Culture
Le Carnet de lecture de Marie-Laure Garnier, soprano, Les Ailes du désir, opéra d’Othman Louati
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 8 novembre 2023
Ce soir elle va enfin incarner sur scène l’ange qu’elle est dans la vie. Depuis sa Victoire de la Musique Classique comme la révélation lyrique de l’année 2021, la soprano Marie-Laure Garnier épanouit sa carrière tant par des prises de rôles importantes que par une discographie de mélodies en duo avec la pianiste Célia Oneto Bensaid. Avec Damielle, l’ange qui renonce à l’immortalité par amour, dans le premier opéra d’Othman Louati, « Les Ailes du désir« , adapté du film de Wim Wenders, elle déploie toute la palette de couleurs de sa voix onctueuse. Elle s’est confiée à Singulars à quelques de jours de la création mondiale des 9 et 10 novembre, au Bateau Feu de Dunkerque, début d’ une tournée en France jusqu’en mai 2024.
De la révélation à la reconnaissance
Depuis 10 ans, avec la nomination « Révélation classique Adami » en 2013, Marie-Laure Garnier construit une carrière avec maturité et progression constante, appuyée sur deux pieds, la mélodie et l’opéra. Sa Victoire de la Musique Classique comme la révélation lyrique de l’année 2021 a confirmé son épanouissement, couronnée par plusieurs concours important ; du Concours Nadia et Lili Boulanger en 2017, prix de la Mélodie française aux côtés de Célia Oneto Bensaid, avec laquelle elle forme depuis un duo avec une vraie identité, au concours Voix des Outre-mers en 2019.
En chemin, la soprano a multiplié les expériences plurielles ; des enregistrements de mélodies où elle peaufine son sens du phrase et sa profondeur vocale, à la création et animation d’une chorale amateur The Sharing Singers, à la fois partage pédagogique et engagement civique en Guyane pour ouvrir parents et jeunes à la musique.
2023 est l’année de l’accélération
Mais aussi de la reconnaissance des scènes lyriques, avec notamment les prises de rôles titre du Porgy and Bess (Opéra de Bordeaux),et de Junon de Platée (Capitole de Toulouse), mais surtout Damielle le premier rôle de l’Opéra d’Othman Louati, Les Ailes du désir, adapté du film de Wim Wenders, dont la création mondiale les 9 et 10 novembre, au Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque ouvre d’une tournée française de 14 dates jusqu’au 24 mai 2024.
J’ai de la lumière dans la voix. Et je travaille pour garder cette souplesse.
L’ange en recherche d’incarnation, la métaphore troublante de la chanteuse
A quelques jours de la première, Marie-Laure Garnier ne cache pas sa gourmandise d’endosser un rôle d’ange : « une vraie belle image pour une chanteuse habituée à incarner des rôles divers et variés. Damielle me touche parce que l’ange cherche à s’incarner pour vivre des sensations au plus proche de celles des humains, c’est à la fois quelque chose de beau, à la fois extrêmement touchant et extrêmement puissant, et en même temps, dans cette réalité d’ange qui n’a pas de corporalité, c’est aussi quelque peu troublant. »
Une perte de repères
Surtout quand la musique d’Othman Louati, que la soprano connait depuis sa création de ses Trois Mélodies sur des poèmes de Ronsard, distille « musicalement quelque chose de flottant, dans l’errance et dans la quête d’humanité qui entraîne une perte de repères habituels pour incarner à mon tour cet ange. La mise en scène de Grégory Voillemet utilise des marionnettes pour représenter des humains sauvés par les anges. Et ce ne sont pas les humains qui parlent on entend directement leurs pensées. La marionnette est une fabuleuse astuce pur comprendre que ce sont des pensées intérieures. Les chanteurs les côtoient d’où il se dégagent une belle poésie. On y trouve vraiment de très beaux symboles. »
Un ambitus entre ciel et terre
Celle qui définit sa voix comme « longue, ample, avec un timbre très rond » reconnait la chance que lui offre Othman Louati de chanter ce rôle écrit spécifiquement pour sa voix, mais très exigeant : « c’est un rôle avec une vocalité extrêmement original dans le sens où l’ambitus est très grand. Avec un lyrisme énorme, il est très intéressant parce que rares sont les rôles d’une telle difficulté et que l’on ressente physiquement non pas que Damielle est ambigüe mais qu’il est bien entre le ciel et la terre. Il y a quelque chose qui se met en place, et qu’au fil de la découverte de ce rôle, il évolue au fil des jours dans cette vocalité. Je suis heureuse de pouvoir l’expérimenter autant de fois et de scènes différentes dans une saison. »
Cette expérience de troupe qu’elle débute sur toute une saison ne l’empêche pas, ni quelques belles prises de rôles ; Geneviève de Pélléas & Mélisande de Debussy, à l’Opéra de Clermont et à l’Athénée, puis Carmen en décembre au Festival FILAO (Saint-Pierre en Martinique) et surtout de poursuivre son travail en duo avec la pianiste Célia Oneto Bensaid avec une vraie identité.
