Culture
Le carnet de lecture de Sylvie Brély, La Nouvelle Athènes - Centre des pianos romantiques
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 15 mai 2023
Depuis ses études de flutiste, Sylvie Brély s’est engagée corps et âme dans la pratique de la musique baroque et l’accompagnement des artistes. Son label discographique Zig-Zag Territoires, créé en 1997 les soutient dans leur geste d’interprétation, de recréation du texte musical et la diffusion de leur travail. Le développement des pianos romantiques correspond à une nouvelle révolution musicale qu’elle soutient depuis 2018 avec la création l’association La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantiques. Avec la 1ére édition du Festival de Pentecôte à Bois-Préau réalisé dans le cadre d’un partenariat culturel avec le Musée national des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau du 24 au 29 mai 2023 elle espère lancer une dynamique dont elle détaille la vocation pour Singular’s.
La découverte du répertoire baroque fut un éblouissement.
Tout à coup, ces œuvres solennelles et rigides prenaient vie grâce à une autre approche du répertoire : les instruments d’époque, la connaissance du phrasé, des styles, des rythmes de danse…
Sylvie Brely
Sylvie Brely a pris dès le début la vague de la musique baroque avec la découverte de l’opéra baroque Atys de Lully présenté par les Arts Florissants à l’Opéra Comique en 1987, en remplaçant sa flûte traversière en traverso, et la lecture des livres de Nikolaus Harnoncourt notamment Le discours musical : « Il nous faisait comprendre la nécessité d’entrer dans l’esthétique d’une époque, d’analyser les éléments d’une rhétorique à partir des instruments d’époque… »
Une nouvelle relecture des répertoires est à l’œuvre
Depuis 30 ans, au sein du label Zig-Zag Territoires, elle s’est attachée « à accompagner les artistes dans leur geste d’interprétation, de recréation du texte musical. » La responsabilité du programme « claviers » et notamment le développement des pianos romantiques à la Fondation Royaumont, l’a convaincue qu’une nouvelle relecture des répertoires est à l’œuvre, « encore souterraine mais d’aussi grande envergure que la révolution baroque voici 40 ans ». Convaincue de la nécessité de cette relecture, elle fondé en 2018 l’association La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantiques qui produit la 1ére édition du Festival de Pentecôte à Bois-Préau dans le cadre d’un partenariat culturel avec le Musée national des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau du 24 au 29 mai 2023
Pourquoi avoir créé l’association La Nouvelle Athènes et quels sont ses liens avec le Centre des pianos romantiques ?
La Nouvelle Athènes est née de cette prise de conscience qu’il fallait fédérer les pianistes, clavecinistes, collectionneurs, musicologues et mélomanes autour d’une relecture du répertoire romantique sur pianos d’époque dans un esprit d’échanges et de partages.
Le choix de « La Nouvelle Athènes » s’est fait spontanément puisque c’est le quartier de naissance du romantisme parisien dans les salons des artistes tels que Ary Schefer, Delacroix, George Sand et Chopin. L’idée de Centre des pianos romantiques se rapporte à notre ambition de créer une collection de pianos d’époque d’intérêt général accessible aux claviéristes désireux de retourner aux origines du piano. Nous avons actuellement un piano carré Erard 1806 représentatif du 1er romantisme français et un piano viennois Streicher 1847 idéal pour Schubert, Schumann, Mendelssohn, Chopin, Brahms…
Quelles sont la vocation et les missions principales de La Nouvelle Athènes – le Centre des pianos romantiques ?
Nous souhaitons présenter des pianos d’époque restaurés au plus haut niveau selon une démarche historiquement informée sur les matériaux d’époque (colles animales, peaux de chamois flexibles et sauvages, cordes en fer d’avant la révolution industrielle… ). Toutes choses que le Maître d’Art Christopher Clarke a merveilleusement intégré à la restauration du piano carré Erard 1806. Le Piano Jean-Baptiste Streicher 1847 a été restauré par le Maître d’art néerlandais Edwin Beunk. Ils sont tous les deux en parfait état de jeu.
