoiles qui lui font dire qu’il trouve plus d’étoiles dans ces feuilles que dans le ciel. On les retrouve couvrant, à l’aide de films sérigraphiés d’images agrandies et multipliées, un fauteuil de Philippe Starck ou des verrières dont celle de l’atelier de Zadkine produisant un incroyable vitrail de lieux rendus cosmiques et enfin en tapis de la manufacture nationale de la Savonnerie.

Marc Couturier, Dessin du 3e jour 1991-1992, Facade Fondation Cartier, 2017

« Mon travail est un archaïsme des choses à venir »

Ses dessins, souvent en très grand nombres, exécutés uniformément à la mine de plomb ou d’argent sur de petites cartes, des feuilles ou pouvant orner de larges toiles de bâche suspendue en extérieur, sont comme des exercices d’ascèse. Ils expriment la longue mémoire déposée dans ses gestes, des gestes qui imitent l’idée et confèrent une identité à ses propos.

Son écriture-dessin d’un seul jet, de sous-bois ou de mémoires sans modèle, qui copie sa pensée, oscille entre la lumière et le secret, entre l’exotérique et l’ésotérique. Son geste répété n’a d’autre objet que d’atteindre l’état mental dans lequel la répétition installe celui qui l’exécute. Sa pratique laborieuse n’en finit pas d’inscrire l’espace qui lui est confié. Ses dessins, dit-il, « ouvrent des passages à la figure », ce n’est pas tant de représenter la nature que de nous convier à une méditation sur la création. Ses gestes portent en eux « le vœu d’une parole fantôme » écrit joliment le critique du Monde, Michel Guérin, alors que le public peut se trouver complètement environné, dans un espace propice à la méditation.

Le passage vers un monde cosmomorphe

Marc Couturier Il ne reste plus qu’à demander à Dieu,1987 Collection Fondation Cartier

Victime d’un AVC majeur courant mars 2020, nous souhaitons à Marc Couturier et à son inséparable et adorable femme Arlette, qu’il se rétablisse le plus vite possible. Nous attendons avec impatience qu’il nous plonge dans ces Paysages cosmomorphes (voir l’exposition IAC Villeurbanne, 2017) en « redressant » notre regard « dans une conscience de soi, légère comme une ruse de l’âme » sur l’environnement et la place de l’humain et du non-humain dans celui-ci.

Il ne reste plus qu’à demander à Dieu, le titre de l’œuvre qu’il a présenté à la Fondation Cartier en 1987 condense à la fois une quête et une sublime liberté créatrice.
L’invitation au voyage du chaman reste toujours ouverte, grâce à ses dessins dans l’église d’Oissily (Côte d’Or) ou sa Lame à Saint-Denys du Saint-Sacrement (Paris) ou à Sélestat… En attendant l’entrée de sa barque au Centre Pompidou et l’accès à l’autel de Notre Dame de Paris.

Pour suivre Marc Couturier

Sa galerie Laurent Godin

Voir aussi :

  • Oisilly, église, vitraux. Avec une référence à la tradition cistercienne, les cinq vitraux monochromes de la nef, sur les thèmes de l’innocence, la pénitence, l’ordonnancement, la plénitude et a joie, sont réalisés avec des dessins à la grisaille sur un verre opalescent. Les deux vitraux du chœur sont eux conçus à partir d’une diapositive d’une feuille d’aucuba et réalisés avec du verre plaqué bleu sur jaune, gravés à l’acide. Ils évoquent le quatrième jour de la création, celle du soleil, de la lune et des étoiles. « Dans cette église, me trouvant en ce moment géographiquement placé entre le 3ème jour de la nef et le 4ème jour du chœur, je vous parle d’une certaine façon depuis un ‘ailleurs’…  commentait Marc Couturier lors de l’inauguration. Si dans ces vitraux apparaissent des images de nature, il s’agit plutôt de la représentation de la création, la création du créateur et la création de l’artiste… qui tente de transcrire l’infini de la création »
  • Paris, autel de l’église Saint-Denys du Saint-Sacrement, rue de Turenne avec sa face de marbre plaqué blanc-gris concave qui recèle une lame demi-lune recouverte de feuille d’or.
  • Metz, Tremblement de Ciel. La sculpture fulmine à 21 mètres sur la petite butte du parc Jean-Marie-Pelt. Composée d’un alliage de cupro-aluminum, symbole de la flamme de la liberté, elle se dresse au pied des Arènes de Metz non loin de l’antenne du Centre Pompidou.
  • Vassivière, dans le parc de sculptures: NADIR (1990), verre, verre sérigraphié, cadres en aluminium, ciment, 200 x 750 cm. L’œuvre évoque un portique, une sorte de passage fictif et le motif du demi-cercle blanc renvoie à l’hostie créée pour les Magiciens de la Vie, avec un concept d’offrande.
  • Sélestat, parvis de l’église Saint-Georges, La Lame.

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