« Un duo dans la pierre »
« Depuis Chants Nostalgiques, après Songs of Hope, autre programme à l’identité très forte, nous voulons nous ouvrir d’autres esthétiques. On a envie de trouver de nouvelles palettes vocales, d’autres textures musicales. Nous sommes à la fois un duo très solide et encore en recherches, en travail pour sans cesse se développer sans cesse se questionner pour trouver ce que l’on a dire dans ce monde. Qu’est ce que le public attend ou pas ? Nous essayons d’être à l’écoute de notre temps tout simplement. Le succès de nos récitals est une marque que le public est curieux »
Oser plus à s’exposer
Au-delà ou au cœur de la pratique musicale, Garnier ne sépare jamais la dimension humaine : « c’est à nous d’oser plus de lieds, plus de pédagogie. Leur dire en quoi ils nous touchent. Le public a besoin de redécouvrir ce répertoire en étant accompagné, guidé. C’est de notre responsabilité en tant qu’artiste que d’apporter cette note personnelle à la compréhension de notre répertoire. C’est ce qui me nourrit en tant qu’artiste pourquoi cela ne pourrait pas être partagé avec le public. »
Sa responsabilité d’artiste pour faire partager des choses avec le chant, la soprano en ai convaincue depuis qu’elle a créé et animé bénévolement pendant 10 ans le chœur The Sharing Singers, dédié aux parents de jeunes d’ un centre de loisirs en Guadeloupe. Si le Gospel a permis de les rassembler, les ambitions ont été de plus en plus ambitieuses, avec des concerts dans l’Ile. « Cela été pour moi l’ opportunité de faire connaitre et partager le répertoire des « negro spirituals » et l’histoire qui va avec, associée à leur identité et de le partager collectivement.
Cette dimension de pédagogue m’ a permis de grandir avec eux et a contribué à être le femme que je suis. J’ai poursuivi l’expérience en Seine Saint Denis, où j’ai participé une année entière à une action de pédagogie auprès de collégiens et les préparer à un concert donné dans la Basilique Saint Denis. Cela ouvre à ses enfants des possibilités que certains poursuivront. C’est une façon pour moi d’apporter une action autant musicale que civique, en cohérence avec ma propre identité. »
Jessye Norman, ma référence.
Jessy Norman est un modèle pour elle depuis le début de sa carrière. « Autant j’ai adoré René Fleming, autant pour Jessy Norman, il y a une droiture dans son chant, une dignité et un charisme. je l’ai beaucoup écouté son parcours, les rôles qu’elle chantait, son répertoire, les chefs avec lesquels elle a travaillé. Comment sa voix avait évolué, les petites fantaisies qu’elle s’était octroyée. »
Il y a quelque chose de cohérent dans toute son identité tout au long de son parcours et d’être nourri (comme la théâtralité de Nathalie Dessay plus proche de moi) par quelque chose de plus grand.
Engagée comme artiste et citoyenne
« Pour moi, il est très important de participer à la société en dehors mon action d’artiste purement. Notre vocation d’aller à la rencontre des personnes pour leur apporter ce qui constitue notre vie d’artiste et de citoyen. »
Si la chanteuse est très prise cette saison par son métier, la citoyenne engagée prépare déjà pour l’année prochaine un projet d’Académie Vocale qui se déroulera en Guyane, sa vocation est de permettre à des jeunes et moins jeunes à participer à des ateliers de réflexion sur l’avenir de la société. « J’accorderai aussi un temps aux adultes pour leur permettre un ressourcement en nature. La Guyane est une terre magnifique pour ce genre d’ambition. »
Aussi vous comprenez pourquoi Marie-Laure Garnier se retrouve si bien dans le rôle de Damielle qu’elle crée au Bateau Feu, elle descend du ciel pour nous surprendre et nous inviter à notre tour à nous incarner pour donner du sens à ce monde.
