Culture

Le carnet de lecture de Justin Taylor, claveciniste, ensemble Le Consort

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 9 février 2022

En soliste, au clavecin ou au pianoforte, ou dirigeant Le Consort, formation créée en 2015, Julien Taylor a la fraicheur et l’ambition du musicien convaincu qu’il y a toujours un patrimoine à découvrir ou à éclairer différemment. Les grands noms lui permettent de révéler de nombreux oublis. Ses prochains concerts rassemblent Mozart (concertos au TCE le 13 février, puis au Festival de Deauville, le 30 avril), et Haendel (arias à Tourcoing, 2 avril et La Seine Musicale le 13). Et son carnet est à son image, léger et joyeux.

De la fraicheur et un culot créatif

Justin Taylor investit avec gourmandise le patrimoine musical à la cour de Versailles Photo Jean-Baptiste Millot

Forqueray père et fils, Dandrieu, Ariosti et Bononcini… A ceux qui s’interrogent ou objectent de ‘l’intérêt de sortir des inconnus des placards’, Julien Taylor objecte une stimulante réponse : « Ecoutez donc avant de demander si cela en vaut la peine ! »
Quelle est le plus rafraichissant dans le désir de ce trentenaire, fou de claviers, qui coche toutes les cases de l’excellence et de la patience ?
Sa volonté de ne pas se laisser étouffer au mieux par le manque de culture des uns ou pire l’absence d’audace des autres ?
Le refus de se décourager au prétexte que ses ainés auraient déjà triés et révélés le « meilleur » ?
Sa hardiesse qui le plonge dans les bibliothèques, convaincu que la postérité n’est pas toujours le meilleur juge, et qu’il ne reste pas que du « secondaire » sur les étagères ?
ou enfin, son étourdissante maitrise technique qui lui permet toutes les prises de risques, nourries d’une curiosité insatiable et d’une profonde réflexion sur les partitions ?…
Le claveciniste chef de bande offre un cocktail d’étonnants et d’étonnements qui lui permet d’illuminer ses programmes, toujours originaux, avec une aisance et une cohérence subtiles.

Le temps n’est plus à l’imitation

D’autant que dans cette aventure musicale menée tambour battant, le lauréat de quatre prix au concours Musica antiqua de Bruges en aout 2015, le must des concours de musique ancienne, ne se contente pas d’une carrière de soliste dont il aurait pu se contenter ; le label Alpha l’enregistre dès 2016 et Deutsche Grammophon l’appelle pour enregistrer un triple album d’ inédits dans sa monumentale édition Bach 333 du centenaire

Les quatre mousquetaires du Consort, Justin Taylor, Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche, et Hanna Salzenstein Photo Julien Benhamou

Au contraire le natif d’Angers née en 1992 a su dans la foulée embarquer quelques complices de sa génération dans le groupe de musique de chambre Le Consort : les violonistes Théotime Langlois de Swarte et Sophie de Bardonnèche, la violoncelliste Hanna Salzenstein, et selon les programmes, le gambiste Louis Pierrard et et la mezzo Eva Zaïcik, …  d’abord pour des raconter des histoires humaines en musique, baroque, mais pas seulement.  La dynamique de curiosité et de rapprochements consiste à élargir le répertoire (de de Falla à Ligéti), l’effectif selon le projet, voir d’adopter un nouvel instrument. Si Justin est un amoureux des clavecins toujours prêts à les dénicher dans les musées ou chez des collectionneurs, l’adoption du pianoforte – au pied levée pour un concert au Festival de Deauville – lui ouvre d’autres horizons, notamment mozartiens, sans rechigner à jouer sur des pianos historiques si nécessaire.

Ne se fixer aucune limite

Gage de leur confiance dans leur inépuisable gourmandise, Le Consort enregistre souvent des « premiers opus » de grands compositeurs, de Corelli à Vivaldi, qu’il rapproche d’auteurs moins exposés : « Dandrieu avait vingt-trois ans lorsqu’il publia son Opus 1. Par une heureuse coïncidence, c’est aussi l’âge que nous avions quand nous nous sommes rencontrés et avons joué ces sonates lors de notre première répétition ! Opus 1 comme titre pour cet album nous est donc apparu comme une évidence : un hommage à Dandrieu ainsi qu’un clin d’œil à l’histoire de notre ensemble. »

