Culture
Duels, l'art du combat (Musée de l'Armée - Infine)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 4 juillet 2024
(Olympiade Culturelle 2024) Après l’éclairante « Victoire, la Fabrique des héros », « Duels l’art du combat » explore jusqu’au 18 août 24 au Musée de l’Armée – Catalogue Infine – le ressort anthropologique d’une violence ritualisée – sans pour autant l’effacer. Ce phénomène universel irrigue sociétés civiles et militaires depuis des millénaires. Ce combat singulier entraine les protagonistes au paroxysme de leur ascension ou déchéance et participe d’une esthétique de l’honneur et du respect de l’autre (voir notre sélection de 20 films). Par armes interposées, longtemps mortelles – de l’épée au pistolet – puis symboliques – de l’échiquier à la raquette de tennis se nourrit l’imaginaire d’un héroïsme exalté. La mise en scène immersive – en reconstituant des « front contre front » mythiques – éclaire pour Olivier Olgan le sens et la portée de ces représentations qui créent des modèles héroïques se prolongeant dans la Cité démocratique, … aux sports.
Une expression de violence ritualisée universelle
Des Trois Mousquetaires au trio Federer-Nadal-Djokovic, de Hector vs Achille à Fisher vs Karpov, de West Side Story aux Battles Hip Hop, les « Duels » ne cessent de se prolonger dans l’histoire, sous toutes les latitudes, et de nourrir notre imaginaire, depuis les épopées homériques jusqu’aux comics. L’exposition de Musée de l’Armée – dans une mise en scène chronologique éclairante – en condense magistralement les enjeux, bien au-delà du « front contre front » cristallisant un antagonisme individuel pour une résolution cérémonielle. Pratiqué, toléré ou condamné, mais toujours valorisé, le « duel » s’impose comme un phénomène anthropologique universel, historique et social. Féroce ou flamboyant, grave ou spectaculaire, le « combat singulier » reste aussi un processus d’affirmation sociale, valorisée entre mythes et fictions dans l’univers du sport, de l’art, du jeu vidéo, sans oublier la vie démocratique.
« La plupart des civilisations ont connu des formes de duel qui dépassent toutes le paradigme du simple affrontement d’homme à homme. Elles suivent des règles qui leur confèrent une dimension cérémonielle.
Cette notion est fondamentale puisque c’est ce décorum qui permet d’éviter une brutalité arbitraire et de circonscrire l’intensité de la fureur déployée. Dans cette acception, le terme de duel peut alors s’appliquer à toute expression de violence ritualisée, destinée à réguler les tensions qui parcourent une société et à fournir un cadre à leur résolution. »
Dominique Prévôt, Le Duel, Des duels ! essai du catalogue
Un modèle héroïque, dans lequel tout un chacun glisse sa valeur
Après l’éclairante « Victoire, la Fabrique des héros », « Duels, l’art du combat » a toute sa place au Musée de l’Armée. Pour une raison essentielle – autant historique que pratique – ses réalités sont intimement liées au monde militaire. « Il est d’abord un habitus de la noblesse; or celle-ci a constitué à la fois l’ossature sociale du royaume et la hiérarchie de son armée. Il est ainsi placé sous le double augure du chevalier et du mousquetaire. Ces deux figures, largement exploitées par les littérateurs, peintres et cinéastes, ont vulgarisé l’importance du combat singulier et de certaines conceptions de l’honneur pour l’affirmation de soi dans les sociétés humaines. »
« Cet honneur est par ailleurs au cœur de la condition militaire. Constituant le mobile des duels, l’honneur revêt une importance particulière pour les officiers et soldats, parce qu’il est le sentiment qui permet au guerrier de braver la peur de la mort. Exacerbé dans les mentalités aristocratiques durant les guerres de Religion, fratricides, il est réactivé durant la Révolution, où la tourmente des événements rend nécessaire une boussole. Il intègre alors le «paquetage» du soldat, comme le brevet d’une citoyenneté exemplaire. »
Général de division Henry de Medlege, Directeur du musée de l’Armée, avant propos du catalogue
Une prohibition paradoxalement très encadrée
Le plus surprenant dans l’évolution de ce règlement de conflits sublimé par les codes sociaux et les imaginaires, puis décriée du fait de sa violence, c’est sa pérennité ! Même lorsque le duel est formellement prohibé dans le reste de la société (depuis le XVIe), il est toléré et même valorisé dans l’Armée. Il s’impose une échappatoire à la vulgarité de la bagarre, «aux jeux de mains», mais son aboutissement n’est souvent qu’un homicide civilisé. « Une pareille prégnance du modèle héroïque suscite une injonction sociale qui empêche de le refuser, sous peine d’être exclu du groupe. Le dernier exemple de ce mode de règlement des conflits privés date en France en 1967 ! Ce n’est qu’avec le remplacement du héros militaire par d’autres modèles civiles, de l’homme politique au sportif, l’épée comme le pistolet devenant des disciplines olympiques. »
L’apanage de la Noblesse, puis du Militaire
« L’intransigeance face à l’insulte et la culture de l’épée ont concouru à y installer un régime d’exception, entretenu notamment par les maîtres d’armes. Ceux-ci, ainsi que les officiers, sont alors les modèles sollicités pour organiser des rencontres opposant deux civils. Au XIXe siècle, les soldats démobilisés ont transposé, dans le monde des «pékins», les mœurs brutales du duel qui régissaient souvent leurs rapports de non-gradés avec leurs camarades.
