Culture
Jef Aérosol Stories (Musée de l’Hospice Comtesse Lille)
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 23 octobre 2023
Après Zloty et Nasty, c’est au tour de Jef Aérosol de revenir sur une carrière prolifique d’artiste urbain et de musicien . Le Musée de l’Hospice Comtesse de Lille consacre une vaste rétrospective jusqu’au 21 janvier 2024 au pionnier de l’art urbain (et lillois d’adoption depuis 1984) dans la continuité du 40e anniversaire de son premier pochoir. Ses peintures siglées d’une flèche rouge, croquant personnalités ou inconnus, de tous milieux sociaux et origines confondues, constituent une imagerie désormais populaire, éphémère sur les murs des villes du monde entier, plus poétique que politique pour Baptiste Le Guay, mais toujours humaniste.
De Jean-François Perroy à Jef Aérosol
Grand adepte de musique Rock et du mouvement Punk, Jean-François Perroy a une révélation lors d’un concert du groupe The Clash à Paris en 1981. Pendant que le groupe se produit, l’artiste New-Yorkais Futura 2000 bombe en direct une toile de fond de scène. Stupéfait, la performance lui donne envie de peindre lui aussi à la bombe. Professeur d’anglais le jour, il devient Jef Aérosol la nuit.
Et on en arrive à cette nuit de 1982, alors que je suis jeune enseignant à Tours. Je découpe au cutter mon premier pochoir dans du carton : un autoportrait issu de ma collection de photomatons. Je sors en ville avec ma bombe et je commence à peindre sur les murs.
Jef Aérosol, interview L’Eléphant, octobre 2023
Une vocation ancrée
Dans son enfance, Jef dessine des « cadavres exquis », de manière surréaliste en commençant par un œil pour improviser par la suite.
Avant de passer au pochoir, Il fait du « copy art » en allant jusqu’à imprimer son visage dans une photocopieuse. Il utilise également les polaroids et les photomatons pour jouer avec et expérimenter l’auto portrait de différentes façons.
Dans le début des années 1980, Jef va devenir un adepte du pochoir. Une technique qui deviendra réellement populaire à partir de la décennie 2000, en partie grâce à un certain Banksy.
Cette technique est vieille comme le monde mais on peut en trouver un peu partout. Un rideau de dentelle peut devenir un pochoir pour un fond de toile par exemple.
Jef Aérosol
Il déménage en 1984 à Lille et s’y sent immédiatement chez lui. Il fait ses premiers pas à la Braderie de l’Art aux bains municipaux de Roubaix, aujourd’hui nommé Musée de la Piscine. Grâce à des prêts de collectionneurs, nous retrouvons les objets qu’il a exposés entre 1991 et 1993.
L’influence majeure de la musique
Le rôle de la musique, rock et punk en particulier, a eu une influence considérable sur la personnalité et l’œuvre de Jef. Deux alcôves y sont consacrées, l’une avec une dizaine de guitares (acoustiques et électriques) provenant de sa collection personnelle et des pochettes de disques l’ayant marqué au cours de sa vie. Une paire de Pistol boots est également présente, chaussures favorites de l’artiste.
Depuis que je suis petit, la musique m’a permis de supporter mon inadéquation avec le monde des adultes. J’étais plutôt timide, rêveur, pas sportif. La poésie, la littérature et surtout la musique m’ont beaucoup aidé, j’ai eu la chance de grandir pendant des décennies musicales (1960-1970) exceptionnelles.
Jef Aérosol.
De la rue à l’atelier
La reconstitution de l’atelier offre un condensé de son univers. Un bureau où il découpe un pochoir, une guitare et une sono pour jouer des disques ainsi que des affiches de ses différentes expositions en arrière-plan.
Selon l’artiste, les graffeurs américains n’ont pas été son leitmotiv principal pour peindre dans la rue, reconnaissant tout de même que le graffiti a joué un rôle dans sa pratique urbaine.
Je m’inscris plus dans une continuité de peintres français comme Rencillac, Fromanger ou Messac, des artistes appartenant à la figuration narrative et au mouvement néo-réaliste. Le collectif Bazzoka m’a influencé également.
