Culture

Nasty, Faits & Méfaits, Rétrospective 1988-2023 (Fluctuart)

Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 6 octobre 2023

Les reconnaissances de l’art urbain, institutionnelles (voir Capitale(s) à l’Hôtel de Ville), après celles du marché et du grand public consolident une véritable archéologie d’une pratique d’origine marginale. Après Zloty, Nasty fait l’objet d’un belle rétrospective à Fluctuart jusqu’au 28 janvier 2024. Avec force documents, « Faits & Méfaits, 1988-2023″ retrace de façon très bien documenté pour Baptiste Le Guay l’ascension d’un artiste urbain : de la chambre (reconstituée) de l’adolescent passionné par le Hip-Hop, à ses premiers graphs dans la rue et le métro comme espaces d’apprentissage, avant d’intégrer galeries et musées d’art.

Nasty, Underground Kings, Dunkerque, novembre 1996 et Nasty, Slice, Dealyt et Jiwea sur un train corail dans le dépôt de Juvisy, 1992, photo Baptiste Le Guay

Ces photos accrochées sur les murs, ce sont les archives de Nasty né en 1975. Entre murs et trains totalement retapés par le nom du graffeur, ce sont aussi des souvenirs immortalisés avec ses copains et camarades de graff.

Quand j’ai effectué ce travail de recherche avec Gautier Bischoff, j’ai redécouvert des histoires, des époques, des tenues vestimentaires ou des architectures auxquelles je ne portais aucun intérêt .
Nasty.

Nasty avec Yosmé, Skizo et Woody, quartier de la folie à Nanterre, Mars 1995, photo Woody

Équipé de son appareil photo, Nasty documente la scène naissante. Il arpente la ville de ses tunnels du métro, en passant par la Petite Ceinture, jusqu’aux terrains vagues devenus mythiques de Stalingrad, Alésia, Maraîchers, Mabillon ou encore Campo-Formio. Ses tout premiers books photo sont présentés dans l’exposition.
Gautier Bischoff, commissaire de la rétrospective

Une archéologie d’un artiste

Il est rare de trouver des photographies dans une exposition d’art urbain, où seulement les œuvres originales sont mises en avant. Ce mur de photographies sert à se replonger dans une époque tout entière, à l’aide de photos Kodak au grain particulier. C’est aussi se replonger dans l’univers des années 80 à 2000, la période où le mouvement Hip-Hop commence à s’implanter en France, à travers la danse, le graffiti et le rap. Une histoire fidèlement illustrée dans la série d’Arte Le monde de demain.

Carte des différents spots de graffs dans Paris et sa banlieue, photo Baptiste Le Guay

C’est notamment à travers des terrains vagues comme le mythique espace aux abords du métro La Chapelle que se rencontrent graffeurs, danseurs et premiers MC. Ces lieux sont les territoires de bandes qui se partagent des surfaces recouvertes de graffs, où son nom écrit pouvait disparaître dans la foulée.

A la fin d’une peinture, on perçait nos bombes pour éviter que d’autres ne s’en servent pour taguer sur nos fonds. La durée de vie d’un graff se comptait en jours, voire en heures.
Nasty

La bombe ou l’extension de la main du graffeur

Bombes de peinture aérosol en cercle, Galerie Fluctuart, photo Baptiste Le Guay

Les bombes de peinture aérosol sont indispensables à la pratique du graffiti. Afin de couvrir les murs de ses couleurs et de sa signature, chaque graffeur a ses préférences. Que ce soit la marque, la couleur ou le modèle, chacun choisi subjectivement sa bombe favorite.

Certaines marques américaines (Krylon, Rusto-Leum, Red Devil) incarnent par leur couleurs mythiques l’essence même du graffiti. Mais l’Europe a produit de magnifiques modèles et des nuances que l’on n’oubliera jamais. Si je devais en emporter une dans ma tombe, j’opterais pour une Altona et son motif arlequin
Nasty.