Le Carnet de lecture de Marie-Laure Garnier
Les Grands airs de l’opéra (La Redoute)
J’ai grandi dans une famille de mélomanes. Les goûts étaient éclectiques : musique traditionnelle guyanaise, caribéenne, variété internationale ainsi que musique classique. Si j’ai toujours écouté un peu de tout, j’ai très rapidement eu une appétence pour la musique classique. Je me rappelle de la petite fille de 7ans que je fus, jouant à la cheffe d’orchestre, dirigeant avec une ardeur impétueuse l’ouverture de La Forza del destino de Verdi. Je maîtrisais chaque seconde de l’interprétation de Zdenek Chalabala. Chaque phrase, chaque silence étaient soutenus par une intention, une émotion, une dynamique. L’orchestre était là, dans mon salon, c’était merveilleux et j’étais l’enfant la plus heureuse du monde.
Collection Instants classiques
Un soir que ma grande sœur participait à un concert, je m’étais assoupie sur les jambes de ma mère. Elle s’en était excusée auprès du professeur qui lui avait répondu « ne t’en fais pas, les enfants absorbent la musique même dans leur sommeil ». Ceci n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde…
https://youtu.be/xRi4_ne0VYM
Mes parents m’avaient offert une collection de disque des plus grandes œuvres du répertoire classique balayant les époques, les continents, les genres et les formes. Je les écoutais particulièrement le soir. Oui, tous les soirs, avant de m’endormir…jusqu’à ce que l’un de mes parents viennent éteindre le lecteur cd, et ce, durant des années entières. Dans cette collection de 36 disques, deux œuvres ont longtemps retenu mon attention : Va pensiero, extrait de Nabucco de Verdi qui me donnait littéralement la chair de poule et le Chœur des Pélerins, extrait de Tannhaüser de Wagner qui m’emplissait systématiquement d’une émotion indescriptible.
Pour mon jeune âge, j’en étais restée là, à l’impact que ces œuvres avaient sur moi. Tantôt une énergie et une joie débordante, tantôt un flot d’émotions inexplicables.
Ce que je retiens, c’est que ma mémoire ainsi que mon corps s’en sont pleinement imprégné jusqu’à en faire un véritable langage, un mode d’expression que j’apprendrai à utiliser au fil des ans, autant dans ma vie d’instrumentiste que dans ma vie de chanteuse.
Kathleen Ferrier – Bach, Agnus Dei, Messe en si mineur, Sir Adrian Boult, London Philharmonic Orchestra
A 14 ans, J’intègre une des classes de Flûte traversière du CRR de Paris. Arrivée seule, sans ma famille, je suis hébergée au Foyer des Arts de Courbevoie tandis que quelques week-end par an, je suis accueillie dans une famille très érudite et mélomane. « Tu joues de la Flûte, mais si tu aimes chanter, écoute donc Kathleen Ferrier !» me dit Catherine, la maman. Et moi, de l’écouter dans le « Agnus Dei » de la messe en si mineur de Bach avec le London Philharmonic Orchestra sous la direction de Sir Adrian Boult. Cela fut une découverte émouvante. Moi qui était familière des sonates de Bach pour Flûte, je me découvrais une nouvelle corde à mon arc. La même année, connaissant cet air par cœur, je me présentais au concours d’entrée de la Maîtrise de Paris sous la direction de Patrick Marco.
C’est ainsi que ma vie de chanteuse débuta.
Bernstein Century – Chichester Psalms – Symphonie n° 3 « Kaddish »
La révélation d’un univers ! J’ai tout d’abord découvert les Chichester Psalms en concert, un peu par hasard, il faut le reconnaître, au CRR de Paris. Une musique puissante, émouvante, harmoniquement riche, rythmique. Un texte chanté en Hébreu. Un savant mélange entre musique classique, liturgique, jazz, pop, comédie musicale.
Puis la Symphonie Kaddish, une œuvre bouleversante ! Un témoignage engagé à la mémoire du peuple juif. Pour la jeune artiste que je suis, cette œuvre vient expliciter un des enjeux de l’art et conforter par la même occasion, mon intuition que la mission des artistes est certes, d’offrir du beau mais également de s’engager.
Une vie bouleversée, Journal intime d’Etty Hillesum
Un livre absolument bouleversant de beauté, de foi. Etty Hillesum s’était d’abord engagée au camp de transit de Westerbook avant d’y être enfermée définitivement. Les lettres d’Etty témoignent d’une volonté de s’analyser alors même qu’elle a entamé une relation avec un psychologue allemand. Cet homme va littéralement changer sa vie qui était jusque-là passablement désordonnée. Il est fascinant d’assister à la métamorphose intérieure d’Etty, hauteur d’esprit, une spiritualité à toute épreuve malgré les difficultés de son époque. Ce livre a été pour moi, un lieu de retraite spirituelle et d’élévation. Y revenir est un cadeau que je m’offre de temps à autres.
