Culture
Le carnet de lecture de Salomé Gasselin, viole de gambe.
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 31 janvier 2023 – revu le 1er mars 2024
Si elle a pratiqué le rugby, le violon, la génétique et la littérature, c’est finalement la viole de gambe qui l’a remporté. Salomé Gasselin se passionne et pratique depuis l’adolescence un instrument, discret sur scène comme au disque. La trentenaire est convaincue qu’un immense répertoire ‘en consort’ lui reste à révéler ou découvrir, ce qu’elle fait avec une somptueuse viole basse signée Simon Bongars de 1653 qui la relie avec son Histoire. Son 1er disque, Récits, voyage dans la musique baroque pour claviers (Mirare) participe à balayer les stéréotypes sur son instrument que le jury des 31e Victoires de la musique classique a valorisé en la décernant Révélation, soliste instrumental. Elle a confié les ressorts de son utopie créative à Olivier Olgan.
Un coup de foudre imprévisible pour la viole de gambe
Née à la campagne du côté d’Angers, le hasard a voulu que son directeur d’école primaire soit un fou de rugby, sport qu’elle a pratiqué jusqu’à 15 ans, où elle se casse le pouce à la veille de son entrée en DEM. C’est aussi par hasard que le jour où elle allait laisser tomber le violon qu’elle a eu un coup de foudre pour la viole de gambe grâce à un professeur qui s’accordait dans le couloir, sa passion pour le timbre des cordes ne la quitte plus depuis ses 11 ans.
Ce qui la fascine toujours, de la marqueterie de l’instrument en passant la spécificité des cordes (de moutons, en ce qui la concerne) en passant par la sociologie du son, les « sound studies », l’environnement dans lequel la musique a été créée influence la musique, qui lui offre de nouveaux angles d’intérêts, la trentenaire cette année le transmet non seulement dans ses concerts mais aussi dans sa classe au Conservatoire Pierre Barbizet de Marseille où elle a 14 élèves entre 5 et 8 ans, qui sont « la relève de demain » lance-t-elle dans un large sourire, convaincue de l’avenir de son instrument.
Il y a beaucoup d’interprètes de viole de gambe, mais en fait, on ne les voit pas.
Cela change avec le vrai désir de proximité du public.
Salomé Gasselin
Une curiosité insatiable
Salomé Gasselin ne conçoit pas de toute façon de ne pas faire qu’une chose à la fois, ni faire que de la musique. Dès son entrée au CNSM de Lyon, elle s’inscrit en licence en lettres moderne à Nanterre (par correspondance) « un bol d’air incroyable ».
Ce goût des lettres se retrouve dans la qualité rédactionnelle du livret de son premier cd, Récit (Mirare) où d’emblée elle balaye le faux antagonisme entre viole de gambe et violoncelle, même si leur facture les distingue en schématisant d’un côté la famille des luths, de l’autre des violons. Plus la virtuosité s’intensifie, plus « le luth avec archet » prend son envol. C’est un instrument qui cherche la résonnance, comme le sarangi indien qui sonne comme une cathédrale, le erhu chinois qui se tiennent comme des violes de gambes.
La tessiture de la basse de viole se prête remarquablement à cette texture spécifique,
sensuelle et moelleuse, de la tierce en taille.
La richesse harmonique, la rondeur du son, le timbre gras sont des points de convergence entre la viole et l’orgue.
Le côté enveloppant et charnu du son infuse le sens de cette musique.
Salomé Gasselin, Récit, livret. Mirare, 2023
Son Récit nous entraine dans son sillage sonore et littéraire pour mieux nous révéler que le secret du ‘consort’ – l’équivalent du quatuor à cordes de la musique classique si rare dans le répertoire écrit français du XVIIe – se cache en fait dans les partitions de claviers « en fait pour orgue et clavecin : à l’époque, insiste-t-elle le répertoire était fluide et pouvait se jouer aussi bien au clavier que sur d’autres instruments, notamment sur viole. ».
Intuitive, son intime conviction la conduit à aller plus loin : « La pratique était même tellement courante, que les musiciens n’avaient pas besoin de le formuler. C’était très XIXe que d’assigner la musique à un seul instrument.». Même si elle ne prétend pas faire d’historicité, les musiciens baroques sont toujours obligés de justifier le bien fondé historique de leur conviction, elle enfonce le clou en citant François Roberday en 1660, dans ses « Fugues, et caprices, à quatre parties mises en partition pour l’orgue ». « Il y a encore cet avantage que si l’on veut jouer ces pièces de musique sur des violes ou autres semblables instruments, chacun y trouvera sa partie détachée des autres. »
Au-delà du livret, sa démonstration sur des pièces et des textes d’Eustache du Caurroy, Charles Guillet ou encore Claude Lejeune est convaincante à l’écoute. Cet unisson des timbres – magistralement équilibrés – et des intentions – » Je ne fais que démêler le fil des voix pour les redistribuer aux violes » – éblouit dès le premier accord.
Ce consort possède un sens évident voir gourmant du phrasé dans toute sa diversité pour parler autant au cœur qu’aux oreilles.
Je suis rarement livré à moi-même, je suis toujours entouré.