Une armée de poscas, feutres prisés des graffeurs, dégoulinant de peinture est présente également.

Poscas recouverts de peinture, photo Baptiste Le Guay


Reconstitution de la chambre de Nasty, Fluctuart, photo Baptiste Le Guay

Un retour nostalgique sur la jeunesse de l’artiste

La reconstitution de la chambre de Nasty lorsqu’il était ado résume un univers très « old school » avec un vieux téléviseur et ses cassettes VHS, une paire d’Air Max 90, un ghettoblaster à l’ancienne, des pochettes de CD (Paid in Full pour les connaisseurs) et des croquis de graffitis sur des feuilles de papier.

Rêveries ou errances d’un adolescent des années 1980 qui s’est accroché à une pratique marginale contre l’avis de ses parents et qui en a fait le fil conducteur de sa vie.
Gautier Bischoff, commissaire de la rétrospective

Panoplie d’un graffeur, objets divers de Nasty, Fluctuart, photo Baptiste Le Guay

Autre preuve de cette archéologie reconstitue, la panoplie complète du graffeur dans toute son efficacité : un blouson sombre imperméable, un ordinateur, des paires de Nike tâchées de peinture, un casque, des gants et une pince, probablement pour couper des files et accéder à des endroits fermés au public, lieu de choix pour un taggueur.

Les vestiges des céramiques RATP

Métro graffé, Nasty, Fluctuart, photo Baptiste Le Guay

Comme de nombreux graffeurs, Nasty s’est frotté au sous-terrain du métro parisien pour exercer son art.

Céramiques brisées, Nasty, Fluctuart, photo Baptiste Le Guay

Wagons de train, panneau indiquant la direction de la ligne ou mur en céramique, Nasty a graffé sur toutes les surfaces possibles et imaginables dans l’espace des transports urbains.

En 2015, l’artiste fait rapatrier des lettrages sur céramiques RATP en provenance de Dubaï. Sauf que lorsqu’il réceptionne la boîte, les carreaux sont brisés et décollés de leur support. Nasty veut alors ne plus en entendre parler pendant un certain temps. Un beau jour, il finit par le retravailler.

Comme des cadavres, j’ai aligné les carreaux les uns à côté des autres, en vrac. Un peu triste, je repensais à l’œuvre originale, malmenée et réduite en miettes. Et j’ai remarqué que l’ensemble formait quelque chose d’intéressant, une sorte de mélange chaotique : des bouts de lettres, des morceaux de couleurs, des fractions de tags… Ce désordre m’interpellait.
Nasty

L’esprit du graffiti

Faits & Méfaits de Nasty (1988-2023), Fluctuart, Photo Baptiste Le Guay

Au final, l’intéressé se rend compte que ce désordre fait ressortir l’esprit du graffiti, où les couleurs et les lettrages s’intègrent à une structure déjà existante, comme un train ou un mur. Un imprévu venant mettre un coup de spontanéité, du free style dans un élément établi. Le lettrage d’un graff donne de l’énergie et des couleurs pour rehausser un panneau terne ou un wagon de train lambda, celui-ci peut être déconstruit à son tour.

Et si ce n’était pas précisément l’esprit du graff, casser les codes et mettre du désordre pour rendre l’espace urbain plus joyeux et flashy, en y ajoutant de la vie et la personnalité de son créateur.

Comme de nombreux courants artistiques, l’archéologie du graff a le vent en poupe, soit en expositions collectives, de Capitale(s) à La morsure des termites (Palais de Tokyo jusqu’au 7 janvier 24), soit en rétrospectives individuelles, de Zloty à Nasty, ne gommant pas leur coté subversif. L’effet de mode saura-t-il perdurer ? Le temps et leur succès public nous le dira.

#Baptiste Le Guay

Pour aller plus loin avec Nasty

jusqu’au 28 janvier 2024, Fluctuart, 2 port du Gros Caillou, Paris 7e, Métro Invalides
Ouvert tous les jours, de midi à 1h du matin.

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