Lève-toi et Chante, Jessye Norman
J’ai un goût prononcé pour les témoignages. Pour moi cela est un cadeau précieux que l’autre me fait, par le temps et la confiance qu’il m’accorde. Jessye Norman a toujours été une référence pour la femme et la chanteuse que je suis. Après avoir lu sa biographie, je la considère comme un membre de ma famille spirituelle et artistique. J’ai été particulièrement touchée par le récit de son début de vie dans un pays ségrégationniste avec tout ce que cela implique. Malgré cela, elle témoignage des valeurs (famille, foi, respect, tolérance, partage, travail, exigence, persévérance) avec lesquelles elle s’est construite. Ses solides fondations lui ont permis d’avancer avec détermination sur le chemin qu’était le sien et surtout de faire cette magnifique carrière.
Pour moi, Jessye Norman restera à jamais un témoignage vivant.
Pour suivre Marie-Laure Garnier
A écouter
- Songs of Hope, avec Célia Oneto Bensaid (Nomade music, 2022)
- Alexandre Dumas et la musique, Hector Berlioz, Joseph Doche, Gilbert Duprez, César Franck, Franz Liszt, Henri Reber, Francis Thomé, Alphonse Varney avec Karine Deshayes, Kaelig Boché, Raphael Jouan, Alphonse Cemin (Alpha, 2020)
- Chants nostalgiques, œuvres de G. Fauré, E. Chausson, C. Sohy, label b-records.
- Le Promenoir des amants, avec Célia Oneto Bensaid (collection Académie Orsay-Royaumont)
- Les Chants de l’âme d’Olivier Greif (B.Records, 2020)
Agenda
Création mondiale Les Ailes du Désir, opéra d’Othman Louati, Livret de Gwendoline Soublin, d’après Wim Wenders, Mise en scène de Grégory Voillemet, Direction musicale de Fiona Monbet à la tête de l’Ensemble Miroirs Étendus
Récompensé du Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 1987, le film de Wim Wenders entraine dans une pérégrination poétique dans Berlin à travers le regard et l’écoute de deux anges qui surveillent les humains, et recueillent leurs monologues intérieurs et tout ce qui chez eux traduit une recherche de sens et de beauté. L’auteur explique : « C’est pour pouvoir montrer les humains que j’ai inventé les anges. Des anges désincarnés pour mieux montrer à l’humain le privilège d’être en vie face à l’ennui de l’éternité ». L’un des deux anges, Damiel, rencontre Marion, une trapéziste dont il tombe amoureux. Marion tente de virevolter mais semble toujours alourdie dans son vol par la mélancolie, par cette conscience qui tourne à vide. Damiel va faire le choix de renoncer à l’éternité pour devenir mortel à ses côtés.
Ode à l’amour et à l’humanité pour faire dialoguer la voix divine et la parole des hommes, le ciel et la terre, dans un cosmos sonore et musical interprété par une distribution avec sept chanteurs et six marionnettistes, emmenée par Marie-Laure Garnier (Damielle), Romain Dayez (Cassiel), Shigeko Hata (L’Enfant), Mathilde Ortscheidt (La Directrice de Cirque), Camille Merckx (Marion), Benoît Rameau (Peter), Ronan Nédélec (Nick Cave).
- 9 et 10 novembre, Le Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque
- 14 et 15 novembre, Théâtre de Cornouaille, Scène nationale de Quimper
- 10 et 11 janvier 2024, Opéra de Dijon
- 17 et 18 janvier, Théâtre les 2 Scènes à Besançon
- 25 janvier, Théâtre Impérial de Compiègne
- 6 et 7 mai, Angers-Nantes Opéra, Théâtre Grasslin
- 14, 15, 17, & 18 mai, Opéra de Rennes
- 24 mai, Atelier Lyrique de Tourcoing
Geneviève, Pélléas & Mélisande de Debussy
- 7 février 2024, 20h, Opera de Clermont
- 15 au 25 février 2024, l’Athénée
En duo avec avec Célia Oneto Bensaid
- 7 décembre 2023, Festival du Lavoirù
- 12 décembre 2023, Nuit de la Voix
- 22 janvier 2023, Jeanne Leleu, BNF (sortie du CD)
Partager