Culture
Entre histoire et légende : Paris 1944, une semaine en août (Galerie AFP) – Paris, Brule-t-il ? (Musée de la Libération)
Auteur : Patrice Gree
Article publié le 18 septembre 2024
Pour comprendre la Libération de Paris dont on a célébré avec faste le 80e anniversaire, faut-il se risquer à se frotter à une réalité complexe ou retenir la légende ? Tout a été écrit, fantasmé, documenté. Au cœur de l’imaginaire collectif, les images des témoins contribuent à l’établissement de vérités historiques présentées dans la Galerie AFP, Paris 1944, une semaine en août, jusqu’au 2 novembre 2024. Cette source est essentielle pour Patrice Gree pour s’approprier l’Histoire. Fictions littéraires et cinématographiques contribuent elles aussi à forger d’autres récits qui tournent à la légende. L’exposition (et le catalogue) du Musée de la Libération de Paris interrogent jusqu’au 22 septembre le rôle du film de René Clément, Paris brûle-t-il ? Quand le cinéma réinvente la Libération.
Des traces intactes de courage
Chaque jour au Quartier Latin, tu empruntes ses ruelles pavées, ses rues passantes, ses avenues commerçantes, ses boulevards bruyants où le coeur en paix, son quai aux fleurs, pour prendre le chemin des cinémas, des théâtres, des librairies, de ton charcutier ou de ton troquet préféré, celui en bord de Seine qui ouvre sur l’immensité bleu du ciel parisien… Chaque jour tu croises René, Guy, Roger, Armand, François, Bernard, Yves, Albert, au même endroit ! Certains ont un petit bouquet triste de fleurs fanées serré contre leur nom gravé dans le marbre, pour l’éternité ! Tous ont un point commun : Ils sont tous morts le 22 août 44. Résistants de longue date ou de la veille, ils se sont tous pris une balle.
Ils avaient 20 ans ou 30 ou plus…Ils avaient des parents sûrement, des enfants peut-être, une fiancée ou pas et toute la vie devant eux. Au coin d’une rue, dans le viseur, la mort les attendait…
L’AFP (l’ancienne agence Havas, mise sous tutelle allemande en 1940, est reprise par les insurgés le 20 août 1944 et rebaptisée Agence Française de Presse) vient d’ouvrir une galerie à Paris, et propose une exposition photographique sur la libération de Paris. Bonne idée de rappeler toujours et encore le courage, pour certains au prix de leur vie, de ceux parmi des centaines de milliers d’autres qui nous ont permis de vivre libre aujourd’hui !
Pourquoi ne pas voir plus grand ?
Avant de dire du bien de cette expo, on a le droit de regretter que cette prestigieuse agence de presse – l’une des trois mondiales -, 2600 collaborateurs dans le monde, dont 1700 journalistes, n’ai pas choisi, au regard du fabuleux fond photographique que l’on imagine, un espace d’exposition plus grand ! Le regret exprimé…la place est libérée pour le plaisir de la visite.
Parfois dans les expos, je cherche les deux ou trois clichés qui emporteront mon enthousiasme et enclencheront mon désir de le partager… je ne les trouve pas toujours ! Là…si !
Une photo en particulier ! Un petit tirage, un peu perdu au milieu d’un ensemble très riche, dans un contexte héroïque, dramatique, domine l’expo ! On y voit une jeune femme, bras écartés, corps soutenu ou retenu, visage tendu vers un de Gaulle qui se penche sur elle.
Elle se donne…il s’offre !
Le mélange de religiosité et d’érotisme – osons les mots – exprimé par la posture du corps tendu et ouvert, témoigne de l’extraordinaire fascination que de Gaulle exerça ce jour-là sur la population parisienne, et donne à ce cliché une puissance singulière ! De Gaulle, mis à la porte du débarquement en Normandie par les Américains est rentré par la fenêtre à Paris. La France, c’est lui !
Après avoir su incarner la résistance et sauver ainsi l’honneur perdu de ce pays, son génie politique et son sens des symboles nous ont sans doute épargné l’emprise de l’empire américain. Le 25 août à l’Hôtel de Ville, de sa voix d’acteur, modulable, à la fois caverneuse et fluette dont il jouait comme d’un instrument, il trouva les quatre mots justes pour dire la honte, la peur, le chagrin et enfin, la joie libératrice « Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris… libéré ».
Le souffle de ce « Paris libéré », tourna la page de la seconde guerre mondiale pour la population parisienne.