Cette « musique du collectif » perpétue autant par la qualité de la formation musicale que par le rayonnement d’un splendide patrimoine instrumental : « même quand je joue des sonates seul, je joue en consort, ne serait-ce qu’avec tout ceux qui m’ont porté et apporté. Ce sentiment est renforcé avec mon instrument, une viole basse de Simon Bongars un intime des Couperin, datant de 1653. A chaque fois, j’ai l’impression de le jouer avec tout ceux qui l’on joué avant moi » insiste Salomé, heureuse d’avoir réunie sur Récit, son premier disque, les musiciens qui comptent pour elle : le claveciniste Justin Taylor, l’organiste Emmanuel Arakélian, et les violonistes Mathias Ferré, Andreas Linos et Corinna Metz. « La musique qui me touche le plus dans la viole, c’est celle de consort, cette version récit collectif qu’on oublie trop souvent. »
Il se pourrait qu’aujourd’hui seulement, le passé s’ouvre à nous avec une fraicheur inattendue
et nous dise des choses auxquelles personne encore n’a eu d’oreille.
Hannah Arendt. La Crise de la Culture, 1961 (Galimard)
Si ce n’est jamais banal d’interviewer une musicienne qui cite Hanna Arendt, ayant toujours sur elle, plusieurs citations qui la nourrissent, Salomé fait mouche pour transmettre sa conviction que tout un monde présent existe, prenant vie par l’intermédiaire de son instrument. » Il faut cesser de mettre des frontières entre les genres profanes et sacrées, entre les répertoires solo ou en consort et entre les instruments, autant de fractures qui n’existaient pas au XVIIe. » Elle veut – par l’ écrit et le concert – au contraire relier. Avec la force du jeu collectif.
Cette utopie magnifique qu’elle transmet à la force des cordes libère toute la dimension de cette interprète attachante, passionnée et passionnante qui cherche surtout la musique à sortir de l’ombre, plutôt qu’elle-même.
Leurs sonorités racontent autant que les discours qu’on composa pour eux.
Salomé Gasselin
Le carnet de lecture de Salomé Gasselin
Sophie Watillon LE CD Marais
Mon premier disque de viole de gambe, celui que j’ai écouté en boucle dans mon premier lecteur CD. LA référence de son, de musique de mon adolescence. Ce disque met tous les gambistes d’accord. Sophie Watillon (1965-2005) fut une météorite dans l’ombre de Savall décédée à 39 ans, elle a eu le temps de ne faire que deux disques. Elle reste une sorte de mythe.
Jacob Praetorius. Von allen menschen abgewandt secundus versus, par Bernard Foccroulle
De la musique d’orgue XVIIème…évidemment ! qui me donne envie de danser.
Britney Spears. Oops!..I did It Again
Toute mon enfance. Du gros son à l’américaine qui tâche.
Julian Prégardien – Christoph Prégardien. Schubert. Nacht und träume D.827 (CD Father & Son)
Un peu de douceur pour terminer avec un lied de Schubert sublimement chanté.
Théophile de Viau : œuvres poétiques
De la poésie amoureuse aux sonnets crues, la langue de Théophile de Viau (1590-1626) me surprend et m’attire.
David Harvey (géographe radicale et professeur à la City University of New-York). Géographie de la domination
Cadeau de mes 26 ans. Ou comment le capitalisme produit de l’espace, invente des solutions spaciales à ses crises chroniques.
Bell Hooks. De la marge au centre
Un livre qui bouleverse les représentations habituelles de la pensée féministe majoritaire. Une réflexion criante de justice à l’approche révolutionnaire.
Pierre Vidal. Bach et la machine orgue
J’ai commencé à lire ce livre dans la bibliothèque d’un ami il y a quelques temps, les premières pages me donnaient le sourire… J’attends qu’on me l’offre avec impatience !
et nous dise des choses pour lesquelles personne encore n’a eu d’oreilles. »
Cette phrase de l’essai « Qu’est-ce que l’autorité » dans Between past and future d’Hannah Arendt m’a bouleversée au point ou elle n’a cessé de tourner en rond dans ma tête. Arendt s’intéresse avec la posture d’un phénoménologue à la condition de l’homme moderne, à son lien avec la tradition. Ce livre m’est tombé entre les mains un peu par hasard. Outre cette phrase sortie de son contexte qui s’applique magnifiquement à mon idée de la musique ancienne, j’ai découvert une vision de l’art, de la beauté, d’un système moderne entrenant des confusions pratiques à son fonctionnement. Il est resté sur ma table de chevet.
Pour suivre Salomé Gasselin
le site de Salomé Gasselin
A écouter
Récit, Œuvres de Boyvin, Du Mont, Marais, Guilain, Dandrieu, Couperin (Louis), Marchand, Du Mage, par Justin Taylor, Emmanuel Arakélian, Mathias Ferré, Andreas Linos et Corinna Metz (Mirare 2023). Dans ce programme inédit, conçu autant comme un récit de voyage qu’une aventure collective sonore, la gambiste revendique la recherche d’une pratique oubliée et de lever un paradoxe alors que la littérature pour l’instrument soliste foisonne, on trouve en France, contrairement à l’Angleterre et à l’Allemagne, très peu de partitions pour ensemble de violes, les fameux consorts. Sa réponse est à la fois passionnante et richement illustrée d’une conviction chevillée aux cordes, dans la France de Louis XIV la musique de viole de gambe se cache dans la musique pour claviers.
- 9 juillet, Récital, Fondation Lee Ufan, Arles
- 11 juillet, avec Anna Besson et Jean Rondeau, Perpignan
- 14 juillet, Récital, Château en musique, Festival de Chambord
- 23 juillet, Récital, avec Violaine Cochard, clavecin), Festival International de Piano La Roque d’Anthéron
- 2 août, avec Le Caravansérail, Bruges (BE)
- 29 août, Récital avec Léo Ispir, violoncelle et Jonathan Zehnder, théorbe, Jeudis Musicaux, Floirac
- 31 août, Récital, avec Arnaud de Pasquale, clavecin, Musiques baroques à Savennières
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