Culture
D’Alexandre Dumas Le Vicomte de Bragelonne rejoint Les Trois Mousquetaires et Vingt ans après dans La Pléiade
Le 3ème opus d’Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne, complète après Vingt ans après, le beau coffret de La Pléiade des fameux Trois mousquetaires, dont le second volet des aventures revues par Martin Bourboulon sort en salles le 12 décembre. La trilogie se termine sur la fin des quatre héros selon Jean-Philippe Domecq « bien français, façon bravache et malin, fort en gestes, en cape et intrigues« . Sur fond d’histoire qu’Alexandre Dumas savait camper avec relief et gourmande érudition.
La saga de Dumas…héroïque, pour le coup, et grandiose !
Avec Alexandre Dumas, la vie est superlative. Lire ses romans d’aventures fait sautiller ses jeunes lecteurs de long en large du couloir de l’appartement en se tapant sur les fesses pour mimer cravache sur cheval imaginaire à la poursuite des « rufians » et des « gardes du Cardinal », qui forcément sont vêtus de noir pour contraster avec les flamboyants plumets aux amples chapeaux de feutre des mousquetaires du roi, leurs tout aussi amples rabats de cuir aux bottes, et le baudrier, ah le fameux baudrier de Porthos du temps du premier tome des Trois Mousquetaires quand il plastronnait dans les auberges de sa jeunesse !…
Mais le temps du troisième tome, Le Vicomte de Bragelonne, est celui où nos héros finissent, il faut bien.
Ainsi le gros et puissant Porthos va connaître une mort digne d’un titan, c’est le fameux chapitre CCLVI : une explosion de munitions contre « les ennemis » fait crouler la caverne où Aramis ne peut retenir son ami… lisons plutôt, écoutons même : « Il n’était plus temps, l’explosion retentit, la terre se crevassa, la fumée qui s’élança par les larges fissures obscurcit le ciel, la mer reflua comme chassée par le souffle de feu qui jaillit de la grotte comme de la gueule d’une gigantesque chimère. » Pas moins ; mais rien pour décourager le brave : « Cet effroyable choc parut rendre à Porthos les forces qu’il avait perdues ; il se releva, géant lui-même entre ces géants. Mais au moment où il fuyait entre la double haie de fantômes granitiques, ces derniers commencèrent à rouler avec fracas autour de ce titan qui semblait précipité du ciel. (…) Le géant tomba sans crier à l’aide, il tomba en répondant à Aramis par un mot d’encouragement et d’espoir »… car, c’est bien connu, les héros meurent sans souci d’eux-mêmes.
Après cela, demandez à un gamin qui a lu des choses pareilles quel métier il veut faire plus tard, il vous répondra, le plus sérieusement du monde : « héros »…
Et le style !… En fanfare, sans peur et sans litote, mais non sans comique involontaire
Comme ses héros épée en main, Dumas ne craint rien de sa plume. « Elle surprit de sa compagne un regard parlant, un de ces regards qui donneraient de l’intelligence à un mur. »
Voilà qui dit bien, il faudra s’en souvenir dans la vie.
« Les regards de Marie de Mancini », eux, brilleront « comme une dague qui jaillit du fourreau. »
Dans le genre plus nuancé : « Il lui sembla entendre le mélancolique gémissement de l’eau qui retombe dans le puits ». Effectivement.
Et l’art du portrait… Athos apparaît, « sous ses longs cheveux plus blancs que noirs », forcément, il vieillit comme tout le monde. Deux jeunes filles ? En noir et blanc là encore : « La bruyante, la rieuse, (…) était brune de peau, brune de cheveux, ses yeux s’allumaient sous des sourcils vigoureusement tracés » ; sa compagne donc ne pouvait avoir que « l’œil bleu, limpide et pur comme était le ciel ce jour-là. Ses cheveux, d’un blond cendré, tombaient (…) sur ses blanches épaules d’une forme poétique et suave »… Des épaules de forme « poétique », on se demande, est-ce concevable, et souhaitable ?…
Mousqueton, valet de Porthos, se retrouve-t-il vieilli, oui, mais toujours gras : « J’ai toujours fait tout ce que j’ai pu pour mon corps ; je ne suis pas égoïste. »
Le déchu roi anglais débarque-t-il en auberge sans le sou, « il interrogea le vide de ses poches ».
Le jeune roi Louis XIV fait-il son entrée dans Blois ? Sous l’effet « des acclamations populaires, il laissa tomber un moment sa raison dans ce flot de lumières ».
Mais n’oublions pas le contraste politique, tout un art : « Quant au cardinal, il se contenta d’effleurer de ses lèvres flétries un bouillon servi dans une tasse d’or » (Mazarin est évidemment le parvenu enrichi, très enrichi, aussi blême que pingre). « Le ministre tout-puissant qui avait pris à la reine mère sa régence, au roi sa royauté, n’avait pu prendre à la nature un bon estomac. »
Le roi, lui, « revint se placer philosophiquement sur sa chaise. » Oui.
Car tout cela s’insère dans la grande Histoire du « grand siècle »
De cape et d’épée politique
A vrai dire, Louis XIV et Mazarin sont aussi présents, sinon plus, que les fictifs mousquetaires, dans Le Vicomte de Bragelonne. Lequel Vicomte, d’ailleurs, ne tient pas la distance narrative : il est fadasse comme souvent les bien gentils et, comme eux, se fait piquer sa fiancée, par le roi il est vrai, pas gêné, lui, sur la priorité de cuissage.
