Exposition : Vous êtes un arbre (Franciscaines Deauville)
Catalogue, sous la direction de Thierry Grillet, Éditions des Falaises, 130 p., 100 illustrations, 25 €.
Loin d’imposer une thèse, l’exposition aux Franciscaines de Deauville Vous êtes un arbre tient sa promesse de placer le visiteur au cœur d’une forêt fusionnelle de symboles, inspirés ou idéalisés par une soixantaine d’artistes et de scientifiques, du Moyen Âge à aujourd’hui, de L’arbre des sciences (12e siècle) à La forêt courbe d’Eva Jospin. La stimulante promenade permet d’investir et de réfléchir l’arbre dans l’imaginaire occidental.
Déambuler dans une forêt de symboles
Fait assez rare pour être souligné, l’exposition concoctée par Thierry Grillet, écrivain et essayiste ne cherche pas à être didactique comme Nous les arbres , Fondation Carier de 2019. Elle ouvre au sens propre et assumé, une réflexion de regards. Cette humilité a un triple mérite ; elle gomme les frontières entre sciences et art, associe les regards de scientifiques et celui des peintres. Stimulante elle pose plus de questions qu’elle ne cherche de « réponses » dirigées. Ouverte, plus que démontrer une thèse, elle engage et favorise le visiteur à rebondir physiquement par sa déambulation sur un vieux mystère qui ne cesse de nous fasciner et bien avant nous : « Qu’est-ce qu’un arbre » ?
Rapprocher les regards et les représentations
Pour permettre au visiteur d’y réfléchir, de se frotter aux images, et de s’y plonger, sans à priori, le commissaire propose par un dispositif décloisonné, une promenade libre dans une forêt de signes, de symboles et d’images composée de plus de près de 80 œuvres : peintures, manuscrits, documents botaniques, dessins, gravures, photographies, créations sculpturales ou extraits de films (Hitchcock ou James Cameron)… grâce à un fascinant corpus de prêts (musées, galeries et collections privées). « La réflexion progresse, ici, à travers les nombreuses représentations scientifiques ou artistiques, de l’ « arbre » au « bois », au fil d’un parcours organisé de la forme à la matière, de phénomène arbre à son essence » écrit dans l’indispensable catalogue le commissaire dans un long et passionnant texte liminaire.De la description de l’arbre à son déchiffrement
Au lieu de prendre une histographie chronologique pour nous entraîner dans cette polarité – forme / matière -, tout en évitant l’écueil du « progrès » tant les recherches ne font que reculer le mystère, c’est un parcours poétique en cinq thématiques qui aimantent les œuvres et jouent des correspondances « Car l’histoire de l’art comme l’histoire naturelle pointent vers la révélation de ce qui définit et encode l’arbre. » précise le commissaire. Cette approche étalonne les représentations entre les deux mondes scientifiques et artistiques.
Mythologique L’arbre-cosmos
Il évoque l’arbre quand il est image du tout, intermédiaire entre le ciel et la terre. La science, à travers les « curieux » et les explorateurs, produit un nombre considérable de représentations engendrées par l’esprit préscientifique. Parallèlement les artistes (de Robert Longo à Seraphine de Senlis) s’emparent de la dimension religieuse et légendaire d’un arbre sacré alimente un imaginaire cosmologique où l’arbre met l’homme en contact avec des forces qui le dépassent.
Anthopomorphique : L’arbre-homme
Il revient sur les liens entre l’homme à l’arbre. Sur le plan scientifique, l’homme rêve d’être « la mesure » de l’arbre. Le mécanisme du vivant, tel qu’il est décrit pour l’espèce humaine, inspire certaines théories de botanistes comme celle de la montée de la sève, assimilée à la circulation sanguine. Il y a de l’homme dans l’arbre (Robert James ou Eugène Villa). Inversement les médecins voient « de » l’arbre dans l’homme.
Paysagère L’arbre- paysage
Il n’est plus ni cosmique, ni anthropomorphique. L’arbre est lui-même et émerge comme une entité autonome, protagoniste de l’esthétique du paysage moderne au début du xixe siècle : de Corot à Cézanne. Sur le plan scientifique, après Buffon, c’est le moment où les arbres entrent dans des classifications de plus en plus fines, des descriptions de plus en plus codifiées.
Conceptuelle. L’arbre-signe.
Les regards du botaniste et de l’artiste s’éloignent de la réalité sensible pour produire une image de l’arbre originale. Les peintres y trouvent le moteur d’une abstraction, rompant avec les servitudes de la ressemblance : couleur, chez les nabis (Paul Serusier), ou trait chez Mondrian. L’arbre est le médium privilégié d’une réflexion sur la représentation elle-même – comme chez Matisse. Les premières images microscopiques introduisent d’autres moyens d’identification et de classification de l’arbre (voir Iglika Christova). Toutes, images moins ressemblantes mais plus proches de la vérité de l’arbre (d’Alexandre Hollan à Giuseppe Pennone)
Matérielle L’arbre matière.
C’est la forêt ou c’est juste du « bois » – un matériau qui sert à bâtir ou chauffer. La botanique, en descendant au niveau moléculaire ou génétique, nous off re des images bien éloignées des descriptions naturalistes, fondées sur l’identification traditionnelles – feuille, écorce, fruit. Les artistes ont trouvé dans le bois, dès l’invention de la xylographie, la matrice de leurs images et aujourd’hui ils se sont engagés, pour certains, dans des démarches où le bois-matière entre en composition de leur inspiration : de Xavier Veilhan à Tamara Kostianovsky, sans oublier Carl André…
Chaque arbre est un langage
Difficile de résumer la richesse de sensations qui parcourent, traversent et élèvent le visiteur. La représentation de l’arbre réfléchit sa la condition humaine. De Cézanne à Giuseppe Penone, de Bonnard à Robert Longo chaque arbre est un langage, chacun a son langage, tous reflètent son époque, une aura, une vision de la nature. Le commissaire nous invite selon une longue citation affichée de Proust « à vivre plus lentement, à freiner nos gestes». Mais aussi « A les écouter. A les protéger aujourd’hui pour avoir une chance d’entendre ce qu’ils pourraient nous confier de nos mystères »
Poursuivre ce temps « long »
Il reste à se plonger dans le catalogue, parfaitement complémentaire de l’histoire chronologique de L’arbre dans la peinture, (Citadelles) avec des contributions passionnantes, scientifiques et/ou poétiques ; de Florence Tessier « L’arbre au regard des botanistes », de Laurent Tillon « L’arbre autobiographe », et d’Alain Baraton, auteur du Dictionnaire amoureux des arbres (Plon) « Ce qui nous fait aimer les arbres » à qui nous donnons l’envolée : « Si nous aimons les arbres, c’est aussi, et surtout parce que nous avons besoin d’eux pour être heureux, pour vivre tout simplement ».
Avant de partir en forêts, passez aux Franciscaines, vous en sortirez éblouis !
#Olivier Olgan