Défier les outrages de la postérité

Aux disques (presqu’une dizaine), en concerts, et par toute sorte de projet – comme Les Pontikis, où ils s’incarnent en souris magiques assoiffées de la musique baroque (du 15 au 17 avril 2022, Opéra Comique) – les complices du Consort balayent avec gourmandise les objections, comme autant d’invitations à l’écoute. Non seulement ils s’y engagent instruments à la main, mais ils signent collectivement les textes des livrets des disques.
Ainsi le programme Specchio Veneziano met en miroir deux compositeurs, dont les œuvres nous offrent deux reflets riches et colorés de la sonate en trio vénitienne : « Dans la cité vénitienne, au tout début du XVIIIe siècle, deux violonistes de génie se côtoient : Antonio Vivaldi (1678-1741) et Giovanni Battista Reali (1681-1751). Le talent du premier n’est plus à démontrer, tant il s’est imposé comme l’un des compositeurs les plus inventifs, prolifiques et virtuoses de l’époque baroque. Reali, quant à lui, est resté totalement dans l’oubli, alors que ses sonates en trio font pourtant preuve d’une originalité unique dans ce répertoire. » signent les complices.

https://youtu.be/QdGErBhDRLs

A la différence de leurs ainés, ils ne déchiffrent plus, ils réévaluent avec leurs oreilles d’aujourd’hui. Ils ne bousculent pas les hiérarchies, même si elles sont trop figées à leur goût, ils remettent des couleurs à des répertoires et des familles de musiciens laissés dans l’ombre !

Ainsi le programme Opus 1 associant Corelli et Dandrieu, Le Consort souligne : « Si Dandrieu est surtout connu pour son traité de basse continue ou ses talents d’organiste, ses sonates en trio méritent une place de premier plan dans la musique de chambre de l’époque. Elles montrent une maîtrise du style et une variété de caractères stupéfiantes. Des danses qui débordent d’énergie, un contrepoint espiègle et fougueux entre les trois parties, des mouvements suspendus par leurs retards à l’italienne très expressifs, de l’articulation, des phrasés, du rythme, de la douceur, de la passion… de la vie. »

Révéler des familles de musiciens

En soliste, Justin Taylor se fait une spécialité de réunir des « Familles : portrait d’un père, d’un fils, d’un neveu, éclairés de portraits d’un entourage ou portraits croisés…  »  pour s’approcher le plus possible des compositeurs en ouvrant la focale :  » par une vision la plus large possible de leurs œuvres bien sûr, mais aussi par une approche plus personnelle, en essayant de connaître l’homme derrière le compositeur, de rentrer dans son intimité. » Autant d’approches contextuelles revendiquées, pour évoquer par leur musique, les différentes personnalités d’une famille, souvent éclipsées par la figure phare.=, d’autant que cet arrière-plan familial et musical fécondé leur inspiration !

Ainsi des Forqueray Père et fils, il justifie le programme : « La Forqueray, de la Première Suite, ne serait-elle pas un portrait d’Antoine par son fils ? La ressemblance avec la Courante de la suite pour trois violes semble le confirmer, et son imprévisibilité dépeint le tempérament « quinteux, fantasque, bizarre » du père. Dans leurs hommages, François Couperin et Jacques Duphly saisissent les caractères saillants de cette famille exceptionnelle »

De la Famille Rameau, vous connaissiez Jean-Philippe, Justin révèle « Jean, Claude, Lazare, Claude-François… autant de Rameau compositeurs, dont les œuvres méritent d’être redécouvertes », sans oublier Debussy et son Hommage à Rameau sur un magnifique Erard de 1891 que Julien associe d’une jolie formule qui résume bien son projet « Ne décèle-t-on pas une filiation puissante qui relie Debussy à Rameau dans cet hommage, écrit « dans le style d’une Sarabande mais sans rigueur » ? La recherche de timbres nouveaux, de sonorités évocatrices, d’harmonies poétiques semble rapprocher les deux compositeurs malgré la distance temporelle qui les sépare. »

La dynamique stimulante des rapprochements

Associant des « familles » ou des « filiations » , Julin Taylor pousse plus loin le jeu des correspondances, avec ‘Continuum’ où il met en miroir avec pertinence  Scarlatti (1685-1757) et Ligeti (1923-2006) qu’il qualifie de « personnalités inclassables »  : « Une virtuosité instrumentale poussée à ses limites, une recherche de nouvelles sonorités, une écriture originale et novatrice… « En revanche, dans son écriture, Ligeti est très attentif aux positions de mains et à l’aspect tactile du jeu au clavier. C’est pourquoi il se réclame de quatre grands compositeurs : Chopin, Schumann, Debussy… et Scarlatti ! » Du « Continuum » composé par le jeune Ligeti en 1938, Justin précise : « Nous percevons les changements de motifs comme des « déformations progressives où les contours se courbent et se dilatent, jusqu’à se transformer en des motifs nouveaux5 ». Aux abords intimidants, cette pièce est pour moi une fascinante immersion au cœur de la sonorité du clavecin. »

Cette immersion – au clavecin ou au pianoforte – constitue un puissant appel d’air frais dont il faut profiter, loin des œillères passives de la postérité.

