Culture
Le carnet de lecture de Boris Blanco, violoniste, Festival de la Chaise Dieu
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 11 août 2022
En prenant la succession en mars 2022 de Julien Caron Directeur général du prestigieux Festival de la Chaise Dieu, Boris Blanco a créé la surprise et l’ambition d’une institution à se projeter un avenir. Si le trentenaire met en œuvre la 56e édition de son prédécesseur du 18 au 28 aout autour de Alessandro Scarlatti et César Franck, le violoniste projette des belles convictions pour réveiller la mythique Abbatiale Saint-Robert. Sans renoncer à son métier de soliste.
Un pari et la foi dans l’avenir
Sa nomination comme Directeur général en mars 2022 fut à la fois perçue comme un pari, et un acte de foi dans l’institution festivalière. En se tournant résolument vers l’avenir, le conseil d’administration du prestigieux Festival de la Chaise Dieu crée en 1966 par le virtuose Georges Cziffra (1921-1994) donnait sa confiance à l’unanimité à un jeune violoniste pas encore trentenaire. Il faut dire que la personnalité et l’ambition affichée de Boris Bianco avaient de quoi séduire la vénérable institution de 57 ans.
La musique chevillée au corps et à l’archet
Diplômé du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), le violoniste a un Master en Autriche à l’Universität für Musik und darstellende Kunst de Graz. Il n’a cessé de se perfectionner et est membre de la promotion 2019 de l’Académie Jaroussky tout en animant le Quatuor Magenta. « J’ai toujours pensé que c’est dans le partage que l’on est heureux », nous confiait Boris Blanco pour évoquer son parcours de chambriste.
A la question du choix entre directeur et musicien, la réponse fuse : « Le festival a engagé le violoniste que je veux continuer à être parce que la musique est ma vie!« .
L’expérience de créateur de festival.
En découvrant les charmes de la vielle de Grasse, l’originaire de Nice a eu l’envie de créer un évènement musical. Depuis 2016 Les Instants de Grasse ont gagné leur identité et leur public. La 7ème édition s’est tenue du 30 juin au 3 juillet dans le cadre magique des jardins de la villa Fragonard. « Si l’événement est bien évidemment plus confidentiel que La Chaise Dieu, il m’a permis d’apprendre et de maitriser tout ce qui fait un festival, de la technique à la régie en passant par l’indispensable séduction des mécènes » insiste le directeur artistique. Il m’a permis aussi d’acquérir une expérience, pas seulement du point de vue de la scène et du concert, mais ce qu’il exige avant et après, pour qu’il arrive et par quels moyens pratiques, humains et logistiques. Le métier de musicien classique doit aller bien au-delà du concert. »
De même qu’un musicien ne cesse d’enrichir sa formation, le jeune DA s’inscrit à Sciences-Po au master « Arts et politiques » pour consolider son profil à la fois artistique et administratif dans un projet d’ambition. « On n’a pas à réinventer la musique classique » assume-t-il en présentant sa candidature au festival de la Chaise-Dieu.
Perdurer la tradition et l’esprit d’innovations
Si l’ objectif assigné au nouveau directeur général est limpide, ses prédécesseurs Jean-Michel Mathé (2003-2010) et Julien Caron (2012-2022) l’ont eux aussi porté : valoriser le potentiel associatif du festival pour en faire perdurer la tradition et l’esprit voulu par le fondateur Györgi Cziffra. La feuille de route pour y parvenir est la sienne, et elle s’appuie sur trois convictions :
Faire confiance à la jeunesse, artistes et public : « Quand on a un vivier de jeunes musiciens français incroyables, avec une qualité musicale phénoménale, il convient de s’y appuyer pour en faire un véritable incubateur de jeunes talents toute l’année. D’autant que le renouvellement des publics en dépend aussi. Ce sont des musiciens passionnés de la même génération qui peuvent convaincre ceux qui ne font pas de musique que la musique savante qui se crée est faite pour eux. »
Comme exemple d’artiste polyvalent à suivre, le pianiste Théo Fouchenneret, en 2018 a obtenu Premier Prix du Concours international de Genève, la « révélation soliste instrumental » aux Victoires de la Musique Classique et le Premier Prix ainsi que cinq prix spéciaux au Concours international de musique de chambre de Lyon avec le Trio Messiaen.
Faire redécouvrir les grands chefs-d’œuvre de la musique sacrée et symphoniques de toutes les époques occidentales en créant de nouvelles expériences immersives dans ce lieu extraordinaire qu’est l’abbatiale Saint-Robert : « Il y a trop longtemps que les Requiem de Mozart et de Verdi n’ont pas été joué. Il ne s’agit pas seulement de les donner, mais de faire en sorte qu’ils n’aient jamais été entendus comme avant. Je compte m’appuyer sur la pluridisciplinarité des arts sans dénaturer les partitions pour proposer du nouveau. »
Privilégier la création contemporaine : « Adosser à les grandes œuvres sacrées à des compositeurs actuels. Il faut sortir de la confusion stérile moderne/aujourd’hui par un retour à une politique commande avec une liberté de création totale, texte liturgique au choix (seule contrainte selon une nomenclature instrumentale déjà existante, afin de lier ces créations avec la grande histoire du répertoire). Si en 7 ou 8 ans, je réussis à créer autant d’œuvres contemporaines, le festival aura retrouver ses ambitions tout en se mettant au-dessus des chapelles. Il va offrir à des créateurs/écrivains un espace de créations pour poursuivre le travail en compagnonnage, déjà entamé par mes prédécesseurs avec plusieurs compositeurs (Philippe Hersant, Édith Canat de Chizy, … et Michaël Levinas qui s’achève le 27 aout cette année »
Stimuler l’esprit de fête
Festif et engagé, le projet de Boris Blanco vise à bousculer les lignes pour enraciner l’ institution festivalière dans son temps, avec plus d’une idée dans son sac, comme dans la continuité de ces Sérénades itinérantes, ‘Suivez la musique’ la mise en place d’une troupe d’une dizaine de musiciens qui tout le long du Festival nourrirait un esprit de fête permanent.
