Culture
Le carnet de lecture d’Anne Cangelosi, comédienne, Le Radeau de la Méduse
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 8 décembre 2024
Assumant pirouettes verbales et suspens dramatique pour mieux se faire entendre, Anne Cangelosi incarne avec une gourmandise communicative ses personnages. L’historienne d’art décomplexée, à mi-chemin entre la conférencière passionnée et l’instit déjantée fait son miel de ce spectacle éligible aux Molières qui entraine son public dans les secrets du mythique « Radeau de la Méduse » de Géricault qui se prolonge à la Comédie Bastille jusqu’au 28 juin 25. La comédienne, longtemps éloignée des tréteaux, y est revenue en incarnant une « Mémé » truculente de façon récurrente. Elle a confié à Olivier Olgan ses curiosités et ses passions.
Le théâtre a failli perdre une comédienne truculente !
Anne Cangelosi a été inoculé du virus dès 12 ans grâce à la ferveur d’un prof de français. Elle suit malgré la contrainte familiale du «Passe ton bac d’abord », le cours de Véra Gregh où elle croise Karine Viard, Julie Gayet, ou Léa Drucker. A 25 ans, elle arrête pourtant le théâtre, en choisissant la sécurité, le salaire à la fin du mois… pendant quinze ans.
Le théâtre, comme le vélo, ne s’oublie pas
Malgré les questionnements, encouragé par son mari, elle se décide en parallèle de son métier à retrouver un cours qui lui « enlève la rouille, les toiles d’araignées. À priori, cela ne s’oublie pas, c’est comme le vélo. » confie-t-elle joliment, résiliente sur ce réapprentissage. Des marques se retrouvent rapidement. La manière de travailler est en effet la même que celle qu’ elle avait déjà apprise, cette « manière ouverte, large où tu n’es pas cantonnée dans un rôle de soubrette parce que tu n’as pas un physique de jeune première ».
Les premiers essais sur scène sont difficiles, mais elle s’accroche.
Prendre sa chance
Elle saisit sa chance avec « Mémé Phine ou l’Age d’or » ce rôle de composition d’une octogénaire revêche et truculente qu’elle joue trois mois, s’habituant « aux salles quasiment puis celles quasi vides, les décors à monter à chaque fois sans être sûr de jouer lorsqu’il n’y a personne ».
Fidèle à ses habitudes, elle se donne à fond, quitte mon boulot et s’inscrit à l’école de One man show où elle retrouve sur Alexandre Delimoges, futur auteur de La Radeau de la Méduse. A force de surmonter les modes et les doutes, elle revient à la charge avec Mémé convaincue du potentiel de ce personnage truculent.
Le phénomène Mémé
Personnage increvable au potentiel narratif et de rires presque infinis, « Mémé Phine ou l’Âge d’Or » devient « Mémé Casse-Bonbons ». Couronné de prix, Meilleur Spectacle Festival Avignon 2018 – Prix du public Les Théos du rire 2017 – Prix du Jury et Prix du Public Festival de Cassis 2014 – Prix du Jury et Prix du Public Festival d’Arles 2014 – Coup de Coeur Académie Française Festival Rire avec Elles 2012, le spectacle part sur les routes : plusieurs Festival Avignon, et plusieurs volets, dont ‘Petits arrangements avec la vie’ (2012 à 2019) ‘On est tous le vieux d’un autre‘ (2021-2023).
Tout est possible
L’argument de ses ‘Seule en scène’ permet de décaper les préjugés, sur la bêtise et sur l’ignorance. : Joséphine, octogénaire raciste délicieusement horripilante, gagne un voyage pour ce qu’elle pensait être son destin : voir l’obélisque. Mais son rêve se transforme en cauchemar : elle se retrouve… en Egypte ! Pour la première fois de sa vie, elle se confronte aux autres. Ses préjugés envers les étrangers et les jeunes n’ont d’égal que ceux dont elle est victime elle-même en tant que « vieille ». L’Autre est une source de richesse et un ami ! Tout est encore possible !
Changement de registre mais pas de truculence!
Avec Le Radeau de la Méduse, un nouveau registre s’ouvre à elle, celui de la « passeuse d’art« . Et c’est plutôt énorme! La comédienne décrypte le sens caché de la construction de l’un des tableaux les plus célèbres du monde.
Plus je joue ce spectacle, plus je regarde ce tableau plus je trouve que c’est plus qu’un tableau, c’est un miroir, c’est une mise en abyme de notre société actuelle, un écho.
Anne Cangelosi
La promesse de partage et d’érudition est tenue et sa façon de transmettre est captivante!
Le carnet de lecture d’Anne Cangelosi
C’est là que tout a commencé.
J’ai toujours été fascinée, depuis toute petite par la scène, le public, les lumières, les rires.
Au cours préparatoire je voulais être clown (pour ne pas avoir à apprendre mes tables de multiplications)
J’ai très vite compris que l’autodérision faisait rire. J’avais l’impression d’être aimée.
Plus tard, à 12 ans j’ai rencontré un prof de français qui animait le club Théâtre du collège et qui m’a inoculé le virus, l’air de rien. Et c’est là que tout a commencé.