Une autre photo visible à l’expo, célèbre de Gaulle descendant, le 26 août 44, les Champs-Élysée, en direction de Notre-Dame, suivie d’une marée humaine.
Du haut de ses 1,96 m, lui devant, tous derrière…
Ce jour-là, de Gaulle c’est Jeanne d’Arc, Vercingétorix, Louis XIV et Napoléon à lui tout seul – Jean-Claude Killy n’a encore qu’un an – Il sort d’une guerre mondiale pour rentrer par la grande porte dans l’histoire de France. À sa mort Pompidou déclara «Le général de Gaulle est mort, la France est veuve « …ce qui fit pleurer mon père ! C’était la première fois que je voyais pleurer, mon père militaire. Et la dernière.
L’idée forte de l’expo est d’avoir mélangé les photos d’amateurs, prises à la volée, tremblantes, dans l’émotion de l’instant, qui resteront de formidables témoignages historiques, avec celles des photographes professionnels de l’AFP, qui en cadrant minutieusement donnaient à leurs clichés une intensité unique.
Quand la légende remplace la réalité
Après Le Jour le plus long, Paris brûle-t-il, superproduction iconique de René Clément, 20 ans seulement après les événements a connu un tel succès en 1966 qu’il pose la question : où s’arrête l’histoire, où commence l’interprétation ? Avec sa cohorte de stars, ses moyens le grand classique aux deux Oscars, sa résonance se substitue parfois à celle des faits historiques.
«Il faut faire du vrai plus vrai que le vrai et du vrai faux. Quand c’est trop vrai c’est moins bon.
Quand c’est interprété c’est meilleur, c’est ça qui est important, c’est là où est la magie.»
René Clément, réalisateur, 1966
L’exposition et son catalogue invitent les visiteurs à questionner les représentations de cet épisode de l’histoire et à décrypter son rapport aux images des témoins sur le terrain, auquel répond en échos les documents de la Galerie de l’AFP.
Pour aller plus loin sur récit historique et imaginaire collectif
Jusqu’au 22 septembre 2024, Paris brûle-t-il ? Quand le cinéma réinvente la Libération, Musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin
Cataloque avec des textes de Sylvie Lindeperg, avec la collaboration de Kevin Desurmont, Thomas Fontaine, Dimitri Vezyroglou, Olivier Wieviorka et Sylvie Zaidman, Éditions Paris Musées, 112 p., 70 illustrations 25 €. Les images travaillées du cinéaste René Clément posées sur le livre des journalistes Larry Collins et Dominique Lapierre sont à la fois un récit de la Libération de Paris, mais aussi la cristallisation d’un imaginaire collectif.
Derrière le travail du script et des reconstitutions, intentions et coulisses de ce film de légende aux 2 Oscars peuvent désormais se décrypter sur la relecture collective 20 ans après les évènements. L’enjeu appelle à s’interroger sur la substitution qu’il opère entre la réalité et l’imaginaire, comment se construit un film historique : les impératifs politiques et procédés cinématographiques créent un effet de réel et réinventent les événements.
Jusqu’au 2 novembre 2024, Galerie de l’AFP, 9 place de la Bourse, 75002 Paris
- Ouverte du mercredi au samedi de 11h à 18h
- visites guidées les mercredis et les vendredis dès 14h15
Catalogue, avec des essais passionnants, d’Éric Karsenty, correspondant de la section photographie de l’Académie des beaux-arts, et Gilles Mora, historien de la photographie, AFP, 15€ Riche de séquences d’images exceptionnelles, mettant en dialogue images des reporteurs de l’AFP et des parisiens, sans oublier, le fac-similé d’un album réalisé par un Parisien où chaque photo est légendée avec précision.
Comme ces séquences d’images, dont le tremblement révèle le courage et la bravoure des photographes amateurs risquant leur peau pour témoigner de ces moments de l’Histoire.
Éric KarsentyL’archive photographique est un document historique de haute valeur. Autour d’elle se concentrent les questions essentielles posées par la photographie, et en particulier son essence documentaire. (…) pour le spectateur, se confronter à une archive photographique anonyme, constituée autour d’un événement par les témoignages de « photographes sans qualités », pour plagier le beau titre du roman de Robert Musil, constitue un geste d’appropriation de l’Histoire dont il convient de multiplier les occurrences, tant la connaissance du passé constitue la clé de la compréhension du présent.
Gilles Mora.
texte
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