Tous participent donc à cette fièvre délétère et à sa diffusion dans le monde civil, tandis que cette culture du combat singulier contribue au perfectionnement de l’escrime en tant que discipline sportive.
Nombre de maîtres français furent formés par des militaires et elle devient consubstantielle à l’activité de l’École de Joinville en 1872. Les palmarès des premières olympiades modernes sont d’ailleurs émaillés de noms de militaires, à l’épée, au sabre mais aussi au pistolet. »
Du Duel d’Honneur au duel sportif
Difficile de reprendre tous les aspects et formes de cette pratique ritualisée qui dépassent siècles et frontières, qui interrogent la position ambiguë de l’État et des procédures judiciaires de règlements des conflits.
« Même interdit, le duel, longtemps, a repris son cours tumultueux – relancé par la tolérance, voire la clémence, du pouvoir royal à l’égard de cette pratique d’une aristocratie, par ailleurs domestiquée de multiples façons, qui en fait l’une de ses ultimes et fougueuses fiertés –, traversant l’Ancien Régime, même la Révolution, puis tout le XIXe siècle. »
Tentons de distinguer le code du duel
Le duel antique, puis sportif, le champion se bat pour sa cité, pour sa dame ou sa foi, sa victoire fût-ce au prix de la mort est le signe de sa valeur et de la grandeur de ceux qu’il représente. Le duel «ordalique», ou judiciaire: en gagnant, le combattant prouve la justesse de sa cause, le règlement a force de preuve. Le duel d’honneur est une forme de justice privée pendant près de quinze siècles, quelles que soient les lois, de prouver sa bonne foi, sa supériorité morale. L’enjeu n’appartient qu’à l’homme, non à l’État, avec cette particularité que l’honneur n’est pas également partage nourrit cette fameuse «passion française» jusqu’au XXe siècle.
« Il n’existe que pour la noblesse, dont seuls les hommes sont armés. Sauf de rares exceptions, les femmes ne se battent pas en duel. Les roturiers non plus. (…)
Le duel disparaît au XXe siècle de l’arène politique, sociale et morale. Sorte de réajustement entre l’autorité de l’État et le sens de l’honneur, ou tout simplement la conscience humaine? De nouveaux types d’affrontement se sont substitués aux duels d’antan. Sur fond de violence de quartiers quand ils sont le fait de bandes qui ne sont plus les héritières de celles qui se livrent le duel pathétique de West Side Story, en 1957. Sur fond de médiatisation quand ils sont des compétitions sportives qui ont perdu la simplicité et la grandeur historique, morale et culturelle des Jeux olympiques ressuscités par Pierre de Coubertin en 1896. Dans le courant du XXe siècle, en se déplaçant, l’honneur a changé de costume… »
Jean-Pierre Bois, Le duel et l’état, une question d’honneur, essai du catalogue
Entre affirmation identitaire et outil initiatique
Bien au-delà de représentations simplistes, les facettes historiques du « Duel » qu’explorent et approfondie les experts du magnifique catalogue, « bretteurs matutinaux et loubards nocturnes se rejoignent. Affronter ses contradicteurs peut permettre à certains de conserver leur place dans la société tandis que pour d’autres, il s’agit d’un moyen de la conquérir,… » Allons plus loin, L’enjeu de la rencontre
« Alliée à la pression médiatique, voire au chauvinisme, le duel sportif, né de la réduction en art du duel armé, reprend ainsi de nombreux codes duellistiques : par l’affirmation, dans le respect de règles strictes, d’une supériorité physique, il évoque l’honneur et la noblesse d’une pratique disparue, épreuve digne des ordalies médiévales. »
La fascination contemporaine pour le Duel n’est pas prêt de se tarir, l’exposition et son catalogue permettent d’en comprendre les ressorts.
Pour aller plus loin
Jusqu’au 18 août, Duels l’art du combat, au Musée de l’Armée
Catalogue, Infine editions (336 p. 35€) Réussissant à embrasser le sujet dans sa globalité, chronologiquement et géographiquement, avec des allers-retours stimulants entre l’histoire et la fiction, une vingtaine d’historiens s’essayent de donner le sens et la portée de ces représentations d’une violence encadrée en cernant à cinq questions. Qui? Le duel est-il commun à toutes les couches des sociétés? Où? Quelles formes et quelle importance prend-il autour du globe? Quand? Quelles en sont les grandes bornes chronologiques? Pourquoi? Quelles en sont les motivations profondes? Comment? Quelles sont les modalités qui en font la spécificité? Chacune de ces parties est ponctuée par l’évocation d’un duel emblématique : : Jean de Carrouges affrontant Jacques le Gris, mademoiselle de Maupin battant le fils du duc de Luynes, Sasaki Kojiro à Miyamoto Musashi, Charles de Lameth et le duc de Castries jusqu’à Gaston Deferre défiant en 1967.
Ils sont le refuge imaginaire d’un monde disparu, celui des valeurs traditionnelles de la noblesse, des idéaux chevaleresques du défenseur de la veuve et de l’orphelin, tout en exprimant l’individualisme libertaire des héros populaires.
Jusqu’au 4 septembre, « frontcontrefrontensemble », de Marie-Laure Viebel, Place Saint Germain des Près
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