Culture
Dialogues de Bêtes, de Colette par Elisabeth Chailloux et Lara Suyeux (Lucernaire)
Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 6 janvier 2024
Au Paradis du Lucernaire jusqu’au 12 janvier 2025, Elisabeth Chailloux et Lara Suyeux ont adapté Dialogues de bêtes, de Colette qui au-delà de croquer « la triste tendresse qui fait battre si vite le cœur des bêtes », illustrent tout ce qui nous en sépare et tout ce qui nous en rapproche. » Mis en scène par Elisabeth Chailloux, Lara Suyeux incarne de façon bluffante pour Patricia de Figueiredo, Tobby-chien et Kiki-la-Doucette, stimulée par les dessins en direct de Cyrille Meyer. Une manière très poétique et drôle de s’immerger dans l’œuvre d’une visionnaire de la cause animale et de « la vérité des relations entre les êtres ».
A travers ce rire d’écolière qui sonne dans la forêt, je vous dis que j’entends sangloter une source. On ne se penche point vers un caniche ou un matou sans qu’une sourde angoisse ne vous feutre le cœur. On ressent, à se comparer à eux, tout ce qui vous en sépare et tout ce qui vous en rapproche. »
Françis Jammes, préface Douze dialogues de bêtes, Folio Gallimard
De Mme Colette Willy à Colette
On n’imagine pas Colette sans un chien ou un chat. « Toute sa famille aimait les bêtes, et les bêtes aimaient notre maison« , confiera-t-elle (« Domino », Autres bêtes, II, 172). A la fois tendre et caustique, Dialogues de bêtes publiés en 1904 ne sont pas seulement la voix d’« une dame qui chante avec la voix d’un pur ruisseau français la triste tendresse qui fait battre si vite le cœur des bêtes » (Françis Jammes), mais aussi du courage d’une auteure qui s’affranchissant de la mainmise de son mari Willy, revendique en signant de son prénom son indépendance.
Dans le dernier tableau Toby-Chien parle, Elle se retrouve seule, sans Lui – avec le chat et le chien. Les bêtes l’accompagnent dans sa découverte d’elle-même. Colette renverse la table et arrache un dernier masque, celui de la femme mariée.
“Je veux faire ce que je veux. Je veux jouer la pantomime, même la comédie. Je veux danser nue si le maillot me gêne et humilie ma plastique… Je veux écrire des livres tristes et chastes, où il n’y aura que des paysages, des fleurs, du chagrin, de la fierté, et la candeur des animaux charmants qui s’effraient de l’homme.”
Toby-Chien, Dialogues de bêtes
Visionnaire à bien des égards
Colette donne la parole à deux bêtes, un chat et un chien, Toby-Chien et Kiki-La-Doucette. Ils parlent de leurs maîtres, les Deux-Pattes, Lui et Elle- Willy et Colette. La succession des tableaux facilite l’accés au « cœur des bêtes », en révéler la beauté, la pudeur, la vulnérabilité, le côté fantasque aussi.
« À travers les masques du chat et du chien, Colette fait entendre sa vérité, la vérité de sa relation au monde et aussi la vérité des relations entre les êtres : entre chien et chat, entre Lui et Elle… »
Elisabeth Chailloux, adaptation et mise en scène, Note d’intention
Croquer l’amour puisque les animaux aiment les Deux-Pattes.
Le perron au soleil. La sieste après déjeuner. Toby-Chien et Kiki-la-Doucette gisent sur la pierre brûlante. Un silence de Dimanche. Colette nous brosse avec finesse et psychologie les caractères des animaux :
« Tu as réussi à m’éveiller. C’est tout ce que tu voulais n’est-ce pas ? Mes rêves sont partis. A peine sentais-je, à la surface de ma fourrure profonde, les petits pieds agaçants de ces mouches que tu poursuis. Un effleurement, une caresse parfois ridait d’un frisson l’herbe inclinée et soyeuse qui me revêt… Mais tu ne sais rien faire discrètement ; ta joie populacière encombre, ta douleur cabotine gémit. Méridional va ! (…) »
Kiki-la-Doucette
Toby-Chien, bonne pâte ne cesse de s’inquiéter pour Kiki et pour sa « Deux-pattes », prêt à tout pour être aimé d’elle, pardonnant tout aussi :
« Elle me saisit par la peau du dos, comme une petite valise carrée, et de froides injures tombèrent sur ma tête innocente : « Mal élevé. Chien hystérique. Saucisson larmoyeur. Crapaud à cœur de veau. Phoque obtus… » Tu sais le reste. Tu as entendu la porte, le tisonnier qu’elle a jeté dans la corbeille à papier, et le seau à charbon qui a roulé béant, et tout… »
Tobby et Kikki et les Deux Pattes
Parfaite de drôlerie et de justesse, Lara Suyeux est bluffante. La comédienne incarne tantôt le bull bringé Tobby-chien, et l’angora tigré Kiki-la-Doucette, accompagnée sur scène par les dessins projetés que Cyrille Meyer créés en direct. Sur un texte si sicelé, les dessins qui vivent au fil du récit apportent une touche poétique supplémentaire et aident le spectateur à visualiser les circonstances et la progression des différents tableaux : la maison, le repas en retard, le voyage en train… Les animaux montrent leur caractère et Colette sa subtile observation. Le ton, l’allure, les mimiques, … tout y est pour les amateurs d’animaux ou…pas!
La limpidité de la langue de Colette en prime.
Bien au-delà de la juste cause animale, le spectateur est pris, ému ou amusé. Les dialogues illustrent et font comprendre conscience de la complexité – non dénué d’ambivalence – de l’animal, de son apparente douceur et de sa cruauté aussi. Colette reconnaît aux animaux une altérité, à se fairesant la voix des sans voix. Premiers jalons d’une écriture animalière où les bêtes sont douées de parole, ses Dialogues renouent avec l’anthropomorphisme des Fables de La Fontaine, où les animaux ont des attitudes trop humaines pour être honnêtes, et …. réciproquement, grâce à la bluffante Lara Suyeux
Un spectacle pour toutes les générations, en espérant qu’il soit prolongé…
Pour aller plus loin avec Colette
jusqu’au 12 janvier 2025, du mardi au samedi 19h, Dimanche 15h30, Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris. Tel : +33 1 42 22 66 87
- Adaptation : Elisabeth Chailloux et Lara Suyeux
- Mise en scène : Elisabeth Chailloux
- Dessiné par Cyrille Meyer, d’après une idée originale de Lara Suyeux
- Lumières : Olivier Oudiou
- Son : Xavier Jacquot
- Costumes : Sophie Schaal
« Colette va pieds nus sur le langage. Ses phrases volent dans l’air de la page comme les fleurs sucrées de l’acacia au déclin du printemps.” Colette va pieds nus sur le langage. Ses phrases volent dans l’air de la page comme les fleurs sucrées de l’acacia au déclin du printemps.”
Christian Bobin écrit, à propos de Colette
texte
Partager