Jeff Aérosol.
L’espace public pour exister dans le regard de tous
Lors du passage à l’an 2000, le maire de Lille Pierre Mauroy sollicite Jef pour réaliser un visuel du beffroi de l’Hôtel de ville, fraîchement rénové à l’époque. Il fait l’acquisition de deux de ses toiles tout en les déclinant sous tous les supports possibles : cartes de vœux, affiches dans la ville et estampes numérotées. Accédant à une certaine notoriété, Jef va enchaîner les expositions, les fresques et les voyages. Comme à son habitude, il investit l’espace public, avec ou sans autorisation.
J’étais beaucoup dans la rue. A l’époque nous n’avions pas internet ni de téléphone portable, pour exister et rencontrer du monde, il fallait faire des choses dans la rue.
Jef Aérosol.
Peignant sur tous types de supports : bois de palissade, carton, métal, verre. L’intéressé reconnaît n’avoir jamais eu de gros problèmes avec les forces de l’ordre pour ces peintures en plein air. Il a continué jusqu’en 1995.
J’ai été interpellé plusieurs fois mais les années 1980 étaient incroyables. La Marée chaussée était sympa avec des gens comme moi. Je peignais des personnages, ça intriguait les gens, le graff n’était pas encore arrivé en province à ce moment. L’amalgame entre graffiti et vandalisme est arrivé plus tard avec les lettrages américains.
Jef.
Traverser l’éphémère
La plupart de ces peintures ou collages urbains ne durent jamais longtemps. Ils s’abîment et s’effacent vite, facilement abîmés par les aléas de la météo, pluie et vent compris. Heureusement, la photographie permet de garder une trace des créations à travers les villes du monde entier : Lisbonne, New-York, Buenos Aires, Pékin … dans le livre intitulé avec humour par son auteur, VIP, Very Important Pochoirs (éditions Alternatives, 2007).
Le ronde des pochoirs
Clou du parcours, au sens figuré et propre, la chapelle de l’Hospice abrite Lifesize, 200 personnages grandeur nature, peints en noir et blanc au pochoir sur un carton ondulé. Célèbres ou anonymes, adultes ou enfants, riches ou pauvres, blancs ou noirs, ils nous regardent tous. Une installation angoissante où tous ces personnages paraissent morts, le noir et blanc accentuent cet effet leur donnant l’aspect de fantômes. Dans une chapelle, l’accumulation de ses figures nous donne un peu l’impression d’être arrivé à l’heure du jugement dernier.
De la musique rend toutefois le tout plus vivant et joyeux.
Plus poétique que politique, le message de Jef Aérosol est avant tout humaniste. L’émotion qui passe par les yeux de ses personnages reflète le regard juste et attentif que l’artiste pose sur l’humanité et sur l’époque. L’œuvre de Jef Aérosol est comme une fenêtre ouverte sur le monde tel qu’il est, tragique, poétique, merveilleux et désolé.
Mathilde et Gautier Jourdain, fondateurs de la galerie Mathgoth et curateur de Jef Aérosol Stories
Le parcours des 40 années de carrière de ce précurseur de l’art urbain reflète une personnalité attachante, fou de musique, au look Rock’n Roll indissociable de son chapeau et ses fameuses Pistol Boots. Pour ne rien gâcher, l’exposition se déploie dans l’Hospice, lieu historique remarquable de Lille, faisant un lien entre patrimoine et modernité dans lequel Jef Aérosol se reconnaît.
Pour aller plus loin avec Jef Aérosol
jusqu’au 21 janvier 2024, Musée de l’Hospice Comtesse, 32 rue de la monnaie, Lille.
Fermé le lundi matin et le mardi. Ouvert du mercredi à dimanche de 10h à 18h.
Le site officiel de Jef Aérosol
La chaine youtube de Jef Aérosol, pour découvrir sa facette de musicien
A lire
Jef Aérosol,
- VIP (Very Important Pochoirs), éditions Alternatives, 2007
- La musique adoucit les murs, Opus 83, 2019
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