Gastronomie

En hommage à Paul Bocuse, partageons des quenelles à la lyonnaise !

Auteur : Blandine Vié
Article publié le 1 février 2018 à 18 h 45 min – Mis à jour le 22 mai 2018 à 11 h 51 min

Paul Bocuse nous a quitté samedi 20 janvier à l’âge de 91 ans et c’est une perte immense pour la gastronomie française qui lui doit tant. Depuis les années soixante, « passeur » du patrimoine culinaire français il fut en effet incontestablement le chef de file d’une haute cuisine qu’il a dépoussiérée tout en lui gardant son identité. Surtout, il a su la faire reconnaître dans le monde entier comme une particularité française, lui conférant ainsi une suprématie internationale. RIP Monsieur Paul.

L’ascension

Lui-même issu d’une longue lignée de cuisiniers, Paul Bocuse a obtenu sa troisième étoile en 1965 et c’est à cette époque qu’il a commencé à faire parler de lui non seulement pour son talent de chef exécutif mais aussi pour son aptitude à mettre le terroir lyonnais en valeur — son terroir puisqu’il est né à Collonges-au-Mont d’Or dans la maison même où il a repris plus tard l’auberge familiale et où il est décédé — tout en le débarrassant de l’image « cuisine de ménage » dont souffrait alors la cuisine régionale. Inventif sans jamais renier aucunement ses origines et en ayant la volonté de mettre en exergue les produits artisanaux du cru (toujours choisis de qualité exceptionnelle) et les recettes qui y sont traditionnellement associées, il n’a cessé de faire évoluer ces dernières vers la légèreté et la reconnaissance des différentes saveurs dans l’assiette. Il sut parfaitement conjuguer bases de la cuisine bourgeoise, classicisme épuré et innovation. Intransigeant avec les saisons, il inventa « la cuisine du marché », titre de son livre best-seller, paru en 1976 chez Flammarion et toujours en vente quarante ans plus tard.

cuisine-du-marche

Gault & Millau œuvrant parallèlement avec leur magazine d’un nouveau genre, la nouvelle cuisine était née. Mais là où d’autres se sont fourvoyés dans des approximations délirantes, Monsieur Paul a toujours su raison garder. Comme il le disait lui-même alors que cette querelle des Anciens et des Modernes a sévi des décennies durant : « Classique ou moderne, il n’y a qu’une seule cuisine… la bonne. »

L’homme : travail, bon sens, gentillesse et humour

J’ai eu la chance de connaître Paul Bocuse fin 1976, alors que je venais de publier mon premier livre et qu’il était déjà une star en France, notamment depuis qu’il avait créé la soupe aux truffes VGE en 1975 pour Valéry Giscard d’Estaing. Sans jamais faire partie de ses intimes, j’ai toutefois toujours gardé des rapports d’amitié avec lui car l’une de ses immenses qualités était d’être resté simple et à l’écoute, accessible, d’une gentillesse jamais prise en défaut et d’une grande serviabilité. En 2001, il a d’ailleurs eu la bonté de préfacer mon livre « La morue entre sel et mer ». Surtout, infatigable travailleur, il a su croître et multiplier au point d’avoir huit brasseries à Lyon, deux au Japon, une en Floride, quatre fast-food (à son image) baptisés « Ouest Express », et trois écoles dont l’Institut Paul Bocuse à Écully. D’une intelligence très fine dont la logique et le bon sens étaient les piliers, il avait aussi beaucoup d’humour, beaucoup de malice, ce que son œil canaille laissait assez bien deviner. Et il ne manquait jamais de répartie. Un jour, alors qu’une animatrice présomptueuse l’interrogeait dans une interview pour savoir s’il avait son bac, il répondit avec beaucoup de bienveillance : « J’ai eu mes deux bacs, le bac d’eau froide et le bac d’eau chaude. » Ce qu’il confirma plus tard avec cette réplique : « L’important n’est pas de sortir de Saint-Cyr, mais de sortir de l’ordinaire. » Il ne se départit jamais de cet humour un rien roublard tout au long de sa vie.

Un rayonnement universel

Mais par-delà sa réussite personnelle, ce qui est admirable chez Paul Bocuse, c’est cette volonté de faire la promotion de la cuisine française au-delà des horizons. Portant haut les couleurs de la France avec son col bleu-blanc-rouge de MOF (Meilleur Ouvrier de France), concours honorifique qu’il avait emporté an 1961, et son coq gaulois tatoué sur l’épaule — tatouage que des soldats américains lui avaient fait à l’âge de 18 ans après lui avoir sauvé la vie par une transfusion alors qu’il s’était engagé en 1944 dans l’Armée de Libération du Général de Gaulle et qu’il fut blessé en Alsace (tatouage qu’il arborera fièrement toute sa vie) —, il n’eut de cesse de mettre le patrimoine culinaire français en valeur lors de tous ses voyages et de prôner le savoir-faire de nos chefs — et pas seulement le sien — urbi et orbi. Et même si toute une nouvelle vague de chefs comme Bernard Loiseau (avec qui il fut très ami), Joël Robuchon, Alain Ducasse, Guy Savoy et quelques autres lui emboîtèrent le pas, ce fut lui le porte-drapeau et la figure de proue de la haute cuisine française.