Le carnet de lecture Justin Taylor

Cristal de roche, Adalbert Stifter
Ce petit livre de 80 pages nous plonge dans un univers que j’adore, celui de la vie en haute montagne. Les protagonistes principaux vivent avec cette montagne qui les fascine et les terrifie en même temps, ce qui est aussi mon cas ! Je trouve ce livre très touchant et très sincère.

Taraf des Haidouk
J’adore cette vidéo, même si elle est très éloignée de mon univers musical ! Quand j’étais petit j’ai assisté à un de leurs concerts et cela m’a énormément marqué. Je crois que ce qui m’a le plus touché c’est leur enthousiasme, leur plaisir évident à jouer ensemble. Ils sont habités par une passion musicale incroyable et une joie de vivre communicante, non ?

Papier marbré
Pourquoi cette photo dans les tons bleus ? Connaissez-vous le papier marbré ? Aux origines incertaines l’art de la marbrure sur papier serait né en Asie au 12ème siècle environ. On appelle ces papiers « papiers marbrés » par analogie avec l’aspect veiné du marbre, mais il y a aussi d’autres styles de décors comme « petit peigne », « chevrons » « feuilles de chêne ou « caillouté », ce qui est le cas ici et ils sont surtout utilisés pour la reliure. Aujourd’hui ils peuvent être produits de manière industrielle mais il reste des ateliers où l’on les réalise encore à la main, c’est d’un de ces ateliers d’où vient ce papier pris en photo. Il est réalisé avec la même technique depuis des siècles ! Cela m’a vraiment intrigué car sur les partitions italiennes, il y a toujours comme reliure ces magnifiques papiers caractéristiques.  Lorsque je suis allé à Florence il y a quelques mois et que je suis tombé sur cette échoppe par le plus grand hasard cela m’a beaucoup ému de voir que la tradition était toujours vivante. Voici l’histoire de ce papier Florentin !

Éloge de l’ombre, Jun’ichiro Tanizaki
Avant de partir pour la première fois jouer au japon l’année dernière je voulais m’immerger dans la littérature japonaise, j’ai lu plusieurs livres et celui-là  a vraiment été mon coup de cœur ! Je l’ai déjà fait lire à beaucoup de personnes autour de moi ! J’adore les descriptions, l’ambiance feutrée et délicate que rend l’auteur. Je n’en dis pas plus, le mieux c’est de le lire !

Lirone. Maintenant que la viole de gambe est plus connue du grand public, c’est le moment de redécouvrir des instruments encore plus particuliers comme le Lirone ! Je suis assez fasciné par le nombre de cordes de cet instrument ! En fait j’adore découvrir et apprendre à connaître les différents instruments historiques il y a tant de choses à découvrir !

Pour suive Justin Taylor et Le Consort

Site personnel Justin Taylor

Le consort

Agenda Justin Taylor & Le Consort

  • 13 février 2022, 11h Mozart Concerto pour pianoforte n° 14 K. 449, n° 12 K. 414, Quatuor n° 11 K. 171, Théâtre des Champs Elysées,
  • Royal Händel, avec Eva Zaïcik, mezzo-soprano
  • Du 15 au 17 avril 2022, Les Pontikis, Opéra Comique : Les plus jeunes membres de la Maîtrise Populaire et la Pré-Maitrise, avec Le Consort, revêtent leurs costumes de Pontikis, « souris magiques » assoiffées de la musique baroque, de Bach à Haendel, de Lully à Rameau, en passant par Purcell et Pachelbel.

Discographie Alpha (Outhere)

  • Specchio Veneziano : Vivaldi, Reali, 2021
  • Royal Handel, (et Ariosti et Bononcini), Eva Zaicik, 2021
  • Opus 1, Dandrieu, Corelli, 2019
  • Venez chère ombre, Charpentier, Campra, Clérambault, Eva Zaicik, 2019
  • La Famille Rameau, 2018
  • Bach, Harpsichord works, DG édition Bach333, 2018
  • La famille Forqueray, 2016
  • Continum Scarlatti – Ligeti, 2017

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