Car c’est bien cette dimension festive que sait si bien partager ce directeur – musicien au caractère bien trempé sous une humilité bienveillante : « la musique reste une célébration collective, une joie partagée, et il faut qu’elle ait à tout heure toute sa place. »
Gageons que la 57e édition réservera de jolies surprises. En attendant savourons les pépites de la 56e….
Carnet de Lecture de Boris Blanco
Stefan Zweig, Le monde d’hier : Une autobiographie étrange en ceci qu’elle nous décrit le destin d’une époque tout autant que celui de l’auteur. La mélancolie, le doux amer qui nous étreint en lisant ce récit du « suicide de l’europe » m’a toujours bouleversé. J’ai une passion pour Stefan Zweig, la précision et la justesse des sentiments qu’il décrit, sa capacité à dire énormément en très peu de mots, et le récit de son destin personnel, lié à celui du monde qu’il a connu et aimé, est un chef-d’œuvre absolu.
Hermann Hesse, Le Loup des Steppes : Roman Post-romantique par excellence, d’une modernité saisissante et d’une puissance extraordinaire. Je dois avouer avoir eu un moment quasi obsessionnel en lisant, à savoir que je l’ai littéralement dévoré en une journée, en complète frénésie, tant le rythme est effréné et l’écriture captivante.
Paul Eluard, Capitale de la douleur.
C’est très étrange de décrire un recueil de poésie, a fortiori d’un auteur surréaliste, donc je préfère laisser Eluard parler :
« La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu. »
Bertrand Blier. Les Valseuses : Un film qui fait souffler un grand vent de liberté et de tendresse, absolument nécessaire, avec des acteurs incroyables et notamment un trio Dewaere – Depardieu – Miou-Miou au sommet, une bande son extraordinaire réalisée par Grappelli, et, à la fin du film, une forte envie de prendre la route en portant ses rêves à bout de bras.
Richard Wagner, Tristan und Isolde, dirigé par Carlos Kleiber et chanté par Margaret Price, René Kollo … (1982)
« Mais aujourd’hui encore, je cherche en vain une œuvre qui ait la même dangereuse fascination, la même effrayante et suave infinitude que Tristan et Isolde. Le monde est pauvre pour celui qui n’a jamais été assez malade pour goûter cette “volupté de l’enfer”. » …
C’est Nietzsche qui parle le mieux de Tristan und Isolde, et de l’obsession qui peut venir pour cette musique. Interprétée ici par Kleiber et un casting vocal de rêve, on touche au sublime. L’opéra est certainement la forme artistique absolue, et s’il était évident que j’allais en parler dans ce carnet de lecture, j’ai beaucoup hésité, Fidelio ? Rosenkavalier ? Parsifal ? Pélléas et Mélisande ? … Mais à la fin, Tristan und Isolde, parce que l’obsession que j’ai eu pour cette musique et que décrit si bien Nietzsche a profondément marqué ma vie. Cette version particulièrement, pour la flamme que donne Carlos Kleiber. Act I. Prelude – Act III. Liebestod – Complete Opera
Pour suivre le Festival de la Chaise Dieu
Festival de la Chaise Dieu du 18 au 28 aout
Programmation complète de la 56e édition
Agenda sélectif :
- 19 08, 21h, Scarlatti, Il Sedecia, re di Gerusalemm, Thibault Noally et son ensemble Les Accents
- 20 08, 21h, Ravel, Concerto pour la main gauche – Gershwin, Rhapsody in blue, Amaury de Closel, Berliner Symphoniker David Lively
- 22 08, 21h, Charpentier et Desmarets, Te Deum, Louis-Noël Bestion de Camboulas et son ensemble Les Surprises (
- 23 08, 21h, Schütz, , extraits des Psalmen Davids et des Symphoniae sacrae, op. 6, Geoffroy Jourdain et Les Cris de Paris
- 25 08, 21h, Poulenc, Stabat Mater, Mathieu Romano, et l’ensemble Aedes et les Siècles
- 27 & 28 08, 21h, Franck, Symphonie en ré mineur & Les Djinns/ Le Chasseur Maudit, Les Éolides, Florian Noack et l’Orchestre national de Belgique
- 28 08, 17h30, Nicolas Bernier, Louis-Joseph Francoeur, Louis-Antoine Lefebvre, Louis-Antoine Travenol, Cantates baroques françaises, Justin Taylor, clavecin et direction, Ensemble Le Consort.
Partager