Grâce à la mise à disposition des studios de l’ARCAL à Paris, nous organisons des ateliers de formation sur ces pianos et nous nous attachons à transmettre les clés d’une démarche historiquement informée sur la période romantique. Nous avons exploré les claviers XVIIIe, le clavicorde, le piano carré Erard 1806, les répertoires romantiques autour du Streicher et des ateliers d’analyse des premiers enregistrements des derniers romantiques avec les musiciens chercheurs européens d’avant-garde venant de la Schola Cantorum Basiliensis, de la Haute Ecole de Berne, de l’Université des arts de Vienne… Nous avons touché plus de 150 jeunes musiciens en 4 ans.
Parallèlement, nous organisons des concerts à la salle Cortot, nous avons été partenaires de l’exposition Paris romantique 1815 – 1848 du Petit-Palais en 2019, nous avons produit deux disques et une quinzaine de vidéos sur différents pianos disponibles sur notre site www.lanouvelleathenes.net. Nous présentons un nouveau projet dans le cadre d’un partenariat culturel avec le Musée national des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau autour du 1er romantisme français.
Pour vous les modes d’interprétation sur instruments anciens nécessitent plus qu’une simple adaptation technique ou esthétique mais un autre état d’esprit, comment le définissez-vous concrètement ?
En effet, l’interprétation du répertoire romantique nécessite plus qu’une simple transposition des modes jeux actuels. L’écoute des premiers enregistrements des derniers romantiques au-delà de la qualité sonore quelque fois défectueuse, est un témoignage indubitable que la tradition romantique s’est interrompue après la seconde guerre mondiale accompagnée de la généralisation des enregistrements de radio et studio. Les artistes romantiques recherchaient une spontanéité, une vérité et une fluidité de l’exécution sur le moment. L’expression passait par ces modes de jeu issus des traditions baroques : rubato, portementi et légers retards ou accélérations de la ligne mélodique pour souligner l’intensité et la poésie musicale.
Cette liberté naît d’une compréhension profonde des gestes physiques (legato des doigts dans le clavier, pédalisation très différente d’aujourd’hui) et tout comme de la compréhension des compositions en travaillant l’improvisation dans tel ou tel style.
Elle passe par la connaissance des sources, traités et la confrontation avec les instruments d’époque qui eux aussi définissent le cadre expressif d’une époque donnée. Chaque époque a sa propre perfection contrairement aux idées du progrès technique dévalorisant les précédentes. Et ces esthétiques ont beaucoup de choses à nous transmettre, surtout au cœur de cette crise climatique qui rebat les cartes de nos modèles économiques.
Comment s’inscrit la première édition du Festival de Pentecôte à Bois-Préau ?
Après avoir fait restaurer le piano carré Erard 1806 par Christopher Clarke et organisé plusieurs ateliers de formation sur ce thème en 2021 et 2022, nous avons trouvé l’écrin patrimonial idéal pour mettre en valeur ce répertoire au Musée national des Châteaux de Malmaison et de Bois-Préau.
La première édition du Festival de Pentecôte à l’Orangerie de Bois-Préau est une étape essentielle dans notre souhait de revenir aux origines du piano français.
En effet, le Château de Malmaison conserve le magnifique piano carré de la reine Hortense, fille de Joséphine, compositrice de romances de grande qualité. Grâce à la confiance de la directrice et conservatrice du Musée, Madame Elisabeth Caude, nous avons établi un partenariat culturel constitué d’une saison musicale avec des concerts mensuels dans les salons des châteaux et du Festival de Pentecôte dans l’Orangerie du Château de Bois-Préau.