Mais Alexandre Dumas était féru d’histoire et tenait à la faire revivre aussi véridiquement que le lui permettaient ses lectures et ses ouvrages historiques, tels que Louis XIV et son siècle.
Après Le Siècle de Louis XIV de Voltaire qui, soit dit en passant, avait fait là œuvre d’historien moderne en contextualisant les faits par des données économiques et sociales. Dumas était aussi gourmand d’érudition que de bonnes recettes de cuisine dont il nous a régalés « livresquement » dans son Grand dictionnaire de cuisine.
Pour boucler sa trilogie héroïque, il choisit parfaitement l’année 1761 qui marqua un tournant dans l’histoire de la monarchie : c’est l’année de La Prise de pouvoir par Louis XIV, autre grand titre, celui du film de Roberto Rossellini, d’une grande intelligence historique.
Après la mort du Cardinal, le jeune roi décide de se passer de premier ministre ; il fait le coup aussi de mettre au pas Fouquet, dont la chute est aussi impressionnante que l’était sa munificence. La Fontaine, qui était de la cour culturelle du raffiné Fouquet, en tirera ses portraits de roi en lion qui règne avec tout l’arbitraire de la loi du plus fort (heureusement que renard est là pour mettre l’huile diplomatique de la ruse dans les rouages de la violence). Mais le goître d’arrogante suffisance que l’on voit aux portraits du monarque absolu n’indispose aucunement le républicain – et même candidat malheureux à la députation – qu’était Alexandre Dumas. Consolation passéiste ? Comme l’écrivait Dominique Fernandez dans son « Dumas baroque » pour l’édition du Vicomte de Bragelonne en collection « Bouquins », éditions Laffont : « Il entreprit de ressusciter, en plein siècle du matérialisme et du lucre, l’idéal chevaleresque de la France d’avant Colbert ».
Dans ses romans plus que dans sa vie, au moment où il se faisait battre trois fois aux élections législatives de la Deuxième République, en faisant revivre cet idéal, qui est en train de s’effacer à jamais, Dumas se révèle l’héritier de Walter Scott, qui, le premier dans l’histoire du roman moderne, a montré la disparition des valeurs héroïques (…), au profit de la bourgeoisie industrielle.
Jean-Yves Tadié, préface de cette nouvelle édition en Pléiade
Le plaisir du feuilleton
Alors, pourquoi ça marche, Dumas, en dépit de ses gros traits et de ses nostalgies don-quichottesques ?
C’est qu’il sait en malin faire jouer le ressort narratif d’un chapitre à l’autre. Cela reste vrai de nos jours comme durant les trois années 1847 à 1850 où paraît ce roman dans le journal Le Siècle, dont on sent, à l’annonce que celui-ci en fait aux lecteurs, que ceux-ci n’attendaient que cela, après Vingt après. Décors plantés, héros campés, scènes annoncées, coups de théâtre culottés, intrigues ficelées : et nous revoilà, à chaque entame de chapitre, assurés d’être pris par la main du romancier épique. L’émotion est toujours noble, entre amants (l’idéal de galanterie), ou entre père et fils (Athos et Raoul le Vicomte ici, très belles scènes), ou entre monarque et hommes d’armes (ce qui, de la part du monarque, est hautement improbable) : on veut y croire, et le simplisme des psychologies et des rapports sociaux nous rappelle l’enfance.
On veut marcher, alors on marche, en fermant les yeux.
Tout en nous faisant songer à nos semblables tels qu’ils vivaient par le passé, et c’est tout de même un des plaisirs de l’Histoire. Michelet, grand historien qui n’eut pas peur de mettre son style au service de la reviviscence, n’écrit-il pas à Dumas :« Vous avez plus appris au peuple que tous les historiens réunis. » ?
Pour en savoir plus
A lire
- Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne, La Pléiade, 2212 p., prix de lancement jusqu’au 31/05/2024 : 69€, prix définitif : 75€. Ce volume et celui qui contient Les Trois Mousquetaires et Vingt ans après (volume n° 159) coffret illustré Pléiade.
- Voltaire, Œuvres historiques, Le Siècle de Louis XIV, La Pléiade (volume n° 158).
- Alexandre Dumas, Grand dictionnaire de cuisine, Phébus, 2007. « J’ai de par le monde, trois ou quatre grands cuisiniers de mes amis, que je ménage pour collaborer dans un grand ouvrage sur la cuisine, lequel ouvrage sera l’oreiller de ma vieillesse. » C’est ainsi qu’Alexandre Dumas présente ce qui sera son dernier ouvrage, véritable » cathédrale gastronomique » sans doute le plus grand livre jamais consacré aux plaisirs de la table avec La Physiologie du goût de Brillat-Savarin. Avec des recettes mythiques de pattes d’éléphants ou de steak d’ours sur les quelques trois mille recettes que compte le dictionnaire, certaines associations étonnent par leur modernité, comme le poulet aux huîtres par exemple. ou les propos de Dumas évoquant les dangers de la surpêche
A voir
- Roberto Rossellini, La Prise de pouvoir par Louis XIV (1966), DVD mk2.
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