Culture
Le Carnet de lecture de Lionel Guibout, peintre et sculpteur
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 25 mars 2022
Inspirée d’un panthéisme habitée de figures mythologiques, la peinture de Lionel Guibout s’inscrit résolument dans son temps et dans une nature qu’il convient de respecter plus que de s’épuiser à la maitriser. La Fondation Taylor présente du 31 mars au 23 avril 2022 Trente ans de réflexion d’un artiste « sauvage » qui revendique de travailler non pas d’après, mais tout contre nature pour une œuvre fusionnant le mimesis occidental, et l’épanouissement du potentiel de situation oriental.
Un imaginaire en fermentation sans fin
Pénétrer dans l’atelier de la région parisienne de Lionel Guibout, c’est intégrer un espace, habité dans tous les sens du terme, par une œuvre en expansion, où tous les médiums se côtoient dans une fermentation créative qui envahit tout, murs et niches. Une nature mythique – recrée nourrie de références mythologiques – y prospère : corps et arbres fusionnent, des forêts se déploient, des empreintes d’écorce se dressent, des champs colorés s’épanouissent… Tout un univers semble vivre, où se lovent des corps épanouis, où se glissent un peu partout des somptueux paysages presque incandescents, …
Sans fin ne vaut pas seulement pour les paysages qui habitent les murs, mais aussi pour ces troncs feuillus qui nous aspirent …
Agir sur le motif tout contre la nature
Quelques soient les techniques utilisées, qu’il n’a cessé de perfectionner, et elles sont nombreuses (huile, lavis, bronze et quelques mixtures dont il a le secret), Lionel Guibout les détourne pour mieux capter la présence d’une nature – non qui le dépasse – au contraire qu’il embrase de façon jubilatoire.
L’engagement sauvage est parfois inégal, mais il en ressort toujours des « empreintes » celles d’arbres dont la sève vit sous nos yeux, des corps arborés ou des paysages infinis, inspirés des aurores boréales d’Islande. « Dessiner, peindre, sculpter sur le motif non pas d’après nature, mais tout contre nature » revendique le peintre dont le travail s’éclaire de cette « mimesis sauvage ».
Capture d’un temps qui fuit
Peintures, sculptures, toutes participent et s’inscrivent dans une dynamique de captures d’un temps que Lionel Guibout réussit à « solidifier ». Il concourt avec la nature, et elle concourt sur la toile. « C’est une œuvre qui récuse l’éternité et s’inscrit résolument dans le temps, dans notre temps. Elle en adopte le rythme, le risque et le battement » écrivait l’ami Michel Tournier, quand les deux artistes collaboraient sur un livre dédié aux funestes événements du Radeau de la Méduse.
L’espace est du temps solidifié. Novalis
Dans ses vastes panneaux, fragments de vie et de tension, de nature et d’urbanité, nous reconnaissons le sauvage, dans le sens utopique de Guillaume Logé, dans son manifeste Renaissance Sauvage (PUF 2019) c’est-à-dire « un activateur de relations esthétiques, biologiques, cosmiques et spirituelles ». Le philosophe nous éclaire : « On parle de la dignitas de l’individu à la Renaissance italienne, voici sa dignitas sauvage. (…) C’est le plein exercice de son animalité qui lui procure l’ouverture et la conscience nécessaire. Il s’approche, dans la relation, d’une connaissance de l’altérité qui lui permet d’en saisir le fonctionnement et le potentiel collaboratif. »
Coller à la nature
L’œuvre de Guibout – loin d’être une résistance aux forces de la nature – s’inscrit au contraire dans la flexibilité des médiums pour saisir les assauts du réel. Elle n’a pas attendu que les arbres soient à la mode, que le feuillage devienne un sujet en soi (cette « écologie des formes » évoquée avec pertinence par Clélia Nau) pour s’y coller au sens propre et figuré. Les corps à toiles, les toiles aux corps feuillages apparaissent cocréées avec les forces de la nature et évoluant avec elle comme ses « Parole d’écorces » (2019) qui font suites à ses « Xylométries » (2009), terme technique de bucheron pour mesurer la volumétrie d’un arbre….
Ne soyez pas tentés de lui faire le procès de l’imitation de la nature, tant le peintre – nourri de cultures et de réel – se situe au point de contacts d’un double héritage : l’élan créatif nourri du mimesis occidental, et l’épanouissement du « potentiel de situation » de l’Orient (lire François Jullien qui rappelle que chaque paysage possède un potentiel « shi ») actif (« dynamisme en renouvellement »).
Intégration créatrice
L’expression identifie bien ce qui nous rapproche d’un côté des paysages de nature de Cézanne, dans sa manière de jouer de la matière picturale au cœur de la pâte dans la série « 30 ans de réflexion » et de l’autre la liberté calligraphique qu’autorise la technique du lavis pour des « Endless Landscape » subtiles variations de noirs et de gris, où l’homme semble évaporé dans un espace sensible.
A ceux qui y voient de l’abstraction, Lionel préfère évoquer la force de la médiation zen, avec un sourire bienveillant.
Le refus de tout enfermement
La nature de celui qui fut l’élève d’Alechinsky refuse autant les étiquettes simples que les jugements hâtifs sur des représentations loin d’être idéalisées.