Le Festival de Pentecôte met à l’honneur l’esthétique de ce premier romantisme tout empreint des émotions suscitées par les beautés de la nature et les émois amoureux. Vous pourrez y entendre des romances de la reine Hortense, pièces des artistes aimés de Joséphine et Napoléon tels que Paiseillo, Spontini, le chansonnier Pierre-Jean de Béranger, le harpiste Naderman, le hautboiste Bochsa, le violoniste Rode et les pianistes Dussek, Adam, Steibelt… sans oublier des extraits de La Flûte enchantée et de Don Giovanni de Mozart sous les traits des Mystères d’Isis et la sonate Waldstein de Beethoven qui fut fasciné par les sonorités inouïes du piano français Erard…
Voici d’ailleurs, l’évocation du Ranz de Vaches noté par Jean-Jacques Rousseau dans les montagnes du Valais, réarrangé par Louis Adam pour la Méthode de piano du Conservatoire en 1804… un autre monde sonore ! Un vrai dépaysement pour votre week-end de Pentecôte.
Propos recueillis par Olivier Olgan
Le carnet de lecture de Sylvie Brély
Depuis ma jeunesse, je cultive la pratique de la musique et le goût de la marche en quête d’une communion avec la nature.
Off the records, Neal Peres da Costa
Le livre du pianiste et directeur de recherche à l’Université de Sydney démontre une continuité des modes de jeu des grands maîtres du clavecin de Couperin – arpégiation, rubato, liberté expressive entre la ligne de chant et la basse – aux disciples des icones romantiques que furent Chopin, Liszt, Schumann, Clara Schumann et Brahms. Une analyse fouillée et documentée des premiers enregistrements des derniers romantiques nous fait entendre, partitions à l’appui la fluidité du jeu romantique dont l’idéal musical était le bel canto.
Une illustration peut se trouver aujourd’hui dans le jeu d’Edoardo Torbianelli un des membres fondateurs de La Nouvelle Athènes, professeur à la Schola Cantorum Basiliensis et au CRR de Paris, fondé par une connaissance et une pratique de l’art des claviers des XVIIIe et XIXe siècles et des enregistrements de Kowalski, Raoul Pugno, Ilona Eibenschutz, Adelina Pati…
Consuelo, George Sand
Dans cet esprit, la lecture du roman de George Sand fut une immense plongée dans l’esthétique romantique et musicale. C’est un roman frénétique. Les péripéties de cette jeune orpheline vénitienne, dont l’origine pourrait être espagnole ou bohémienne sont palpitantes. Tout d’abord apprentie cantatrice auprès du maître du bel canto Porpora, elle va devenir une cantatrice reconnue puis professeure de chant du Comte Albert de Rudolstadt en Bohème. Elle s’en échappera pour refaire carrière à la cour de l’impératrice Marie-Thérèse à Vienne. Par de nouvelles péripéties, elle se retrouvera invitée à la cour de Frédéric II de Prusse pour être finalement emprisonnée…
Ce roman, écrit avec les conseils de Frédéric Chopin et de la cantatrice Pauline Viardot, est semé de descriptions profondes de la manière de chanter le bel canto et des effets sur l’âme d’une musique jouée avec maîtrise et sincérité. C’est aussi un roman d’amour échevelé, une entrée dans l’histoire du XVIIIe siècle, celle de la quête d’une société plus juste et fraternelle au travers des frères maçons, des intrigues de pouvoirs tant dans les maisons d’opéra qu’entre les cours princières européennes. C’est un hymne à la liberté d’une femme de talent, bohémienne, courageuse, ne perdant jamais espoir.
Leçons sur Tchouang Tseu, Jean-François Billeter
Intéressée par le geste de l’interprète à la fois dans sa maîtrise du style musical mais aussi dans sa physicalité, je me suis passionnée pour la pratique du Tai Chi Chuan et la capacité à focaliser notre attention, à faire circuler l’énergie, le souffle. J’ai découvert les traductions du sinologue suisse Jean-François Billeter des Leçons sur Tchouang Tseu, sage taoïste venu après Lao Tseu et particulièrement intéressé aux différents régimes d’attention que nous mettons en œuvre dans la vie quotidienne.