L’Auberge du Pont de Collonge

L’Auberge du Pont de Collonges, et ses façades théâtrales

Les quenelles de brochet à la lyonnaise : trait d’union entre cuisine traditionnelle et moderne

Parmi les plats emblématiques à la carte de l’auberge du Pont de Collonges, il y a bien sûr la soupe VGE mais aussi le foie gras de canard maison Antonin Carême, la salade de homard à la française, les filets de sole, le gratin d’écrevisses Fernand Point, les volailles servies entières pour deux ou pour quatre comme par exemple la volaille de Bresse rôtie à la broche ou la volaille de Bresse en vessie Mère Filloux. Avec comme on le voit des références rendant hommage à ses aînés car l’humilité n’était pas la moindre de ses qualités. Nous avons pour notre part choisi de distinguer la recette des quenelles à la lyonnaise, c’est-à-dire des quenelles de brochet avec une sauce Nantua aux écrevisses car elle est représentative du trait d’union entre la cuisine traditionnelle et la cuisine moderne, cette filiation étant aussi un héritage faisant partie de notre culture, faite de brassages depuis la nuit des temps.

Quenelles-de-brochet

A l’origine un plat de pauvres des pays alémaniques

Comme le dévoile l’étymologie, le mot « quenelle » dérive de l’allemand « knödel » et signifie boulette. À l’origine, c’est en effet un plat de pauvre des pays alémaniques (Autriche et Allemagne du sud) préparé avec de la mie de pain trempée dans du lait et parfumée avec des herbes ou des restes hachés, pâte roulée en boules ensuite pochées dans un bouillon. La recette a traversé les frontières limitrophes et s’est affinée au fil du temps. La mie de pain de nos aïeules a fait place à une panade à la farine cuite et enrichie d’œufs et de beurre (autrefois de graisse de rognons de veau ou de bœuf), un peu comme une pâte à choux, à laquelle, une fois refroidie, on incorpore une « pilée » (de préférence au mortier) de chair de poisson (ou de veau ou de volaille). C’est alors qu’intervient le moulage. Farine oblige, jadis, les pâtissiers étaient les seuls à fabriquer des quenelles.

Quenelle lyonnaise

Louis Légroz lui donne sa forme

Poursuivant son évolution, la recette s’est enrichie jusqu’à ce qu’au début du XXe siècle, un certain Louis Légroz, de la charcuterie « Au Petit Vatel » eut l’idée d’en préparer au brochet de les mouler à l’aide de deux cuillères — ce qui leur donne leur forme caractéristique, pointue aux deux bouts — au lieu de les rouler. Cette recette avait en outre l’avantage de permettre de cuisiner des ingrédients fragiles (poissons des étangs de la Dombes comme le brochet, la moelle, le foie) afin de pouvoir les conserver plus longtemps et de les faire voyager plus facilement que sous leur forme naturelle. Les quenelles « à la lyonnaise » étaient nées et devinrent le monopole des charcutiers-traiteurs. Pour une meilleure tenue, il ne faut pas oublier de les fariner avant de les faire pocher afin qu’elles ne se délitent pas à la cuisson. Quant à la sauce Nantua, c’est une sauce du répertoire classique à base d’écrevisses. On peut les faire gratiner. On dit que les quenelles sont réussies quand leur pâte moelleuse, à la fois ferme et souple, fond dans la bouche sans coller au palais. À ne pas confondre donc avec les « vulgaires » quenelles de semoule, ersatz ayant fait florès depuis quelques années. Car même nappées d’une bisque de homard en boîte, la comparaison ne tient pas la route. Quoi qu’il en soit, puisse celui qui fut un merveilleux « passeur » de traditions culinaires sur terre et que l’on surnommait affectueusement « Le Primat des Gueules » à Lyon, fédérer encore des âmes lors de ses banquets célestes.

Où déguster des quenelles à la lyonnaise (quenelles de brochet sauce Nantua) ?

À Lyon
– À L’auberge du Pont de Collonges***, chez Paul Bocuse, 50 rue de la Plage, Collonges-au-Mont-d’Or : « Quenelle de brochet aux écrevisses sauce Nantua », 68 €.
– Au restaurant

– À L’auberge du Pont de Collonges***, chez Paul Bocuse, 50 rue de la Plage, Collonges-au-Mont-d’Or : « Quenelle de brochet aux écrevisses sauce Nantua », 68 €.
– Au restaurant Les Trois Dômes*, Sofitel Lyon (chef Christian Lherm), 20 quai Dr Gailleton, Lyon 2è : « Quenelle de brochet sauce Nantua aux écrevisses, poêlée de tétragone », 44 €.
– Au restaurant type bouchon lyonnais Daniel & Denise (chef Joseph Viola, MOF), 156 rue de Créqui, Lyon 3è : « Quenelle de brochet à la lyonnaise », 20 €.

À Paris
– À L’Auberge bressane (chef Jean-Marie Vetier), 16 av. de la Motte-Picquet, Paris 7è : « Quenelles de brochet comme à Nantua », 22 €.
– Au restaurant-brasserie Aux Lyonnais (Alain Ducasse), 32 rue Saint-Marc, Paris 2è : « Quenelle à la lyonnaise sauce Nantua », 26 €.
Au restaurant Le Laumière, 4 rue Petit, Paris 19è : « Les fameuses quenelles de brochet artisanales du Louis XIV », 19,90 €.

Un vin pour les accompagner
– Un saint-aubin 1er cru cuvée « Pitangerets » du domaine Au pied du Mont Chauve, 5 chemin du château, 21190 Chassagne-Montrachet : 34 € départ caveau.
– Un crozes-Hermitage blanc « Un matin… » 2016 du domaine Saint-Clair, 14 € chez les cavistes.

À mettre dans sa bibliothèque
La cuisine du marché, 150 recettes au rythme des saisons, 1976, Flammarion, 27,70 €.
Best of Paul Bocuse, 10 recettes emblématiques détaillées en pas à pas (dont la fameuse soupe aux truffes VGE), 2013, Alain Ducasse éditions, 14 €.

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