Le cri du cœur du peintre quand on lui parle de matières : « il faut que je salisse » façon de revendiquer son usage de matières pauvres, sa volonté d’être en concordance avec ses motifs. « Ne pas fixer le définitif, le fixe et le fini. Œuvrer dans l’impermanence, la mouvance et l’inachèvement » Lionel est ce Renaissant sauvage – sismographe de pérégrinations sensorielles à travers le monde – qu’appelle de ses vœux Guillaume Logé.
D’autant que la joie dépasse souvent la superficialité de la sensation pour nous drainer hors de nous, pour une poétique faite existence.
Le Carnet de lecture de Lionel Guibout
Lire et relire Michel Tournier : Chevaucher avec Le Roi des Aulnes sur les épaules du colombophile Abel Tiffauges jusqu’aux confins du nazisme et de sa décrépitude, prendre dans ses bras Vendredi ou la Vie sauvage, aller se perdre à La goutte d’or avec un dromadaire, vivre l’expérience des Météores et de la gémellité, embarquer sur Le Radeau de la Méduse de la Canopée équatoriale jusqu’au mystère de l’Eucharistie : c’est ce que j’ai vécu avec notre très cher et défunt Michel Tournier.
A quand une édition de poche du très bel ouvrage que nous avons réalisé ensemble autour des funestes événements du Radeau de la Méduse ?
Voir et revoir l’œuvre de Sam Szafran (1934-2019) : Il fut mon plus cher ami, mon plus grand maître, il m’a tout appris : la vie, la peinture, l’amour et le désespoir. C’est peut-être grâce à lui que je suis encore en vie, car une seule chose l’obsédait : ça n’était pas le résultat, la notoriété, le profit ou la gloire, mais la recherche incessante à travers les outils du dessin et de la peinture. Valeur qu’il m’a transmise. J’espère que prochainement on rendra hommage à cet immense artiste et qu’enfin un large public découvrira toute l’ampleur de son œuvre. Je suis triste, triste, triste d’avoir perdu un maître et un frère.
Découvrir l’œuvre de Nicolas Alquin : Je suis fier d’être l’ami du grand sculpteur Nicolas Alquin (1958). Cet homme a de la race et maîtrise à la perfection les techniques de son métier, probablement l’un des plus difficiles qui soit à savoir la taille directe sur bois massif. Pour notre plus grand plaisir, il extrait du bois des paysages, des personnages, des évocations célestes, tout cela dans une grande élégance et un énorme pouvoir de conviction. Il faut vivre avec une œuvre de Nicolas Alquin pour se familiariser avec le phénomène. Tentez l’expérience…
Revisiter les mythes grecs, la Titanomachie, la Gigantomachie, du grand autel de Pergame à Berlin
Chers amis, bienvenu à l’autel de Pergame :
« Premier jour. Frise Est. Nietzsche dans la caboche, l’écrasante bâtisse grise qui abrite les hauts-reliefs de Pergame en pleine face. La Naissance de la Tragédie prend forme. En entrant dans la salle du grand autel de Pergame, je m’aperçois que les échafaudages, les IPN, les treuils, ont pénétré l’intérieur du musée. Je comprends alors que la naissance de la tragédie à Berlin, c’est la gangrène de cet immense chantier qui dévore toute la ville. Il va falloir que la vie se batte dur si elle veut survivre à toute cette ferraille… ». La NRF, Janvier 1999, N° 548, Lionel Guibout, Les Trente-six Journées de Pergame, 1ère page du journal
Découvrir l’Islande : A peine débarqué en Islande, dérouler trente mètres de papier sur l’estran, cela commence à vous donner des idées. Sous les embruns, les chiures de mouettes et de goélands, on commence à gratter, au fusain, sur le caillou, ce n’est que le début. Il fait froid, il fait beau, mes doigts sont glacés, il est temps de rentrer. De retour à l’atelier, après avoir ramassé quelques brassées d’algues, mélangées à de l’eau de mer et de l’encre de chine, le combat commence. Il faudra encore quelques semaines pour qu’un paysage prenne forme à la chinoise, c’est-à-dire un rouleau de soixante centimètres par vingt-sept mètres de long. Bienvenue en Islande…
Ne pas oublier les gravures de Rembrandt : Les gravures de Rembrandt sont à l’œil ce que sont les Cantates de Bach à l’oreille. Il suffit d’en regarder une chaque jour, pour commencer une belle journée…
Se perdre dans les Nymphéas de Monet : Il en va de même pour Monet. D’aller dans la salle ovale du musée de l’Orangerie, de se dénuder et de faire la planche au milieu des nénuphars.
Tentez l’expérience, ça vaut le détour…
Pour suivre Lionel Guibout
Agenda
du 31 mars au 23 avril 2022, Trente ans de réflexion, Lionel Guibout, Fondation Taylor, Association des Artistes, 1 rue La Bruyère 75009 Paris
du mardi au samedi de 13h à 19h.
L’exposition réunira une cinquantaine d’œuvres (7 Bronzes + 43 peintures) : « Chaque fragment fait partie d’une large vision d’ensemble, d’un puzzle que l’on pourrait assembler en de nombreuses combinaisons. Car tout est mouvant, vivant. » souligne le galeriste Fred Lanzenberg.
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