N’écoute pas avec ton esprit mais avec ton énergie (ts’i) – car cette perception de soi-même n’est pas une affaire intellectuelle, mais une présence à soi du corps propre. Elle est notre activité propre se percevant elle-même ; fondement de notre conscience et de notre subjectivité. Le jeûne de l’esprit, c’est le retour à ce fondement. L’énergie est un vide entièrement disponible, dans ce vide la Voie (Tao) s’assemble. C’est là que se produit le début des phénomènes.
Jean-François Billeter, Leçons sur Tchouang Tseu
L’artiste n’est-il pas ce passeur d’énergie ?
Comment la terre s’est tue, David Abram
Aujourd’hui, cherchant des pistes pour s’orienter face à la crise climatique à laquelle nous sommes confrontés, j’ai été marquée un livre révolutionnaire sur notre rapport sensible au monde Comment la terre s’est tue de l’écosophe américain David Abram. Dans une large fresque remontant à l’introduction de l’alphabet et la lente abstraction que l’écriture et les sciences ont représentés, il démontre avec poésie comment nous avons perdu la perception du vivant. Nous n’écoutons qu’avec notre esprit comme le dirait Tchouang Tseu. Les objets créés par l’homme nous détournent de la terre et interrompent la symbiose entre nos sens et le monde.
Nos corps se sont formés dans un rapport de réciprocité délicate avec les multiples textures, sons et formes d’une terre animée – nos yeux ont évolué dans une interaction subtile avec d’autres yeux. Tout comme nos oreilles se sont accordées dans leur structure même avec le hurlement des loups et le cri des oies sauvages. Nous couper de ces autres voix, continuer, de par nos styles de vie, à condamner à l’extinction et à l’oubli ces autres sensibilités, c’est priver nos propres sens de leur intégrité, nos pensées de leur cohérence. Nous ne sommes humains que dans le contact et la convivialité avec ce qui est non-humain.
David Abram, Comment la terre s’est tue
C’est une réflexion extrêmement stimulante sur l’importance de l’oralité et de nos rapports directs avec le vivant. Savoir écouter le chant d’un merle et intérioriser sa présence dans notre conscience non comme un décor mais comme un être qui parle à d’autres merles mais aussi à nous, ceci transforme notre expérience, ceci nous relie au vivant et nous oblige au respect et à l’empathie. Une étape individuelle qui nous fait regarder le monde différemment.
On retrouve l’esprit panthéiste de Beethoven dans ses Carnets Intimes n°58
Dieu des forêts, Dieu tout-puissant ! Je suis béni, je suis heureux dans ces bois, où chaque arbre me fait entendre ta voix. Quelle splendeur, oh, Seigneur ! Ces forêts, ces vallons respirent le calme, la paix, la paix qu’il faut pour te servir !
Beethoven, Carnets Intimes n°58
Pour suivre Sylvie Brely
- Le site de La Nouvelle Athénes
- La chaîne YouTube La Nouvelle Athènes
- Le label discographique Zig-Zag Territoires
- 24 mai, 9h30 – 17h – Journée d’étude La musique de salon au 1er Empire
- 26 mai, 20h – Une soirée musicale chez Eugène & Hortense de Beauharnais, Ensemble Hexameron L. Montebugnoli & M. Croux
- 27 mai, 15h – Autour d’Isaac Lefébure-Welly, Q.Guerillot, K.Sarksian, L.Massoni
- 27 mai, 18h30 – Les infiniments petits de Béranger, Ensemble Les Lunaisiens A.Marzorati
- 28 mai, 15h – Quatuors à cordes Viotti,Rode…, Infermi d’Amore V.Makarenko
- 28 mai, 18h30 – Dans le salon de Joséphine, C.Dutilleul, A.Zylberajch, P.Marzorati
- 29 mai, 15h – Quatuors avec hautbois Bochsa, Mozart, Inefabula Project N.Lesage
- 29 mai, 18h30 – Dussek, Adam, Beethoven – Olga Pashchenko
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