Zouc
Petite fille, je reçois le 33 tours de Zouc sur lequel il y a le sketch de la petite fille qui parle à une fourmi.
Coup de foudre pour cette artiste hors norme. D’une humanité sans égal. Je joue à l’envie ce sketch et prends conscience que je peux faire rire. J’ai une profonde admiration pour Zouc. J’ai eu la chance de la voir au Bataclan fin des années 80. J’ai vraiment eu une révélation. J’ai été hypnotisée par sa façon d’incarner les personnages, encore une fois cette humanité, cette justesse, cette sincérité.
Depuis je n’ai de cesse de lui arriver à la cheville.
D’une manière générale, je suis passionnée par les acteurs(trices), les comédiens(nnes).
Ce que j’aime par-dessus tout, c’est d’analyser au microscope leur interprétation, le moindre battement cils, la moindre rougeur qui traduit cette sincérité que l’on recherche tous à atteindre le plus possible alors qu’on est censés « jouer » un rôle, une autre personne.
Shakespeare en général
J’ai eu l’occasion de jouer le rôle de la nourrice dans un Roméo et Juliette, d’ailleurs je trouve que la meilleure adaptation est celle de Baz Luhrmann qui a su rendre la modernité extrême de Shakespeare.
En 1984, J’ai eu l’immense chance de voir LE Richard III de Georges Lavaudant avec Ariel Garcia Valdès dans le rôle de Richard au Théâtre de la ville.
J’ai été scotchée, époustouflée par son interprétation de ce prince boiteux, ce personnage hors du commun qui élimine ceux qui le gênent, séduit les veuves de ses victimes, joue avec le pouvoir et s’enferre dans un combat truqué. Il avait la silhouette d’un insecte, sautillant, boitant comme on danse… Magistral !
J’ai eu aussi l’occasion d’être dirigée par un comédien de la Royal Shakespeare Company lors d’une master class dans un stage à Oxford dans le monologue du Portier dans Macbeth. Une expérience inouïe !
On trouve de tout dans Shakespeare, du comique, du tragique, du grotesque mais surtout l’extrême complexité de l’âme humaine. Ses personnages sont très complexes donc passionnant à jouer et à travailler.
Le monologue de Perdican (Acte II Scène 5 +) dans « On ne badine pas avec l’amour » de Musset
« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit :
J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »out
Sans doute le texte le mieux écrit sur l’amour, les relations hommes/femmes.
Tout est dit. Rien à ajouter.
Les chansons françaises à texte.
J’aime beaucoup, beaucoup Serge Reggiani comme chanteur. Surtout pour l’interprétation une fois encore. Quand il chante, il est d’une sincérité troublante. J’aime toutes ses chansons mais celles qui me touchent le plus sont « Le temps qui reste », « Ma fille », « Le petit garçon » parce que j’ai une fille et un fils et que je vieillis 😉
Mais aussi Aznavour pour ses textes. Quel parolier !
Gustav Klimt
La période dorée bien sûr avec « Le baiser » mais aussi « Danaë » pour sa sensualité, son érotisme, ses couleurs, sa rondeur… « Le portrait d’Hélène Klimt » pour la douceur et la pureté qu’il dégage mais aussi pour son extrême modernité et tellement différent du reste de son œuvre.
« La femme à l’éventail » qui est je crois son dernier portrait…
Egon Schiele
J’aime surtout les regards chez Schiele, les modèles nous regardent en face les yeux plantés dans nos yeux. Graves, profonds…
Les préraphaélites
J’aime beaucoup ces femmes qui semblent évanescentes mais avec un mystère intérieur qui semble très fort, profond. Comme « Ophélie » de Millais.
J’aime ces couleurs vives, cette nature luxuriante.
Ce courant de la deuxième moitié du 19ème siècle est un prélude à l’Art Nouveau je trouve.
Le Radeau de la Méduse bien sûr
Ce tableau je l’avais dans la tête bien sûr mais comme tout le monde sans savoir ce qui se cache derrière. Il est dans l’inconscient collectif.
Je dois avouer que lorsque Alexandre Delimoges m’a donné son texte, je n’étais pas vraiment emballée. Il m’a dit : « lis ». J’ai lu. Et le sujet m’a passionnée du coup j’ai fait des recherches pour maitriser un peu plus le sujet pour pouvoir répondre aux questions.
Plus je joue ce spectacle, plus je regarde ce tableau plus je trouve que c’est plus qu’un tableau, c’est un miroir, c’est une mise en abyme de notre société actuelle, un écho.
Le tableau est indissociable du fait divers qui en est l’origine. On parle d’instabilité politique, de racisme, de népotisme… De personnes qui meurent en pleine mer sur un radeau (pas pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui bien sûr mais qui sont abandonnés de tous).
Propos recueillis par Olivier Olgan le 1er décembre 2024
Pour suivre Anne Cangelosi
jusqu’au 28 juin 2025, Le Radeau de la Méduse, Comédie Bastille, 5 rue Nicolas Appert, 75011 Paris – Tél.: +33 1 48 07 52 07
Lundi à 21h, mardi à 19h et samedi à 15h – Pendant les vacances en semaine à 15h aussi
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